Technologie 24 mai 2024

Un duo père-fils aspire à révolutionner l’aéroponie

Encore au stade des balbutiements au Québec, la culture en aéroponie pourrait bientôt entrer dans une nouvelle ère, si l’on en juge par les ambitions d’Éric et Antoine Deschambault. Père et fils peaufinent, avec l’aide de l’Université Laval, un système de production à grande échelle et largement automatisé, qui sera éventuellement vendu clé en main à divers entrepreneurs.

Éric et Antoine Deschambault devant leur conception.

Le duo a décidé de développer ce système de culture durant la pandémie. « Je voyais les enjeux en autonomie alimentaire, jumelés avec l’accroissement des changements climatiques et la rareté des terres arables. La question de savoir comment nous nourrir sera notre prochain grand défi », dit Éric Deschambault, détenteur d’une formation en biochimie. Il a alors vendu son entreprise spécialisée en conservation d’aliments et s’est adjoint l’aide de son fils, formé en génie mécanique, pour lancer CycloFields.

L’aéroponie consiste à faire poussent les plants à l’air libre en envoyant sur les racines une bruine chargée de nutriments. Ce type de culture, qui n’existerait pas pour le moment en culture d’aliments sur une base industrielle au Canada, offre, selon eux, différents avantages.

Les nutriments et l’oxygène sont absorbés beaucoup plus rapidement par la plante, et ça favorise sa croissance. La croissance est 15 % plus rapide en aéroponie qu’en hydroponie, qui elle-même est 15 % plus rapide que la culture en champs. C’est la F1 de la croissance.

Éric Deschambault

Cette approche est aussi économe. « On fonctionne avec un minimum de fertilisants et d’eau, explique l’entrepreneur de Granby, en Estrie. Et avec moins d’eau, on réduit les risques de propagation de maladies. »

La technologie développée se base sur des panneaux de culture d’une hauteur de 25 pieds, qui sont fixés à un rail sur lequel ils défilent. « On amène la culture à l’employé, précise Éric. Ça fonctionne sur le même principe que les vêtements chez le nettoyeur. On a donc besoin de moins de main-d’œuvre, un enjeu énorme. » À terme, les employés seront disposés sur des plateformes élévatrices. 

Cap sur les fraises 

Mais CycloFields se concentre pour le moment sur la production de fraises, avec le projet VertBerry. Pour ce faire, l’entreprise a obtenu un financement du Défi Cultiver l’innovation d’ici (voir l’encadré) et le soutien du Centre de recherche et d’innovation sur les végétaux (CRIV) de l’Université Laval.  

Depuis d’automne 2022, ces joueurs planchent ensemble sur différents aspects de la production : la variété la plus intéressante (goût, productivité, durée de vie), la méthode de reproduction optimale pour les plants et même les recettes de production, dont l’éclairage et la chaleur optimaux. On prévoit également mesurer l’incidence de l’ajout de biostimulants.

« Il y aura aussi l’intégration de l’IA [intelligence artificielle] et de modèles économiques afin de connaître quelle est la combinaison optimale », explique Martine Dorais, professeure titulaire et responsable du projet au CRIV. 

CycloFields est en lice pour une deuxième ronde de financement, dans le cadre du Défi Cultiver l’innovation d’ici. Elle compte commencer à mettre sa technologie en vente vers la mi-2026.


Les limites de l’aéroponie

La culture aéroponique est destinée aux plants de faible hauteur. « On parle des épinards, des laitues, des haricots, ou même des framboisiers ou des mûriers nains », explique la professeure Martine Dorais. 

Le fait que les racines soient exposées peut aussi rendre les plants plus sensibles au stress. « On peut perdre la production plus rapidement en cas de panne, mais nous avons prévu des mécanismes en conséquence », indique Éric Deschambault.

Finalement, si la culture hydroponique se fait reprocher de produire des aliments à durée de vie plus courte que ceux issus de la culture en champs, la question peut se poser aussi pour l’aéroponie. « C’est vrai que la faible durée de conservation est un reproche qu’on fait souvent à l’hydroponie. Mais le problème provient de la conservation
postcueillette et de la vitesse à laquelle on peut amener les aliments à 4 °C, pas du mode de culture, rapporte l’entrepreneur. Nous n’avons pas eu cet enjeu. On a donné des laitues à un grand producteur qui les a conservées pendant trois semaines dans son frigo. Il n’en revenait pas. »

La professeure Martine Dorais, de l’Université Laval, en visite dans les locaux de CycloFilelds, à Granby.

La professeure Martine Dorais, de l’Université Laval, en visite dans les locaux de CycloFilelds, à Granby.

Deux groupes québécois parmi 11 gagnants au pays

Le Défi Cultiver l’innovation d’ici est une initiative de la Fondation de la famille Weston, qui souhaite propulser l’autonomie alimentaire canadienne, en limitant au maximum l’importation d’aliments frais. Soixante équipes se sont livré bataille pour obtenir l’une des 11 bourses de 1 M$. Deux groupes québécois figurent parmi ces gagnants, soit l’équipe formée par l’Université Laval et CycloFields ainsi que les universités Bishop et de Sherbrooke avec un projet commun sur la culture de framboises en serres.

Le défi à relever cible particulièrement la culture de petits fruits. « La motivation de se lancer un tel challenge, explique Éric Deschambault, c’est que c’est plus difficile de cultiver des baies que des laitues, qu’on fait juste planter et qui, 40 jours plus tard, auront poussé. Pour les baies, il faut procéder aux semis, puis avoir une fleur, puis un fruit qui grossit. Ça permet de faire avancer les connaissances plus loin. »

Les 11 bénéficiaires du financement de 1 M$ sont admissibles à l’une des quatre bourses de 5 M$, afin d’affiner leurs connaissances et de procéder à la mise à l’échelle de leur projet sur trois ans. Les gagnants seront connus au début de 2025.