Régions 23 juillet 2024

En mission pour nourrir un village de la Gaspésie

Saint-Maxime-du-Mont-Louis – Dans un village côtier de La Haute-Gaspésie, un soleil de juillet se tenant tout juste ­au-dessus des montagnes diffusait une lumière magnifique sur Les Jardins Taureau & Bélier, l’une des rares fermes à offrir des légumes frais et locaux aux citoyens de ce secteur, situé entre Matane et Gaspé. La Terre a visité cette ferme, propriété d’un couple dans la trentaine provenant de Chaudière-Appalaches, en mission pour nourrir son village d’adoption. Non sans difficulté, par contre.

« C’est super beau, hein? » dit l’agriculteur Philippe Leclerc, en contemplant le paysage de sa ferme qui a pris racine dans la vallée de Saint-Maxime-du-Mont-Louis. Le Beauceron d’origine est fier de son apprentissage comme nouveau maraîcher ainsi que de ses rendements et de la qualité de ses légumes. 

Il désigne une rangée multicolore de sa culture vedette.

Le mesclun, on l’a semé au début en ne sachant pas trop si les gens aimeraient ça, mais notre mesclun a tellement pogné. Un légume avec de belles couleurs, du croquant, qui fond presque en bouche. Les gens capotent aussi sur la fraîcheur, comme l’ensemble de nos légumes, qui se conservent plus de deux semaines au frigo.

Philippe Leclerc, producteur maraîcher

Mais paradoxalement, si de nombreux citoyens sont heureux de voir cette première ferme s’établir dans la municipalité, c’est loin d’être une majorité qui l’encourage. Les ventes peinent à assurer une rentabilité à l’entreprise.

La ferme bénéficie d’un approvisionnement en eau directement de la municipalité. Philippe Leclerc a le projet d’enfouir le système d’irrigation afin d’en optimiser les opérations.

Un peuple à convaincre

Le chiffre d’affaires annuel de la ferme stagne entre 35 000 $ et 40 000 $ depuis deux ans, reconnaît humblement Philippe Leclerc. Le plan d’affaires initial visait plutôt des revenus totaux de près de 90 000 $ après cinq ans. 

Il évalue que seulement 10 % des citoyens de sa municipalité achètent ses produits. « On avait sondé des gens de la MRC et de la municipalité avant de commencer et ils disaient que c’était un besoin d’avoir accès à des légumes frais. Sauf qu’aujourd’hui, on se fait dire que nos légumes sont trop chers, ce qui est quasiment irritant pour nous, car quand je compare avec l’épicerie, on n’est pas vraiment plus cher », analyse-t-il. Il fait remarquer qu’en étant loin des grands centres de distribution, les légumes qui arrivent dans les épiceries sont souvent flétris et les gens doivent les trier et en jeter une bonne couche, ce qui finit par revenir cher.

Une seule machine à outils interchangeables permet d’exécuter tous les travaux.

Philippe Leclerc, qui attend un premier enfant avec sa conjointe, Vicky Prévost, sait qu’il doit rendre son modèle d’affaires viable à long terme, et ce, en multipliant notamment ses ventes auprès de la population locale. « C’est certain qu’il faut que j’aille chercher plus de gens. Je suis sur Facebook, je fais beaucoup d’éducation sur les légumes, mais les gens sont conservateurs, et je ne sais plus trop quoi faire pour les convaincre. Est-ce qu’il faudrait que j’aille cogner aux portes pour leur montrer mes légumes? » s’interroge-t-il. Peut-être que de changer l’emplacement de l’un de ses points de vente, pour le rapprocher de l’église et de la route principale, le dimanche, s’avérerait une formule gagnante, songe-t-il. Développer des marchés dans les villages à proximité se révèle une autre piste, quoique la distance et les petites populations compliquent cette démarche. Sans compter que le temps consacré à la commercialisation cannibalise celui requis par les travaux à la ferme.

Chose certaine, il ne peut diminuer ses prix, comme certains lui recommandent. « Écoute, j’ai bien beau dévaluer le produit, mais à un moment donné, il faut que je garde une dignité. Je travaille sept jours sur sept, et sur notre 38 000 $ de ventes, quand j’enlève les dépenses, il reste à la fin de l’année 8 000 $, qu’on réinvestit dans la ferme. En gros, je ne me verse même pas de salaire, alors baisser plus les prix, je ne peux pas. »

Et comment fait-il pour vivre alors? « Ma blonde s’est trouvé un emploi à temps plein et moi, je travaille l’hiver à L’Amarré [le café-bistro du village]. Je fais 10 000 $ dans l’hiver, et je vis là-dessus. On est très ménageux. »

Une campagne de financement a été organisée cet hiver, à la suite des vents violents qui ont détruit la serre. Photo : Martin Ménard/TCN

Une solidarité encourageante

Pour un village éloigné des grands centres comme celui de Saint-Maxime-du-Mont-Louis, une portion de l’autonomie alimentaire est liée au destin des Jardins Taureau & Bélier. Si la majorité des citoyens reste à en être convaincue, certains y croient fermement, comme le prouve la campagne de financement organisée cet hiver à la suite des vents violents qui ont détruit la serre. Un ­souper-bénéfice de même que l’aide de la MRC ont notamment permis à la ferme de recevoir près de 20 000 $ de la communauté pour reconstruire la serre. « Ça, c’est très encourageant! » souligne Philippe Leclerc.