Volailles 8 novembre 2024

Le dindon veut remédier à sa demande en déclin

La décroissance de la consommation de dindon au pays a retenu l’attention lors de l’évaluation périodique du secteur de la volaille, le 12 septembre, devant la Régie des marchés agricoles et alimentaires du Québec (RMAAQ). Les transformateurs y ont souligné l’urgence de réfléchir à l’avenir de cette production, qui, affirment-ils, leur fait perdre de l’argent depuis plusieurs années en raison d’une offre qui surpasse la demande.

Le produit de dindon a passé la phase de maturité depuis un petit bout. Il est en phase de déclin.

Jean-Luc Hamelin, vice-président à l’approvisionnement en porc et volaille chez Olymel

« Je ne dis pas qu’il faut abandonner, mais je pense qu’on est dans une phase de stabilisation, voire de stratégie de repli, beaucoup plus que de stratégie de croissance comme en parlent les Éleveurs de volaille du Québec », a-t-il poursuivi au nom des transformateurs de dindon.

Le ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec (MAPAQ) a aussi dévoilé des chiffres qui confirment cette tendance à la baisse de la consommation de viande de dindon à l’échelle canadienne. Cette consommation par habitant a diminué de 22 % de 2018 à 2022, rapporte le Ministère.

La baisse de l’intérêt pour la viande de dindon ne serait pas unique au Québec et au Canada.  Les transformateurs parlent plutôt d’une tendance mondiale causée par différents facteurs, dont l’inflation, qui force les consommateurs à se tourner vers des viandes plus abordables, comme le porc et le poulet, la réduction de la taille de ménages et l’arrivée d’immigrants, qui auraient moins l’habitude de mettre cette viande au menu.

Dans ce contexte, les représentants d’Olymel et d’Exceldor, les deux principaux acheteurs de dindon dans la province, ont déploré de devoir gérer, depuis plusieurs années, des surplus malgré des efforts de marketing déployés. Joël Cormier, responsable des ventes chez Exceldor, a donné l’exemple d’une gamme de découpes fraîches emballées sous vide, dont la rentabilité a « viré au négatif dans les dernières années », alors que même les ventes de marques reconnues comme la dinde Butterball perdent de la vitesse, a-t-il ajouté.

D’autres solutions que la décroissance

Le président des Éleveurs de volailles du Québec (EVQ), Benoît Fontaine, reconnaît que le secteur est confronté à différents défis, mais il estime que ces problèmes sont surmontables sans passer par une plus grande décroissance de la production, comme le réclament les transformateurs. « C’est vrai que les nouveaux arrivants [… ], souvent, ils ne connaissent pas le dindon. Avec les œufs et le poulet, on n’a pas du tout cette dynamique-là, car ce sont des produits qui sont connus, donc leur croissance est automatiquement liée à la hausse de la population. Dans le cas de la protéine de dindon, il faut leur faire découvrir, ce qui est beaucoup plus long. C’est à ce niveau-là qu’il faut travailler, mais peut-être qu’il manque un peu de dynamisme des transformateurs canadiens pour amener le dindon sur la table des consommateurs avec des produits intéressants », avance-t-il en entrevue avec La Terre

Malgré tout, les EVQ reconnaissent également l’urgence d’asseoir tous les joueurs de la filière pour réfléchir à un plan stratégique commun pour l’avenir de la production. Une recommandation que fait d’ailleurs le MAPAQ dans son plus récent portrait-diagnostic sectoriel du secteur de la volaille. 

Rappelons par ailleurs que des négociations s’amorceront bientôt entre les EVQ et les acheteurs en vue de renouveler la Convention de mise en marché du dindon, qui n’avait pas été renégociée depuis près de 30 ans.



Des producteurs inquiets

L’inquiétude est palpable du côté des éleveurs de dindon relativement aux baisses de production répétées des dernières années et à celles qui pourraient encore survenir. « Déjà, pendant la pandémie, ils nous ont coupé de presque 20 %. Ça fait mal en tabarnouche. On dirait qu’ils se sont servis de ça [la pandémie] pour couper la production de dinde. Pourtant, on en a manqué à Noël. Ça ne marche pas, leur affaire », réagit Luc Leblanc, propriétaire de La ferme du dindon, à Saint-Jude, en Montérégie.

À Saint-Sébastien, en Estrie, Mark Handschin et son fils Steve, copropriétaires de la Ferme Handschin, ont décidé d’investir dans du quota de poulet, il y a deux ans, pour remplir des bâtiments vides après des coupes forcées de leur production de dindon. « Nous, c’est avant la COVID que la baisse a commencé. L’abattoir avait des quotas d’exportation, et ç’a tout été coupé. Après, il y a eu la COVID, qui a fait mal dans le dindon lourd, raconte M. Handschin. C’est un peu décourageant, vu que c’est en décroissance. Ça fait depuis les années 1970 que mon père en faisait [du dindon], et on travaille fort pour que ça augmente, mais on dirait que ce qui manque, c’est toujours l’importation qui le comble, avec les ententes de libre-échange. On pédale toujours un peu dans le vide. » 

Encore rentable

Il considère malgré tout que la production de dindon est encore rentable pour les éleveurs qui ne sont pas trop endettés. « Il faut quand même faire vraiment attention, parce que des fois, c’est tentant d’acheter plus de quota, mais le payback peut être assez long », mentionne-t-il. Cet avis est partagé par son confrère Luc Leblanc, dont la ferme est d’ailleurs à vendre depuis deux ans, faute de relève. « C’est encore une production payante. Le seul déficit qu’on a, c’est la baisse de production, parce qu’on sort moins de kilos au mètre carré, donc c’est moins profitable. La pente est dans la mauvaise direction. On veut que ça change, mais qu’est-ce qu’on peut faire? » se questionne-t-il.