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Avec des températures allant jusqu’à -7 °C au thermomètre, des vignerons et des producteurs maraîchers n’ont pas fermé l’œil, dans la nuit du 17 au 18 mai. Certains parlent même de la pire nuit en carrière. Il est toutefois trop tôt pour estimer les dommages.
À Rougemont, en Montérégie, Philippe Beauregard n’a dormi qu’une heure et demie, lui qui craignait qu’une pompe, un gicleur ou bien la réserve d’eau ou d’essence du tracteur ne s’épuise ou ne brise. Les risques de gels à cette période de l’année sont communs, mentionne le copropriétaire de la Halte gourmande du Potager Mont-Rouge, mais la durée et l’intensité des températures atteintes en font l’une des pires nuits que sa famille ait vécue. Le froid, parfois de -7 °C au sol, s’est maintenu de 23 h jusqu’au lever du soleil.
La veille, le producteur s’est affairé à protéger ses champs de fraises les plus à risque en installant jusqu’à deux épaisseurs de couvertures thermiques sur les plants en fleur. Toutefois, la présence de neige cette journée-là n’a pas permis d’emmagasiner autant de chaleur qu’espéré. L’irrigation a débuté vers 20 h 30 et s’est poursuivie pendant 12 heures. Un système de sonde lui a permis de surveiller en temps réel les températures sous les couvertures. Celles-ci sont descendues à -3 °C. « La vie est forte. On avait quand même un quart de pouce d’épais de glace à certains endroits », dit-il. Les pertes seront évaluées au moment du dégel, soit dans l’après-midi du 18 ou le 19 mai au matin.
« Il y aura pas mal de pertes », estime pour sa part Mario Rondeau. Le producteur d’asperges de Saint-Thomas, dans Lanaudière, venait d’arrêter les gicleurs lorsque La Terre l’a joint. Il faudra attendre le dégel pour estimer les dégâts, mais certaines asperges étaient d’un vert translucide au matin du 18 mai, décrit-il, ce qui est un signe de perte. L’homme estime avoir déjà vu un froid plus important en carrière, mais jamais sur une aussi longue période. « Je n’ai jamais démarré mes gicleurs avant minuit. Là, je les ai partis à 22 h », indique-t-il.
Fabien Gagné a sacrifié un de ses deux vignobles la nuit dernière. « On avait prévu la lutte sur deux sites, mais on n’avait pas prévu [que ça dure] aussi longtemps, alors on a dû ramener tous les équipements sur un seul site pour faire toute la nuit », souligne le copropriétaire des Vignobles Saint-Rémi, en Montérégie. Il a perdu au moins 20 % de sa production sur 8,5 hectares. Ce sont deux hélicoptères qui, à tour de rôle, ont tenté de faire descendre l’air plus chaud vers les vignes durant une période de 7 h 30. Toutefois, cet air au-dessus du vignoble n’a atteint que 1,2 °C, soit moins que les 3 à 5 °C habituellement atteints lorsque cette méthode est utilisée. « Cette fois-ci, l’air n’était vraiment pas chaud. On n’avait presque rien avec quoi travailler, mentionne le vigneron. On était à la limite de réussir ou que ça vaille la peine [de sauver le vignoble]. » Il ira constater les dommages au champ en après-midi.
De mémoire, Brigitte Pigeon, de Saint-Rémi, en Montérégie, n’avait pas vu une telle nuit depuis 30 ans. C’était à l’automne et elle produisait des céleris, à l’époque. Le 17 mai 2023, les copropriétaires de la Ferme Pigeon se sont réveillés à tour de rôle pour surveiller les champs de haricots et de cerises de terre, et l’irrigation a été activée de minuit trente à 8 h du matin. La productrice aurait aimé faire des feux, mais sa trop vaste superficie ne le lui permettait pas.
Pour protéger son vignoble d’un demi-hectare, Étienne Gosselin, à Stanbridge East, en Estrie, a fait huit feux au petit matin, le 18 mai. En plus de la chaleur et de l’épais nuage de fumée générés, le producteur a laissé rouler quatre voitures autour du champ, fenêtres ouvertes, afin que le chauffage des véhicules réchauffe les vignes. « Ça a bien marché », dit-il. Sa petite superficie lui a également permis d’installer des couvertures thermiques pour contrer les températures de -2,3 °C atteintes entre 2 h et 6 h du matin.