Économie 3 juillet 2024

Une ferme maraîchère achetée pour 4,1 M$ par un organisme mohawk

La ferme maraîchère Les Jardins de la Pinède, à Oka, à l’ouest de Montréal, qui a été médiatisée en raison de ses difficultés financières, et qui a été saisie par un huissier, a finalement été vendue à l’organisme mohawk nommé Kanesatake Health Center. La transaction a été signée le 11 juin au montant de 4,1 M$ en plus d’une certaine somme destinée à l’acquisition des équipements, indique le courtier immobilier agricole David Fafard, en charge du dossier. Le Kanesatake Health Center utilisera Les Jardins de la Pinède et ses serres pour en faire principalement un centre de réinsertion sociale à vocation agricole, ajoute-t-il. C’est le gouvernement fédéral qui a transféré les millions de dollars à l’organisme mohawk pour qu’il achète les terres et les actifs de la ferme, affirme M. Fafard. 

Un projet qui fait jaser

Lors de la mise en vente de la propriété, David Fafard dit avoir rencontré plusieurs voisins et envoyé des lettres aux agriculteurs de la région pour leur offrir d’acheter Les Jardins de la Pinède. Sans succès. Ensuite, cet appel improbable d’un représentant du Kanesatake Health Center.

Ils voulaient créer un centre de réinsertion sociale, pour que ceux qui ne l’ont pas eu facile puissent se faire du bien à travailler la terre. Ils sont venus visiter et j’ai vu que c’était sérieux.

David Fafard, courtier immobilier

Le courtier a reçu finalement d’autres offres, lesquelles étaient cependant un peu moindres que celle du Kanesatake Health Center. « Ça fait parler beaucoup de monde [cette transaction], mais c’est un très beau projet. Ça va rester une ferme et c’était important pour moi de savoir que je vendais à quelqu’un qui allait faire de l’agriculture. C’est certain qu’on ne peut pas s’attendre à ce qu’ils fassent virer le site à 115 % de sa capacité lors de la première année; ils doivent apprendre à marcher. Mais dès cette année, il y aura de l’agriculture », affirme le courtier spécialisé en transactions de fermes. Ce dernier agit même comme conseiller pour les nouveaux propriétaires. « Je leur ai expliqué comment s’enregistrer comme producteurs agricoles. C’est une relation que j’ai établie avec eux et que je veux voir croître », dit-il. La Terre a tenté de rejoindre le responsable autochtone du projet, en vain. David Fafard évoque la possibilité pour son client de former un partenariat avec des agriculteurs locaux, afin de maximiser les lieux et les revenus de la ferme.

Les champs, les serres et les bâtiments des deux sites qui appartenaient à la ferme Les Jardins de la Pinède ont été acquis par l’organisme Kanesatake Health Center. Photo : David Fafard

La pilule passe difficilement

L’ancien copropriétaire de la ferme, Louis Vaillancourt, qui a investi une partie de sa vie dans Les Jardins de la Pinède, digère mal la vente.

Je n’ai rien contre les projets sociaux en agriculture, mais dans le cas de ma ferme, si elle avait été vendue à des producteurs agricoles de métier, qui auraient optimisé les installations à la hauteur du potentiel de ce qu’on a construit, la pilule aurait passé plus facilement.

Louis Vaillancourt, ancien copropriétaire de l’entreprise Les Jardins de la Pinède

Louis Vaillancourt explique que la construction des serres, qui date de seulement 2021, a coûté 4,1 M$ et affiche des infrastructures parmi les plus avancées pour des serres au Québec, décrit-il. « Écran thermique, système d’automatisation de pointe, brumisateur (pour abaisser la température des plantes), éclairage zoné, technologie de chauffage de la zone racinaire, grow tubes [tuyau de chauffage intravégétation], système de gestion du CO2, gouttières qui font fondre la neige et récupérateur d’eau. Il n’y avait pas grand cases qui n’avaient pas été cochées pour avoir la plus haute productivité au mètre carré. Avec leur projet de réinsertion sociale, c’est comme si quelqu’un achetait une formule un pour aller reconduire les enfants à l’école », compare-t-il. L’ex-agriculteur précise que les serres à elles seules peuvent générer un chiffre d’affaires de 1,5 M$ en légumes annuellement, en plus de la production des champs et des tunnels. « Je regarde ce qui se passe sur la ferme et j’ai de la peine pour moi et pour mon ex-partenaire d’affaires Marie-Josée Daguerre. Peu importe nos différents, on a tout perdu. »


Un centre de réinsertion social illégal en milieu agricole?

Transformer une partie de la ferme maraîchère Les Jardins de la Pinède en un centre de réinsertion sociale ne sera peut-être pas facile à Oka, car le maire, Pascal Quevillon, indique que la réglementation de sa municipalité ne le permet pas. Une demande de changement d’usage pourrait être effectuée par les nouveaux propriétaires, mais le maire dit qu’il faudrait alors changer le règlement pour autoriser ce type d’usage à l’ensemble de la zone agricole et non seulement à une seule ferme. « Mon avis de maire, c’est que ça ne passera pas pour l’ensemble de la zone agricole, donc ça ne passera pas pour Les Jardins de la Pinède. Que le fédéral subventionne l’acquisition d’une propriété pour un projet de réinsertion sociale sans s’être assuré que le projet est viable et conforme à la réglementation, je me demande comment sont gérés les fonds publics au fédéral », questionne M. Quevillon.

Le maire d’Oka accuse le fédéral de favoriser des transactions inéquitables

Le maire d’Oka, Pascal Quevillon, s’inquiète de l’achat de la ferme Les Jardins de la Pinède avec l’argent du fédéral. « C’est inéquitable, dit-il. Il n’y a pas grand monde qui peut financièrement concurrencer le gouvernement fédéral et, surtout, [son ministère] Services aux Autochtones Canada, qui dispose d’enveloppes importantes pour financer des projets de la sorte. » Cette transaction agricole ramène à la surface l’épineuse question territoriale. Rappelons que la municipalité d’Oka est voisine de l’établissement amérindien Kanesatake, où habitent les Mohawks et où s’était produit la confrontation de 1990. Or, le maire voit d’un mauvais œil l’achat de cette propriété agricole sur le territoire d’Oka avec l’argent du fédéral, et avec le but qu’elle appartienne désormais aux Mohawks. « Le gouvernement fédéral a un processus de revendications territorial, mais en subventionnant des acquisitions de la sorte, il se trouve à passer outre ce processus, lequel implique de consulter les villes et municipalités [avant la transaction]. C’est un peu comme de l’expropriation déguisée à nos yeux », pointe M. Quevillon.