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Si le maïs-grain contribue désormais à faire rouler les voitures grâce à l’éthanol, il pourrait un jour vous permettre de voler jusqu’à votre destination vacances préférée. Des chercheurs et GreenField Global font équipe pour créer du carburéacteur d’avion à partir d’un coproduit de l’éthanol comme solution de rechange au kérosène.
L’entreprise, qui possède une usine de production d’éthanol à Varennes, vient de lancer un projet avec le Laboratoire des technologies de la biomasse de l’Université de Sherbrooke afin de développer un procédé de production de carburéacteur d’avion en utilisant les huiles de fusel. Celles-ci sont obtenues durant le processus de distillation de l’éthanol, qui sert notamment à la fabrication de spiritueux ou qui est mélangé à l’essence des voitures pour obtenir un carburant avec un impact plus faible sur l’environnement que s’il provenait à 100 % des énergies fossiles.
« Les huiles de fusel sont recueillies en fin du processus de distillation. Elles contiennent à la fois de l’éthanol et des alcools à plus longue chaîne de carbone, explique Jean-Michel Lavoie, chimiste et directeur adjoint du Laboratoire des technologies de la biomasse. Notre partenaire [GreenField Global] cherchait des avenues pour valoriser certains de ces composés. » Les huiles de fusel ne se prêtent pas nécessairement à la confection de spiritueux en raison de leur odeur nauséabonde.
Une occasion à saisir
Il faut savoir qu’en chimie, réaliser une liaison carbone-carbone requiert beaucoup d’énergie, poursuit le chercheur.
La nature fait bien les choses, car le kérosène, qui sert de combustible au moteur des avions, contient également une longue chaîne de carbone… d’où l’idée de se lancer dans un procédé de production de carburéacteur.
Pour convertir les huiles de fusel en biocarburant, l’équipe de Jean-Michel Lavoie compte réaliser une transition vers l’éthylène, qui est la molécule produite lorsque l’éthanol est déshydraté, et ensuite l’utiliser dans un catalyseur où sera réalisée la conversion. « Ce type de réaction s’est déjà fait ailleurs dans le monde et on souhaite développer notre procédé pour éventuellement l’appliquer avec les huiles de fusel de notre partenaire. »
Le projet bénéficie par ailleurs d’une contribution de 453 000 $ du Consortium de recherche et innovations en bioprocédés industriels au Québec (CRIBIQ) et de l’appui du Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada (CRSNG). GreenField Global, qui est le plus important producteur d’éthanol au pays, valorise d’autres sous-produits issus de la fermentation du maïs-grain, comme la drêche pour l’alimentation animale et le CO2 pour les boissons gazeuses.
Cette démarche est d’autant plus intéressante que les huiles de fusel sont une constante dans la transformation de la plupart des sources d’éthanol utilisées ailleurs dans le monde, que ce soit la canne à sucre, les betteraves ou les résidus forestiers. « L’usine de Varennes utilise du maïs, mais il y aurait la possibilité de transférer ce procédé à d’autres intrants pour un résultat comparable », indique le chercheur, dont le laboratoire tente également de produire du carburéacteur d’avion avec de vieux masques sanitaires, des pneus d’aéronefs et même de la cire d’abeille au moyen d’autres procédés.
Un carburant moins polluant?
L’utilisation des biocarburants comme moyen efficace de réduction des gaz à effet de serre (GES) est contestée. Dans plusieurs pays comme l’Indonésie ou le Brésil, la hausse de la production d’huile de palme, de canne à sucre ou de maïs-grain s’accompagne d’une conversion des terres à d’autres fins que l’alimentation humaine et de la destruction de milieux naturels.
Aux États-Unis, 30 % des superficies de maïs alimentent les usines d’éthanol, contre 12 % au Québec. Une étude1 montre que dans les années qui ont suivi la mise en place de la politique gouvernementale de production de biocarburants (2008 à 2016), le prix du maïs a augmenté de 30 % et celui des autres cultures de 20 %, ce qui a eu pour effet d’accroître de 8,7 % les superficies consacrées au maïs et de 2,1 % la totalité des terres cultivées à l’échelle du pays. En revanche, la politique a échoué à atteindre ses objectifs environnementaux. L’utilisation accrue de fertilisants, la dégradation de l’eau et le changement d’usage des terres ont été suffisamment importants pour que la production de GES soit aussi importante que l’essence conventionnelle, et même jusqu’à 24 % plus élevée.
En contrepartie, une autre étude2 a mesuré qu’en excluant le changement d’usage des terres, la production d’éthanol aux États-Unis avait diminué son empreinte carbone d’environ 23 % de 2005 à 2019, en raison de meilleurs rendements, d’un taux de fertilisation plus bas et d’une plus grande efficacité des usines de transformation. À l’heure actuelle, l’empreinte carbone d’un biocarburant d’avion à base de maïs serait 15 % plus faible que le kérosène à base de pétrole.
Par ailleurs, des chercheurs du Département américain de l’Énergie ont évalué que dans des conditions de production et de transformation optimales (énergie au biogaz grâce à la biomasse, récupération du CO2, agriculture de précision, pratiques régénératrices, etc.), il serait possible d’atteindre une empreinte carbone 153 % plus faible que le kérosène.
Une industrie qui a soif de biocarburants
Le projet de GreenField Global et du Laboratoire des technologies de la biomasse s’inscrit dans un contexte où l’industrie de l’aviation cherche à diminuer son empreinte environnementale. Les membres de l’Association du transport aérien international (IATA), qui représentent 83 % du trafic aérien mondial, se sont engagés à éliminer les émissions nettes de CO2 d’ici 2050 et considèrent les carburants d’avion durables comme un élément essentiel.
L’IATA estime que la production de « biojet », obtenu essentiellement grâce à la décarboxylation des huiles végétales, a atteint 300 millions de litres en 2022, une hausse de 200 % par rapport à l’année précédente. Cela demeure toutefois une goutte dans l’océan en comparaison des 359 milliards de litres de carburéacteur consommés en 2019.