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Le printemps pourrait ressembler au précédent ou peut-être même être pire, préviennent des experts de la grippe aviaire questionnés par La Terre.
« La grosse question est de savoir quel va être l’apport des oiseaux migrateurs, car on ne connaît pas encore leur statut immunitaire. L’autre question est de savoir si l’environnement qui a été contaminé au printemps dernier l’est encore », expose le vétérinaire Jean-Pierre Vaillancourt, professeur à la Faculté de médecine vétérinaire de l’Université de Montréal et spécialiste de la grippe aviaire. Sa collègue Manon Racicot, également professeure à l’Université de Montréal et vétérinaire épidémiologiste à l’Agence canadienne d’inspection des aliments (ACIA), craint aussi que le printemps soit semblable au dernier, sinon pire. « Si on regarde ce qui s’est passé au Royaume-Uni, ils ont eu comme nous une première vague au printemps, suivie d’une seconde à l’automne, puis la troisième vague a été pire que les deux autres. C’est difficile de dire si ce sera comme ça pour nous, mais tout le monde est sur un pied d’alerte », dit-elle.
Un virus qui change les règles du jeu
Au Québec, les cas rapportés de grippe aviaire de souche hautement pathogène dans des élevages de canards de la Montérégie Ouest, en janvier et février derniers, soit en plein hiver, n’augurent rien de bon puisqu’ils démontrent que les risques de contamination persistent en dehors des périodes de migration des oiseaux sauvages, notamment « parce que nos oiseaux domestiques, dont les corneilles et les urubus, qui restent ici pendant l’hiver, ont aussi été infectés », souligne Mme Racicot.
De son côté, le Dr Vaillancourt rappelle que ce virus a une variabilité génétique spectaculaire. « Et c’est ce qui est inquiétant. Il y a plusieurs souches en circulation, dont la H5N1, qu’on n’avait jamais eue au Québec avant 2022, qui est hautement pathogène avec un potentiel zoonotique. Il y a donc un risque que le virus devienne endémique, c’est-à-dire qu’il ne reparte plus, ce qui signifie qu’il faudra apprendre à vivre avec. Est-ce qu’on est rendus là? La question se pose encore », nuance-t-il.
Cette situation inédite au Québec comme ailleurs dans le monde risque fort de changer complètement les façons de faire en élevage de volaille. En France, par exemple, qui vient de traverser une 6e vague de contamination, différentes solutions sont actuellement étudiées, « comme la vaccination ciblée pour certaines espèces de volailles, des lasers pour éloigner les oiseaux sauvages des sites d’élevage ou des filets souples installés au-dessus des parcours de canards élevés à l’extérieur », énumère le Dr Vaillancourt.
Les choses changent également du côté québécois et canadien, remarque quant à elle Mme Racicot, qui spécifie que « les ingénieurs prennent maintenant la biosécurité en compte dans la construction de nouveaux bâtiments d’élevage, en prévoyant par exemple des entrées plus grandes pour permettre l’aménagement de zones pour le lavage des mains et le changement de bottes ».
La répartition des élevages sur le territoire devra aussi être évaluée de manière plus systématique, pour éviter des zones à forte densité d’élevages. « Quand on se compare, on peut toutefois se consoler », lance Mme Racicot, qui donne l’exemple de la Colombie-Britannique, qui a été durement touchée par la propagation de la grippe aviaire dans la vallée du Fraser, qui compte une forte densité d’élevages avicoles. Mme Racicot et M. Vaillancourt insistent toutefois sur le fait qu’au Québec, les régions de la Montérégie, le secteur de Saint-Félix-de-Valois, dans Lanaudière et celui de Valcartier, dans la région de Québec, sont aussi à plus haut risque en raison de leur grande densité d’élevages.
Des bris de biosécurité
Jusqu’ici, les enquêtes épidémiologiques menées par l’ACIA démontrent que dans la grande majorité des sites infectés au Québec, l’introduction de la maladie a été causée par un bris de biosécurité. La meilleure façon d’éviter la contamination est donc d’appliquer avec vigilance les règles de biosécurité recommandées, et même d’aller au-delà, suggèrent les deux experts. Ceux-ci reconnaissent toutefois que ces mesures demandent plus de temps, mais aussi de l’espace, ce dont ne disposent pas tous les bâtiments d’élevage actuellement.
Les oiseaux pas tous égaux face au virus
Les oiseaux de la catégorie des ansériformes, qui compte notamment les canards et les oies, sont beaucoup plus sensibles au virus de la grippe aviaire que d’autres espèces, comme les poulets de chair ou les poules pondeuses. « C’est que le virus est très adapté aux canards », explique la vétérinaire épidémiologiste Manon Racicot. Ainsi, les canards survivent plus longtemps avant de mourir de la maladie, ce qui permet au virus de se propager dans l’environnement pendant un long moment avant que l’animal tombe malade ou meure. « À l’inverse, les poulets qui attrapent le virus meurent très rapidement après avoir contracté le virus, ce qui limite les chances de propagation d’un site à l’autre », souligne-t-elle. Le dindon semble aussi être une espèce plus sensible à la maladie. Une condition qui pourrait s’expliquer par une période d’élevage plus longue, ce qui augmente les risques de contact avec le virus. Les Éleveurs de dindons du Canada, qui reconnaissent cette situation, précisent que cette question est toujours en cours d’étude. « À ce jour, 78 élevages de dindes ont été touchés au Canada, dont 25 sont des élevages mixtes comprenant des dindes, ce qui est légèrement supérieur au nombre d’élevages de poulets de chair, de races, de poules pondeuses et de canards touchés », précisait l’organisation, le 24 mars. Au Québec uniquement, neuf élevages de dindons ont été touchés par la grippe aviaire, comparativement à un site de poulets de chair et un site de poules pondeuses.