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Alors que la gestion des coproduits de la pomme de terre est réglementée et que leur enfouissement sera interdit à compter de 2025, les conclusions d’un projet de recherche mené à l’Université Laval laissent entrevoir des débouchés industriels prometteurs pour cette matière riche en amidon présentement surtout revalorisée dans l’alimentation animale.
L’enjeu est important, car au Québec, les coproduits de pommes de terre sont composés de patates provenant directement des champs des producteurs à raison de 10 % de ce marché (tubercules hors calibre, verts, déformés ou vitreux, déclassés, etc.) et de coproduits issus de l’industrie agroalimentaire à raison d’environ 20 % du tonnage transformé.
Financée par le Programme InnovAction agroalimentaire du MAPAQ, une équipe de chercheurs menée au départ par le regretté Dr Khaled Bekacemi a réussi, après cinq années de recherches et de tests, à produire des nanocristaux d’amidon (NCA) de taille homogène et avec une composition chimique contrôlée à partir de coproduits de pommes de terre déclassées.
C’est la Ferme Valupierre, un producteur de l’île d’Orléans à Québec, qui a fourni la matière première en utilisant les patates hors norme de sa marque Gabrielle. Dans ce projet de recherche, le Dr Bekacemi était épaulé par sa conjointe, la Dre Safia Hamoudi, et de deux autres collègues : le Dr Hervé M. Nlandu et la Dre Nasima Chorfa. « Il y a beaucoup d’activités dans ce domaine et pas seulement au Québec, mentionne Safia Hamoudi, professeure titulaire à l’Université Laval. Partout dans le monde, on cherche à valoriser toutes sortes de produits agricoles et agroalimentaires. » Dans un de leurs rapports, les chercheurs soulignent d’ailleurs en préambule que « les activités du secteur agroalimentaire génèrent d’importants volumes de sous-produits divers qui doivent être éliminés judicieusement pour préserver l’environnement d’une part et donner une valeur ajoutée à cette biomasse d’autre part ».
De l’amidon jusqu’au biopolymère
L’équipe de quatre chercheurs a réussi dans ce cas-ci, en utilisant des pommes de terre déclassées, à en extraire l’amidon à l’intérieur, et à lui faire subir un double traitement pour produire des nanoparticules ou nanocristaux d’amidon.
Différentes méthodes de traitement ont été expérimentées. Cependant, les chercheurs ont déterminé que l’hydrolyse enzymatique combinée à un prétraitement au dioxyde de carbone supercritique était la seule en mesure de produire des nanoparticules d’une dimension leur permettant ensuite d’être utilisées par l’industrie des emballages alimentaires, comme agents bioactifs et thérapeutiques dans le domaine médical ou pour éliminer des polluants dans les applications de traitement des eaux usées – pour ne nommer que quelques débouchés potentiels.
Ces nanocristaux d’amidon peuvent agir comme nanorenforts dans la production de biopolymères, un marché actuellement dominé par les pétropolymères à l’empreinte carbone évidemment plus lourde. Contrairement à ces derniers, les biopolymères agencés avec des nanocristaux d’amidon offrent l’avantage de présenter un caractère biodégradable tout en affichant des propriétés mécaniques au moins comparables à celles des pétropolymères. C’est en tout cas ce qu’une deuxième phase du projet de recherche s’efforcerait de démontrer.
Utilisés dans les biopolymères, les nanocristaux d’amidon deviennent ainsi une solution technologique pour une gestion écoresponsable des résidus de pommes de terre, c’est-à-dire en transformant leur amidon en polymères biosourcés pour remplacer des polymères issus de produits pétroliers comme les plastiques par exemple.
Présenté par la Dre Safia Houmadi le 25 janvier dernier lors de la première Journée Innovation du Consortium de recherche et innovations en bioprocédés industriels au Québec (CRIBIQ), le procédé innovant développé par le quatuor de chercheurs de l’Université Laval a d’ailleurs été décrit comme « une voie de valorisation viable pour les producteurs et les transformateurs de pommes de terre ainsi qu’une opportunité pour les industriels œuvrant dans le domaine des matériaux biosourcés ».
Comme un hommage au Dr Bekacemi
Le Dr Khaled Bekacemi n’aura jamais vu l’aboutissement de ses recherches débutées en 2016 puisque ce chercheur de l’Université Laval figurait parmi les six victimes de l’attentat de la grande mosquée de Québec survenu le 29 janvier 2017. « Il a travaillé dur pour obtenir ce projet, mais malheureusement, il n’a pas eu le temps de le conduire. Ça revêtait une importance très spéciale pour moi de le poursuivre. En le menant jusqu’au bout, c’était comme une façon de lui rendre hommage », confie sa conjointe.
Le projet de recherche terminé, et avec les conclusions prometteuses qui en ont résulté, la chercheuse souhaite maintenant aller encore plus loin. « Si je réussis à obtenir des fonds, il y a des choses à continuer. Présentement, on a produit les nanoparticules, mais la suite logique, c’est d’utiliser ces nanocristaux d’amidon pour produire des biopolymères avec des propriétés améliorées par rapport à ce qui se fait actuellement », conclut la Dre Safia Hamoudi.