Serres 28 mai 2024

Les résidus de serre : un potentiel à exploiter

Les résidus de serre pourraient-ils être transformés en biocharbon ou en écomatériaux? C’est le pari que fait un groupe de chercheurs, au cœur d’un important projet visant à détourner des sites d’enfouissement ces matières organiques contaminées par des plastiques. Leur démarche suscite beaucoup d’attention.

« Il y a énormément d’intérêt, assure Sébastien Couture, agronome chez Climax Conseils. Tous les producteurs voient la quantité de conteneurs qui vont à l’enfouissement. Et personne ne souhaite ça. » Ces résidus de production en serre sont en bonne partie composés des feuilles et des tiges des plants de tomates et de concombres, jetés lors des opérations d’effeuillage ou de vides sanitaires des installations. Le hic, c’est que les cordes et attaches de plastique (ou clips) se mêlent aux résidus verts, compliquant du coup leur valorisation.

La présence d’attaches et de cordes complique la revalorisation des résidus de production en serre. Photos : Marie-France Létourneau

Selon M. Couture, certains petits producteurs en serre prennent le temps de retirer tous les plastiques des végétaux avant de les composter. Mais cela est impensable pour ceux qui jonglent avec des volumes de production élevés.   

Excel-Serres, qui se définit comme le plus petit des producteurs serricoles d’importance au Québec, envoie à lui seul 40 conteneurs de résidus par année au site d’enfouissement.

Ça fait des années qu’on jette tout ça à la poubelle. Et je trouve ça effrayant.

Dominique Fortier, propriétaire de l’entreprise de Saint-Damase spécialisée dans la production de tomates en serre

Mme Fortier n’est pas la seule à déplorer la situation. Excel-Serres, ainsi que les Productions horticoles Demers, Cultures Gen V, Savoura, les Serres Royales et les Fermes Lufa, participent à un projet de recherche piloté par Philippe Constant, de l’Institut national de la recherche scientifique (INRS).


« Le rêve qu’on a, c’est de créer des symbioses industrielles à la fin du projet », dit le chercheur à l’INRS Philippe Constant. Photo : Gracieuseté de Philippe Constant

Sept options à l’étude

Ce projet, lancé sous l’impulsion du ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec (MAPAQ) et des Producteurs en serre du Québec, vise à trouver de nouveaux débouchés pour les résidus de serres, explique M. Constant. « Au Québec, quelques dizaines de milliers de tonnes de végétaux sont enfouies actuellement, souligne-t-il. Ça représente des coûts économiques, mais aussi environnementaux. Il y a une volonté de changer les pratiques. » Et force est d’admettre que plusieurs souhaitent participer au changement. 

Outre les producteurs en serre, quatre entreprises intéressées à utiliser les ressources développées gravitent autour du projet. Celui-ci regroupe également six équipes de recherche universitaires, trois centres de recherche et de transfert technologique, ainsi que des organismes de développement économique.

Les attaches (ou clips) sont présentes en très grand nombre dans les serres.

À l’heure actuelle, sept voies de valorisation sont à l’étude. La production de biogaz, de champignons et de substrats de culture en fait partie. Mais certaines options sortent assurément des sentiers battus, dont la production de protéines (pour l’alimentation animale) à partir des résidus de mouches soldats noires.

Le rêve qu’on a, c’est de créer des symbioses industrielles à la fin du projet. Que les producteurs serricoles soient les fournisseurs d’autres entreprises qui pourraient convertir les résidus en matériaux biosourcés.

Philippe Constant

Le projet profite d’un financement de 1 M$ pour une période de trois ans. « C’est un des plus grands projets autour du gisement serricole qui a été fait jusqu’à maintenant, dit le chercheur de l’INRS. Tester autant de voies de valorisation dans un même projet, c’est une première. » Le compostage des résidus de serre est actuellement la voie la plus facile, souligne le chercheur. Différentes approches sont d’ailleurs mises à l’essai par la firme d’experts-conseils en environnement Solinov, avec des résidus exempts de plastique de Savoura.  

Mais l’option a néanmoins ses limites lorsque d’autres matières (dont des plastiques) se glissent dans les végétaux. Les autres avenues explorées, quant à elles, présenteraient des avantages économiques, calcule Philippe Constant.   

Un exemple? Les exuvies des mouches soldats noires contiennent de la chitine, qui peut être transformée en chitosane, un polymère naturel qui vaut « plusieurs milliers de dollars le kilogramme ». « Quelques kilogrammes de chitosane équivalent à beaucoup de kilogrammes de compost », note M. Constant. « Certaines filières sont vraiment payantes, ajoute-t-il. Notre idée, c’est de jumeler des voies de valorisation pour que chaque serre y trouve un maximum de bénéfices économiques. »  

À la recherche de solutions

Ne disposant pas du même volume de matières résiduelles que les plus gros joueurs, les plus petits producteurs serricoles, présents en grand nombre au Québec, optent souvent pour la production de compost (non destiné aux serres) à l’extérieur de leurs installations, quitte à retirer les cordes et les attaches en cours de route. C’est entre autres ce que fait Gilles Pelletier, propriétaire de l’entreprise Fraîcheur urbaine, à Granby. « Mais s’il y avait une solution écologique et économique, je serais intéressé », dit-il.

« S’il y avait une solution écologique et économique [à la valorisation des résidus de serre], je serais intéressé », dit Gilles Pelletier, de Fraîcheur urbaine, à Granby.

La Récolte des Cantons, à Bromont, composte également ses résidus de production à l’extérieur de ses serres. Pour faciliter le travail, le copropriétaire, Benjamin Chabot, affirme avoir testé il y a quelques années des attaches biodégradables. Mais le résultat n’a pas été concluant. « Elles étaient tellement biodégradables qu’elles se biodégradaient durant la saison, dit-il. On se retrouvait avec des plants qui n’étaient plus attachés. On est toujours à la recherche de nouvelles options. » 

L’agronome Sébastien Couture, qui travaille avec plusieurs producteurs en serre au Québec, relève que certains choix d’accessoires plus écologiques sont offerts aux producteurs. Mais ils ne conviennent pas à tous. Et ils ne sont pas toujours à la portée de toutes les bourses. « C’est un gros enjeu chez tous les producteurs, dit-il. Et, au final, il y a un enjeu financier. »

Selon les données transmises par l’INRS, le Québec compte 88 hectares de ­production de tomates et de concombres en serre. Et les superficies cultivées sont appelées à augmenter d’ici 2025 pour accroître l’autonomie alimentaire.

La biométhanisation, une option

L’usine de biométhanisation qui devrait être mise en service en 2026 sur le site du lieu d’enfouissement de Waste Management, à Sainte-Sophie, pourra transformer les résidus de serre en gaz naturel renouvelable, affirme le directeur des affaires publiques de l’entreprise au Canada, Martin Dussault.  

« On souhaite desservir de nouveaux clients qui sont à la recherche d’une solution pour valoriser leurs matières organiques, dit-il. Les entreprises de production serricole sont une cible pour nous. »

M. Dussault affirme par ailleurs que les résidus de plastiques, qui présentent un défi de valorisation, pourront être extraits de la matière organique par un procédé mécanique. Le gaz de source renouvelable produit sera envoyé dans le réseau d’Énergir. 

Avec l’augmentation des redevances à l’enfouissement, la filière de la valorisation des matières organiques est désormais compétitive, fait en outre valoir Martin Dussault.