Recherche 28 mars 2024

Un nouveau centre de recherche sur la canneberge voit le jour

LAC-BEAUPORT — La canneberge a désormais son propre centre de recherche québécois. Le Centre de recherche et d’innovation sur la canneberge (CRIC) a été inauguré le 25 mars lors du Congrès nord-américain de la canneberge, qui s’est tenu à Lac-Beauport, près de Québec. « On était la seule région productrice au monde qui n’avait pas de centre de recherche spécialisé, alors qu’on est le deuxième producteur mondial de canneberges », précise Didier Labarre, directeur du CRIC.

Le CRIC est situé à Notre-Dame-de-Lourdes, dans les bureaux de l’Association des producteurs de canneberges du Québec (APCQ). Il est le fruit des efforts de cette association ainsi que du Club environnemental technique atocas Québec (CETAQ). Bien que la dizaine de projets de recherche en cours aient démarré au cours des dernières années sous l’égide de l’APCQ et du CETAQ, le CRIC souhaite peu à peu voler de ses propres ailes. « On vise une indépendance supplémentaire et de la crédibilité », soutient Benoit Depot, président du CRIC et notaire dans le Centre-du-Québec. « Notre but, c’est de devenir un centre de recherche conventionné avec un financement récurrent des gouvernements », ajoute-t-il. Le directeur du CRIC précise que, pour l’heure, environ 45 % du financement provient des producteurs de canneberges.


Des attaques contre la tordeuse sur plusieurs fronts

À 29 ans, le nouveau directeur général et scientifique du CRIC, Didier Labarre, connaît bien les enjeux des producteurs. Anciennement directeur du département de recherche de l’APCQ, son mémoire de maîtrise et sa thèse de doctorat en biologie — dont il lui reste encore la rédaction à faire — s’intéressent à la lutte à la tordeuse, le plus important ravageur de la canneberge biologique.

Il s’agit d’un papillon dont la chenille s’attaque aux feuilles et aux fruits. Cet été, Didier et son équipe épandront dans les champs de producteurs participants l’un des seuls prédateurs de cet insecte qu’on peut élever de façon massive : les trichogrammes. Ces guêpes minuscules, si elles sont bien introduites, peuvent parasiter les œufs de la tordeuse.

« L’enjeu est de saupoudrer les trichogrammes partout dans le champ de façon homogène sans les tuer », résume M. Labarre. Le biologiste a lui-même inventé des machines pour les appliquer mécaniquement tant l’opération est délicate. « On est encore en fine tuning, mais on est les seuls qui travaillent là-dessus », ajoute-t-il fièrement.

« Je suis remplie d’espoir », lance l’agronome et productrice Cassandra Le Moine au sujet des recherches du CRIC. Celle qui est membre du comité de priorisation de la recherche du CRIC gère 850 acres (344 hectares) de production dans le Centre-du-Québec. « Dans certains champs, en 2022, on a perdu de 97 % à 100 % de nos récoltes à cause de la tordeuse », déplore-t-elle.

Les dommages causés par le ravageur l’ont poussée, comme plusieurs autres producteurs, à convertir 250 acres (101 hectares) de champs biologiques en culture conventionnelle, mais elle espère des solutions.

Deux armes seront testées dans les champs cet été par les chercheurs du CRIC, soit l’introduction de trichogrammes et la confusion sexuelle. « On veut s’arranger pour que les mâles ne retrouvent pas les femelles pour s’accoupler et diminuer la production d’œufs », résume Gabriel Ayotte-Breton, professionnel de recherche au CRIC.


La productrice Cassandra Le Moine se dit « remplie d’espoir » que le CRIC aidera à trouver des solutions aux problèmes auxquels les cannebergières sont confrontées. Photo : Eugénie Émond

Des défections de mouches soldats comme engrais

Le peu d’options de fertilisants pour augmenter le rendement des cannebergières biologiques a poussé le CRIC à explorer d’autres avenues que le fumier de poule, le seul engrais utilisé. « De 30 à 40 % de la perte de rendement du biologique est due à la fertilisation », affirme Gabriel Ayotte-Breton. Une solution de rechange réside peut-être dans le frass, ce fumier issu des excréments de la mouche soldat noire, un engrais intéressant pour la canneberge lorsque mélangé au fumier de poule. « Le frass donne un boost d’azote à la plante parce qu’il le relâche plus rapidement que le fumier de poule », explique le professionnel de recherche. Entosystem, une entreprise de Drummondville qui élève ces mouches pour les transformer en nourriture animale, fournit la matière première au CRIC. Cet été, quelques parcelles de terre seront donc engraissées au frass.


Vers un cultivar adapté aux hivers québécois?

Pour le moment, les projets de recherche du CRIC émanent des nombreux enjeux auxquels les producteurs, surtout biologiques, sont confrontés sur le terrain. Mais la petite équipe de cinq employés du CRIC aspire-t-elle à agir davantage en amont et à créer un jour des cultivars adaptés au climat québécois? « Ce serait intéressant, parce que les cultivars qui poussent dans nos champs ont tous été développés au Massachusetts et au New Jersey, des régions qui n’ont pas les mêmes conditions climatiques que le Québec », soutient Alice De Donder, professionnelle de recherche au CRIC. « C’est un travail énorme et, présentement, on n’a pas les compétences ni de généticiens pour le faire », nuance-t-elle. « Mais c’est sûr que ça nous intéresserait », ajoute son collègue Gabriel Ayotte-Breton.