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« Avec l’augmentation du taux d’intérêt, celle des salaires et celle du coût des intrants de 20 %, le bucket est plein », décrit Sylvain Terrault, président de Gen V, résumant ainsi une partie des préoccupations du secteur serricole québécois, qui roule à fond de train. Les derniers chiffres du ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec (MAPAQ) montrent en effet que, depuis l’annonce des programmes gouvernementaux visant à améliorer l’autonomie alimentaire, en novembre 2020, le volume de production a pratiquement doublé, augmentant de 90 %, et la superficie en culture, elle, a cru de 66 %.
Les entreprises ont profité de subventions et de tarifs d’électricité avantageux pour bâtir des serres, faire des acquisitions, investir dans la technologie ou encore dans l’éclairage… Mais ce rythme effréné pose de nombreux défis.
Passée d’une superficie de 27 à 40 hectares, Savoura peine aujourd’hui à trouver des employés qualifiés.
Cela n’a rien de surprenant, selon Jacques Thériault, agronome et consultant depuis trois décennies auprès des serriculteurs. « On essaie de bâtir trop vite et les formations ne sont pas prêtes », estime l’associé principal de Climax Conseils.
La main-d’œuvre est moins un enjeu du côté de l’entreprise Gourma, spécialisée en fines herbes, puisqu’en plus d’avoir doublé sa superficie de production, des investissements ont été faits en automatisation. « On est peut-être la serre la plus automatisée au Québec, avance le président, Charles Verdy. Notre défi est d’apprendre à maîtriser cette haute technologie. Ça prend du temps, mais ce n’est pas facile, car on ne peut pas ralentir la cadence de production. » Le consultant Jacques Thériault compare la gestion d’une serre du genre à quelqu’un qui vient de suivre un cours de conduite et à qui l’on donne une Formule 1. « Ça prend un haut niveau de compétence », explique-t-il.
La hausse de la production entraîne aussi, pour certains, des enjeux de distribution. Plusieurs serriculteurs de moins de 10 000 mètres carrés de culture ont de la difficulté à intégrer les tablettes des grandes surfaces, n’ayant pas de ligne directe avec elles. « C’est un défi majeur », mentionne Frédéric Jobin-Lawler, copropriétaire de L’Abri végétal, à Compton, en Estrie, qui a choisi d’investir dans l’éclairage, avec l’objectif d’augmenter sa production de 50 %.
Le temps de changer d’approche?
Certains croient qu’il est temps de réviser la stratégie gouvernementale de doubler la surface de production. « Je ferais les choses autrement, dit Peggy Clermont. Le gouvernement veut additionner les hectares. Mais si on veut vraiment avoir une autonomie alimentaire, il faut attacher tous les morceaux et soutenir les autres facettes : ressources humaines, formation, marché, etc. »
Jacques Thériault croit aussi qu’il faut changer d’approche.
Le président des Producteurs en serre du Québec, André Mousseau, croit aussi en l’exportation, mais il mise d’abord sur la promotion des produits québécois… auprès des Québécois. « On a vu ce que ça a donné pour les fraises et framboises », mentionne-t-il en guise d’exemple positif.
Bien qu’il confirme que certains producteurs ont de la difficulté et que plusieurs doivent reprendre leur souffle avant de continuer leur développement, il n’est pas souhaitable, selon lui, de revoir les objectifs gouvernementaux « tant que nous n’arriverons pas à produire, à prix compétitif, 80 à 90 % de notre marché ».
Sylvain Terrault est moins enthousiaste. « La première chose pour avoir une autonomie alimentaire, c’est d’être rentable, dit-il. Si on veut encore augmenter la surface de production, il ne faudrait pas oublier de soutenir les entreprises qui ont développé leur infrastructure depuis trois ans et qui ont des difficultés. »
Les maladies et ravageurs en rajoutent…
Selon le consultant Jacques Thériault, de Climax Conseils, le ralentissement dans le développement du secteur serricole est dû notamment à la présence de la rugose de la tomate. Récemment, le Centre de recherche agroalimentaire de Mirabel a constaté, dans les résultats préliminaires d’une recherche, que la maladie était présente dans près de 20 % des productions analysées.
Sylvain Terrault, président de Gen V, principal producteur diversifié au Québec, avec 35 hectares, explique que, comme plusieurs, il doit lutter avec des maladies comme la rugose de la tomate, le virus du concombre, etc. « Les enjeux phytosanitaires sont notre principal défi », reconnaît-il.
Trop de tomates
Dans certaines cultures, comme la tomate, le secteur serricole vit de manière encore plus aiguë les effets de l’augmentation des volumes de production, qui entraîne une baisse des prix. « Ç’a beaucoup chuté, explique André Mousseau, président des Producteurs en serre du Québec. On n’avait jamais vu ça, des tomates à 0,99 $ la livre à l’épicerie. » Pour Savoura, ces faibles prix ont des répercussions majeures sur les finances. « Il n’est pas rare que je doive vendre sous mon coût de revient, constate la présidente, Peggy Clermont. Et nos marges sont très faibles. »
Charles Verdy, de Gourma juge qu’il est temps de varier les productions au Québec. « Je ne me lancerais pas dans la tomate », dit-il. À son avis, la solution réside dans la diversification, tant pour son entreprise que pour l’industrie. « En ce moment, on fait essentiellement, des tomates, des laitues, des concombres, un peu de poivrons… On pourrait faire pousser autre chose que ça. »