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Les laiteries artisanales québécoises vivent des moments difficiles. Deux des plus gros projets de lait fermier, Laiterie Óra, dans le Bas-Saint-Laurent, et Laiterie Lampron, en Mauricie, ont décidé de mettre un terme à leur projet dernièrement, tandis que d’autres fermes contactées par La Terre affirment que la rentabilité associée à la vente de leur propre lait est problématique.
En entrevue avec La Terre, Alexandre Lampron, de la Ferme Y. Lampron et Fils, raconte que la commercialisation du lait biologique de la ferme familiale était un rêve depuis plusieurs années. « Les gens appréciaient le produit, mais plus on avançait, plus on voyait que la rentabilité serait difficile à atteindre », explique-t-il.
Les premières bouteilles ont été livrées aux consommateurs en 2019. Faute de rentabilité, l’aventure vient de prendre fin. « Ça nous fait vraiment de quoi d’arrêter tout ça, confie le producteur. On a l’impression d’arrêter un projet qu’on n’a pas poussé jusqu’au bout comme on voulait. C’est crève-cœur; on a mis tellement d’énergie là-dedans. Et on avait une clientèle fidèle. »
L’agriculteur de Saint-Boniface affirme que le plan d’affaires se basait sur des volumes de lait qui n’ont finalement jamais été atteints. « On pensait que ça se vendrait plus facilement », se désole-t-il. Les frais plus élevés que prévu, notamment en main-d’œuvre et en intrants pour la laiterie, en ont fait grimper les coûts de production. Les manques à gagner ont poussé les propriétaires à prendre la décision de tout arrêter. Les équipements de la laiterie seront probablement vendus, mentionne
M. Lampron.
Dans le Bas-Saint-Laurent, Jean-Mathieu D’Amour, de la Ferme D’Amour, a commencé à commercialiser le lait de ses 55 vaches en février 2017 sous la marque Óra. En 2020, il a fièrement inauguré sa propre usine de transformation de lait dans le parc industriel de Rivière-du-Loup, mais depuis quelques semaines, les activités y ont cessé. Contacté par La Terre, l’entrepreneur se montre peu bavard, la plaie étant encore vive. Qu’est-ce qui explique cette fin abrupte? « Ce n’était pas rentable », résume-t-il. « L’industrie alimentaire, c’est une industrie de volume. Nous autres, on a le même 4 % de marge nette que les gros qui font des millions de litres, à la différence qu’on a des petits volumes. »
Quand on lui demande un conseil pour les prochains producteurs laitiers qui voudraient commercialiser leur lait, il répond : « Qu’ils se méfient. Ça paraît plus beau de l’extérieur que ce ne l’est vraiment. »
La rentabilité des marchés de niche, moins évidente
En Montérégie, Nathan Kaiser, de la Ferme Impériale, indique avoir cessé définitivement de commercialiser le lait des vaches de race Guernesey, un lait plus riche que son entreprise avait commencé à offrir en 2019. « On a arrêté. Ce n’était juste pas rentable. Les produits plus nichés, ce n’est pas facile depuis un an ou deux. Les gens en achètent moins. Certains vont l’essayer [le produit de niche], ils vont trouver ça le fun, mais ensuite, ils vont revenir au lait régulier. Bâtir une clientèle qui va toujours en acheter, ce n’est pas évident », analyse-t-il.
Est-ce la faute des grands joueurs qui se disputent l’espace tablette? « Non, répond M. Kaiser. Si tu vas jouer dans leur cour en vendant du lait 2 % en format de quatre litres, tu risques de te faire sortir, mais pour les produits nichés, ils te laissent tranquille. »
Les Kaiser, dont la famille a acheté la Laiterie Chagnon en 2017, n’abandonnent pas complètement la partie. Ils comptent vendre le Kaiser A2, un lait de type A2A2, qui contient la protéine caséine bêta, plus facile à digérer pour certaines personnes. Ce lait proviendra de leurs vaches Holsteins, un élevage qui serait à la base plus rentable que les Guernesey. « Mais ça restera un marché de niche », avance prudemment Nathan Kaiser.
Le poids de la hausse du prix des intrants
L’un des pionniers de la vente de lait fermier, David Gadoury, affirme que la rentabilité en a pris un coup pour les ventes du lait provenant de son entreprise, nommée Ferme Vallée Verte, à Saint-Jean-de-Matha, dans Lanaudière. « Avant, on était toujours sur une pente croissante. Maintenant, nos ventes de lait en bouteilles sont sur une pente décroissante, commente-t-il. Il y a un certain temps, je me suis même demandé si on n’arrêtait pas. Mais on s’est pris un autre distributeur pour combler les pertes, et la situation s’est stabilisée. Par contre, avec un distributeur, le pourcentage qui reste est encore moindre. »
Selon M. Gadoury, l’augmentation du prix des intrants, comme les bouteilles, en plus des assurances, des frais de transport et de la main-d’œuvre « est catastrophique ». Il doit donc augmenter légèrement ses prix du lait pour compenser, avec la crainte que les prix plus élevés entraînent une baisse des ventes. La marge plus raisonnable du yogourt et du fromage lui permet de continuer. « On devrait être corrects. On ne pense pas fermer », stipule celui qui commercialise son lait depuis 2014.