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Philippe Beaulieu n’a pas besoin de l’argent qu’il gagne comme producteur de pommes de terre pour vivre. Mais ce technicien agricole de formation se plaît à dire qu’il mènerait une vie moins riche s’il n’avait pas à s’occuper de la production de patates sur ses terres à l’île d’Orléans, 5 km en aval de Québec sur le fleuve Saint-Laurent.
« C’est la passion pour l’agriculture qui m’anime », dit M. Beaulieu, 56 ans, actionnaire majoritaire avec ses deux frères de l’entreprise Ouellet Canada, l’un des plus gros fabricants et distributeurs nord-américains de produits de chauffage électrique. « Passer du temps à la ferme avec ma famille, loin de la ville, à penser et à planifier la production de patates avec mon gars me permet de me ressourcer et de faire le plein d’énergie. Pour moi, le bonheur est vraiment dans le pré. »
Avec son fils Pierre-Alexandre, 26 ans, lui aussi diplômé, comme son père, du programme de trois ans de Gestion et technologies d’entreprise agricole au Campus Macdonald de l’Université McGill, Philippe Beaulieu produit entre 70 000 et 75 000 quintaux de pommes de terre (des poches de 100 kilos) par année sur près de 100 hectares.
Leur production, qui se base principalement sur des variétés de Russet, est destinée à deux des quatre principaux marchés pour la pomme de terre au Québec, soit le marché de la table et celui du prépelage, où les tubercules sont transformés pour faire des frites.
« On investit beaucoup de temps et d’argent pour élargir nos connaissances et améliorer nos techniques et notre capacité de production et d’entreposage », dit Pierre-Alexandre, qui s’est joint à son père à temps plein à la ferme il y a cinq ans, dès qu’il a obtenu son diplôme de McGill. « On travaille fort pour produire les meilleures pommes de table possible et pour rendre nos opérations les plus profitables possible. »
Produire des pommes de terre n’était pas dans les plans quand le grand-père de Philippe, Jules Beaulieu, homme d’affaires prospère de Québec et maire du quartier huppé de Sillery, a réalisé un rêve d’enfant en achetant une ferme de 50 hectares dans le village de Saint-Jean sur l’île d’Orléans en 1965.
Dix ans plus tard, et après l’acquisition de deux autres fermes avoisinantes, son petit-fils Philippe s’est découvert une passion pour l’agriculture en passant ses étés sur l’île à aider les employés de la ferme à prendre soin d’un troupeau de 50 vaches à lait et à faire des cultures commerciales sur près de 160 hectares.
« Quand j’ai obtenu mon diplôme en 1988, j’avais mon propre troupeau de 125 vaches, dit Philippe. Mais je les ai toutes vendues en 2005 pour me joindre à mon père et à mes frères à Ouellet Canada. » Après s’être concentré sur la production d’avoine et d’orge pendant 10 ans, Philippe a créé une entreprise conjointe avec un voisin, Stéphane Blouin, un producteur de pommes de terre bien connu dans le milieu.
C’est ainsi que la Ferme Dauphine, du nom d’une petite rivière des environs, s’est jointe à la dizaine de producteurs de pommes de terre à l’échelle commerciale sur l’île d’Orléans, un berceau de l’agriculture québécoise reconnu surtout pour la production de fraises et de pommes de haute qualité. La Ferme Dauphine comptait parmi ses clients plusieurs entreprises de renom dans le monde de la pomme de terre au Québec, y compris Lay’s Canada, Yum Yum et Saint-Arneault.
Une entreprise née de deux tragédies
Peu après la mort subite de M. Blouin en 2019, à 46 ans – une tragédie survenue au moment où Pierre-Alexandre Beaulieu terminait ses études collégiales –, Philippe a acquis les parts des enfants de son associé.
Il a renommé l’entreprise Ferme FX Orléans en honneur de son fils aîné, François-Xavier, lui aussi victime d’un événement tragique – soit un accident de voiture qui s’est produit lors d’une crise d’épilepsie, en 2015, alors qu’il n’avait que 23 ans.
Depuis cinq ans, les Beaulieu père et fils travaillent ensemble pour planifier et organiser la production de pommes de terre, en plus de cultures commerciales comme le foin, l’avoine, l’orge et le soya sur 200 hectares.
Avec l’aide de la femme de Philippe, Marilyn Gignac, et de sa fille, Anne-Charlotte, qui travaille aussi chez Ouellet Canada, les Beaulieu gèrent également depuis 2016 Les Saveurs de l’Isle d’Orléans, une entreprise située à la ferme et qui transforme des fruits de l’île et des pommes de terre de la ferme pour en faire des confitures et des beignes aux patates.
Une approche différente
D’après Pierre-Alexandre, qui est un des trois employés qui travaillent à temps plein pour la Ferme FX Orléans, les caractéristiques géologiques uniques de l’île d’Orléans exigent une approche différente des autres régions agricoles du Québec en ce qui concerne la production de pommes de terre.
« Même si on est sur une île, on n’a pas d’accès facile à l’eau, car nos terres sont hautes et avec des escarpements abrupts au fleuve, explique-t-il. Alors, on doit creuser des étangs d’irrigation – on en a une douzaine, et on va en faire d’autres – et des canaux pour irriguer nos plantations. Et il nous faut aussi des variétés de patates qui sont plus résistantes à la sécheresse. »
Pierre-Alexandre ajoute également que le sol sur l’île d’Orléans est moins épais (d’un pied à 18 pouces en moyenne) et plus argileux que les sols plus sablonneux qu’on retrouve dans les autres régions agricoles du Québec.
« Nous, on doit regarder de près le pH et le contenu des matériaux organiques dans le sol, précise-t-il. On utilise aussi des techniques comme la distance entre les plantes et la profondeur des semences. »
Pour être en mesure de vendre des pommes de terre plus tard dans la saison, quand les prix sont plus élevés, la Ferme FX Orléans s’est aussi dotée récemment d’un entrepôt où on peut contrôler l’humidité et maintenir la température à 4 °C, même en plein été – des conditions parfaites pour conserver les tubercules.
Selon Philippe Beaulieu, qui est également responsable du développement des marchés pour Ouellet Canada – un travail qui l’oblige à voyager régulièrement, puisque l’entreprise vend pour des centaines de millions de dollars chaque année à travers le monde –, la réussite des opérations de la ferme est une source de fierté autant que de plaisir.
« Des gens pourraient penser que ce n’est pas grave si on ne fait pas de profit parce qu’on a un gros business en dehors de la ferme, souligne-t-il. Mais ce n’est pas le cas. Nous bâtissons une entreprise agricole rentable et reconnue pour la qualité de ses opérations et de ses produits. »