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Le foin québécois pourrait profiter de l’expansion phénoménale du marché mondial si ses producteurs jouissaient de meilleurs équipements de séchage, de pressage et d’entreposage, croient plusieurs spécialistes.
David Normandin a toujours voulu faire pousser du foin, comme son père Luc et son grand-père Roger avant lui, sur la ferme familiale de Saint-Césaire, en Montérégie. Sauf que lui ne voulait pas simplement nourrir son troupeau. Son rêve était d’en vendre beaucoup et partout à travers le monde.
« Je savais que ça se faisait ailleurs. Je me suis dit que nous pourrions faire la même chose », raconte le copropriétaire de Norfoin, une entreprise qui expédie depuis 2015 des dizaines de conteneurs de foin québécois au Moyen-Orient.
David Normandin a su ainsi pressentir l’appétit croissant des acheteurs internationaux pour le fourrage. Entre 2016 et 2020, les échanges mondiaux ont bondi de 23 % pour atteindre une valeur de 4,3 G$ en 2020, selon un rapport publié l’an dernier par le ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec (MAPAQ).
Sans surprise, ce sont les États-Unis (50 %) et l’Union européenne (24 %) qui se taillent chacun les parts du lion. « Au quatrième rang, le Canada a vu ses exportations passer de 148 à 202 M$, soit une hausse de 36 %, dans la seconde moitié des années 2010 », souligne Huguette Martel, agronome au MAPAQ à Sherbrooke.
L’Asie est particulièrement gourmande en plantes fourragères. Le Japon, la Chine et la Corée du Sud comptent, à eux trois, pour plus de la moitié des échanges du marché international des plantes fourragères. Cette croissance s’explique en quelques mots : la rareté de l’eau et de la terre.
« Dans plusieurs pays, la croissance de la superficie consacrée aux cultures de grains se fait depuis longtemps au détriment des plantes fourragères », explique Mme Martel, considérée comme l’artisane d’une filière estrienne du foin de commerce. « Les changements climatiques viennent aggraver ce déficit par des sécheresses dans plusieurs régions du monde. L’accès à l’eau, plus rare, est désormais disputé entre différentes cultures, ou encore réservé à la population et aux animaux », ajoute-t-elle.
Pour prévenir les ruptures de stock, les négociants internationaux sont donc repartis à la recherche de nouvelles sources stables d’approvisionnement, capables de produire de forts volumes de fourrage de grande qualité.
La place du Québec
Dans ce contexte, le Québec pourrait tirer fort bien son épingle du jeu grâce à la qualité et à la stabilité de sa production, à son climat favorable et à sa capacité d’expédition outre-mer facilitée par le port de Montréal, affirment plusieurs producteurs et spécialistes.
« Les producteurs albertains doivent mettre leur fourrage sur le train pour atteindre le port de Vancouver, et les Ontariens doivent payer du camionnage pour l’apporter jusqu’à Montréal », explique David Normandin.
« C’est donc un avantage pour nous d’avoir le port à 50 km de notre ferme : on peut expédier du foin partout rapidement à un prix avantageux. »
Le fourrage québécois profite d’ailleurs d’une excellente réputation en Europe, en Amérique du Sud et aux États-Unis, affirme André Rivard, un spécialiste des marchés internationaux chez Semican, une entreprise de Plessisville. Selon lui, le foin de la province rivalise de qualité avec les productions de l’Ouest américain et des prairies canadiennes.
« Nos producteurs sont excellents », s’exclame-t-il. « Ils offrent une qualité de foin considérée comme extraordinaire pour sa densité et son niveau de protéines. Tout dépend ensuite de ce que veut le client, que ce soit en Europe ou au Moyen-Orient. »
Vincent Audet, du Conseil québécois des plantes fourragères (CQPF), abonde dans le même sens, avec un léger bémol.
« On a un foin intéressant, mais qui ne peut pas concurrencer avec des marchés de niche comme celui du mil pur ou de la luzerne en haute teneur de protéine », concède-t-il tout d’abord. « En revanche, on se démarque dans les mélanges de graminées qui ont une belle couleur, dépourvus de poussière et qui sentent bon. Ça, au Québec, on est capables de faire ça. »
Aux yeux d’Huguette Martel, du MAPAQ, le principal atout des producteurs québécois se situe dans les nuages qui survolent la province. « Nous sommes privilégiés par le volume de pluie reçue chaque été. Toute cette eau nous permet de produire des volumes intéressants pour les importateurs », déclare-t-elle.
Savoir sécher son foin
Le hic, c’est que les équipements essentiels de séchage, de pressage et d’entreposage pour standardiser le degré d’humidité et le format compact des balles de foin se font trop rares, déplorent plusieurs intervenants du secteur.
« Une balle de foin ne doit pas dépasser 12 % d’humidité pour être expédiée outre-mer sans crainte de moisissure ou de vermine », souligne David Normandin qui, avec son père Luc, a investi massivement dans la conception de séchoirs, de presses et d’entrepôts depuis 2008.
« Plusieurs agriculteurs au Québec ne possèdent pas les infrastructures appropriées », reconnaît Germain Lefebvre, du Forum québécois du foin de commerce, qui incite du même souffle les producteurs à mettre leurs installations à niveau.
« On ne peut pas toujours attendre après la météo pour faucher du foin sec. Pour produire de grands volumes, il faut des installations de séchage, soit à la chaleur ou par ventilation, ou une combinaison des deux », rappelle cet agronome à la retraite.
Un producteur doit aussi compter sur un entrepôt de foin bien conçu, de manière à donner accès aux différents lots et à les expédier rapidement à la demande. « Des balles carrées de 35 livres, ce n’est pas approprié pour le transport. C’est trop léger et trop mou. Cela exige aussi trop de manipulation. Il faut des formats propres à la livraison par conteneur », ajoute M. Lefebvre.
Les balles de foin enrobé sont aussi trop lourdes pour le transport, rappelle Vincent Audet. « Ce n’est pas un produit appelé à voyager, qu’on peut envoyer à un propriétaire de chevaux en Floride ou dans une ferme laitière au Japon. »
Du foin bien sec et bien entreposé, en format compact, pourrait aussi trouver preneur auprès de différents éleveurs de la province en cas de sécheresse, souligne Serge Pageau, également du CQPF. « Et le producteur de foin ne serait pas obligé de liquider sa récolte dans les périodes de surplus », dit-il.
« L’industrie du foin doit s’inspirer des autres productions agricoles, comme le café, pour pouvoir répondre à la demande tout au long de l’année. Nous avons une chaîne d’approvisionnement à construire, nous aussi », résume Vincent Audet.
Aide nécessaire
La création d’un tel écosystème exige cependant une capacité financière importante et une expertise technologique difficile à dénicher, plaident tous les experts interrogés sur la question.
« Cela demande des investissements massifs », confirme Germain Lefebvre avant de déplorer le manque d’aide gouvernementale pour le foin de commerce. « Des programmes ont été mis en place pour aider les producteurs de différentes cultures. La construction de silos à grain, par exemple. Mais les entrepôts à foin ne sont pas admissibles à ces programmes. »
Un tel investissement public servirait pourtant bien la société québécoise, renchérit Vincent Audet, avant d’énumérer plusieurs bénéfices comme la stabilisation des prix, la sécurité alimentaire, le maintien des hectares cultivables, une hausse de la qualité du foin destiné à l’exportation, sans compter les bienfaits pour l’environnement (voir autre texte en page 13).
Outre les défis financiers, les producteurs se heurtent également à un déficit d’expertise dans la conception et la construction d’infrastructures, disent les spécialistes.
« Il n’y a plus de ressources techniques et d’ingénierie au MAPAQ. Il n’y a personne pour répondre aux questions d’un agriculteur qui voudrait se bâtir des infrastructures pour le foin de commerce », déplore Germain Lefebvre.
« On s’attend des pouvoirs publics qu’ils reconnaissent le foin de commerce au même titre que la production des grains, et qu’ils donnent à ses producteurs du soutien financier et des services-conseils », conclut l’agronome.
Le foin en chiffres
202 millions $
C’est la valeur des exportations canadiennes en 2020, qui ont augmenté à un taux de croissance annuel moyen de 8,1 % entre 2016 et 2020. L’Alberta (122 M$), l’Ontario (42 M$) et le Québec (23 M$) arrivent en tête des principales provinces exportatrices de foin en 2020.
5,25 millions
C’est le nombre d’hectares de foin cultivé au Canada en 2020, avec près de 18 millions de tonnes produites.
6,2 t/ha
Au Québec, le rendement a atteint ce sommet en 2017 à 6,2 t/ha pour ensuite atteindre un creux de 3,9 t/ha en 2020.
239
C’est le nombre de nouvelles entreprises spécialisées dans la culture des plantes fourragères au Québec, fondées entre 2012 et 2020.
2,3 millions
C’est le nombre d’hectares occupés par les fourrages cultivés et les pâturages améliorés au Québec en 1961. Cette superficie a subi une diminution des deux tiers pour s’établir à moins de 750 000 hectares en 2021. Ce déclin a été particulièrement marqué pour la Montérégie et le Centre-du-Québec entre 2001 et 2021 (diminution de 25 % des superficies en fourrage cultivé).
Source : Portrait-diagnostic sectoriel de l’industrie des plantes fourragères, du ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec; Guide de production des plantes fourragères de 2022, du Centre de référence en agriculture et agroalimentaire du Québec (CRAAQ).