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Imaginez un instant que vous et votre famille partagiez un dîner à la maison lorsque soudainement, un tremblement de terre vous force à quitter votre demeure sans vous laisser le temps d’emporter des provisions. Supposez ensuite que ce séisme dure 48 heures. En plus d’avoir les nerfs à cran, vous seriez probablement affamés! Des chercheurs d’Agriculture et Agroalimentaire Canada (AAC) tentent de recréer ce phénomène non pas sur des humains, mais sur des pucerons pour créer un nouvel outil de lutte biologique. Bienvenue dans l’univers fascinant de la biotrémologie.
Au centre de recherche d’AAC à Saint-Jean-sur-Richelieu, de jeunes plants de poivron infestés de pucerons verts du pêcher sont attachés à un vibreur. Aussitôt l’engin actionné, un fort grésillement de radio emplit le minuscule laboratoire où se déroule l’expérience. Si le plant semble immobile à l’œil nu, la vibration est immédiatement perceptible au toucher des feuilles.
Depuis quelques années, l’entomologiste Jean-Philippe Parent s’inspire des travaux de chercheurs italiens sur les effets de la vibration chez les ravageurs de la vigne pour parvenir à déranger ce groupe de ravageurs, parmi les plus importants de la planète. « Nous avons voulu tester avec du son et des vibrations. Si le son n’a aucun effet, les vibrations ont donné des résultats surprenants, affirme-t-il. Différentes expériences sur trois espèces de pucerons nous ont permis d’observer une diminution de 50 % de la population en 24 heures de traitement vibrationnel. C’est une réponse de fuite pratiquement. Les pucerons quittent le plant lorsqu’ils sont exposés à des vibrations. »
Des vibrations au grand potentiel
La présence de ce groupe de ravageurs peut rapidement devenir problématique en serre. Dans des conditions chaudes, les femelles sont capables de libérer des juvéniles sans la présence de mâles après une semaine seulement. De plus, une génération d’individus ailés peut se former en situation de stress, probablement en raison d’une surpopulation, ce qui leur permet de coloniser facilement les autres plants. Qui plus est, ceux-ci sont plus résistants à la privation de nourriture.
Dans le cadre de son mémoire en sciences biologiques à l’Université de Montréal, Natali Demers a vérifié le potentiel des vibrations contre les ailés et les aptères (sans ailes) du puceron vert du pêcher. Pour ce faire, elle a exposé de jeunes plants de poivron à un bruit blanc pendant 48 heures. Résultat : le nombre total d’adultes sur les plants diminuait de 35 % pour les ailés et de 45 % pour les aptères.
Complexifier l’alimentation
Les chercheurs font l’hypothèse que les vibrations viennent perturber l’alimentation du puceron. « L’insecte possède une pièce buccale en forme de paille qu’il doit rentrer dans la plante pour se nourrir de la sève, explique Natali Demers. Si la plante bouge, il devient probablement très difficile pour lui de s’alimenter. Après une certaine durée d’exposition, il va préférer quitter le plant. »
Il faut savoir que les différentes espèces de pucerons sont des ravageurs qui vivent en permanence sur les plants pour s’en nourrir, ajoute Jean-Philippe Parent. « Ils ne sont pas très bons pour survivre dans des conditions de sécheresse. À l’extérieur du plant, leur taux de survie chute dramatiquement. »
Autre constat de l’expérience : le traitement vibrationnel de 48 heures a diminué le nombre total de juvéniles de 49 % (chez les mères ailées) et de 63 % (chez les mères aptères). « Nous avons aussi observé une baisse de la qualité chez les juvéniles, donc il y a un effet résiduel », note Natali Demers.
Méthode complémentaire
Afin d’explorer le potentiel de cette méthode en contexte commercial, les chercheurs ont aussi testé les effets de la vibration en la combinant avec différents agents de lutte biologique. L’effet de 48 heures de vibration alliée à celle des parasitoïdes diminuait de 90 % à 100 % le nombre total de pucerons sains sur le plant. En utilisant le traitement vibrationnel et la prédation de la coccinelle, le nombre total de pucerons sur les plants chutait de 70 à 85 %. « On ne voit pas les vibrations comme un traitement miracle, mais comme un outil de plus dans la lutte intégrée », nuance l’entomologiste.
Pour ceux qui craignent que les vibrations affectent les cultures, les données préliminaires d’une expérience à grande échelle ne montraient aucun effet sur les fruits, même après deux semaines d’exposition.
Si, à petite échelle, les vibrations fonctionnent bien pour contrôler les pucerons, des difficultés persistent pour obtenir la bonne intensité avec des plants matures. « Nous travaillons encore à affiner nos méthodes pour faire vibrer plusieurs plants à la fois, car ça ne serait pas viable d’avoir un vibreur par plant. Il faut surmonter ce défi d’ingénierie », conclut Jean-Philippe Parent.
Les résultats de recherche ont été dévoilés dans le cadre de la réunion annuelle de la Société d’entomologie du Québec.