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SAINT-ROCH-OUEST — Thibault, Bénédicte, Laetitia et Magaly Guitel font un pari audacieux. Dans le milieu laitier caprin, certains disent que ça ne s’est même jamais vu au Québec. En décembre, cette fratrie de Saint-Roch-Ouest, dans Lanaudière, échangera d’un seul coup la majorité de son troupeau actuel, soit environ 210 chèvres sur 360, contre un troupeau exempt d’arthrite encéphalite caprine (AEC) avec une meilleure génétique. Elle espère ainsi accroître le rendement de ses chèvres de 15 à 30 % dès 2025.
Avec un peu moins d’animaux la première année, Thibault et ses sœurs visent à produire le même volume de lait qu’avec le troupeau actuel.
Le projet mijote depuis trois mois à la ferme La Suisse Normande. Les nouvelles chèvres, dont l’acquisition s’est conclue au début juin, remplaceront les lignées développées par la famille Guitel depuis 1991. Les nouveaux animaux proviennent d’une ferme ontarienne réputée au Canada pour sa génétique d’élite travaillée depuis 25 ans.
Les chèvres sélectionnées en Ontario par Thibault produisent un lait plus gras qui possède un taux de caséine, la protéine recherchée pour la fabrication de fromage, plus élevée. Une composante importante puisque l’entièreté de la production de La Suisse Normande est transformée à la fromagerie de la ferme. Grâce à l’amélioration génétique, la famille prévoit d’augmenter ses rendements fromagers, certifiés fermiers, d’au moins 4 %.
La fratrie conservera toutefois une centaine de chèvres du troupeau actuel testée négatives à l’AEC à la naissance. Ces chèvres sont actuellement en quarantaine dans un autre bâtiment à 10 minutes de la ferme, afin d’éviter la contamination par le troupeau positif.
Le nouveau cheptel sera transféré dans la chèvrerie en décembre.
Comme une voiture rouillée
Comme de la rouille sur la carrosserie n’empêche pas une voiture de rouler, l’AEC n’empêche pas, la majorité du temps, une chèvre de produire du lait. Toutefois, l’animal peut être incommodé par des symptômes variés qui peuvent l’empêcher d’atteindre son plein potentiel. Par exemple, la maladie peut s’exprimer par un trouble locomoteur léger qui réduira la capacité de déplacement de la chèvre, ce qui la fera moins manger et aura une incidence sur sa production de lait. « On remarque que les troupeaux positifs à l’AEC ont des productions moyennes par chèvre autour de 1 000 litres. C’est rare qu’on dépasse énormément ça. Dans les troupeaux négatifs, est-ce que c’est attribuable à l’éleveur, à la régie? On voit quand même des moyennes capables de monter à 1 200, 1 300, 1 400 litres. C’est pratiquement un tiers de plus de lait en partant », mentionne Thibault Guitel.
De plus, un troupeau négatif voit son taux de réforme diminuer en raison de la réduction du nombre de cas de boiterie ou de formes encéphalites, par exemple.
Le marché de la vente de sujets génétiques s’ouvre également pour la ferme. Un troupeau négatif à l’AEC sera susceptible d’intéresser d’autres producteurs québécois, estime Thibault. « Si, au Québec, le pool génétique est plus gros, l’amélioration génétique va plus vite. Ce sera bénéfique à toute la filière », dit-il.
En retard de 20 ans sur l’Europe
En France, depuis vingt ans, démarrer une ferme laitière caprine avec des animaux exempts d’arthrite encéphalite caprine (AEC) est la norme. L’Ontario a emboîté il y a environ 15 ans, indique l’ancien président des Producteurs de lait de chèvre du Québec, Christian Dubé. « Au Québec, on commence à penser comme ça. On a toujours été réticents à embarquer dans des projets comme ça, mais là on dirait que la roue est démarrée », dit-il en commentant l’expérience de la famille Guitel.
En production depuis plus de 25 ans et spécialisé dans la génétique caprine, Christian Dubé estime que la ferme La Suisse Normande est l’une des premières au Québec à échanger un aussi grand nombre de chèvres négatives à l’AEC. Ce dernier a procédé à la même expérience que Thibaut Guitel en 2010, mais par manque de disponibilité de chèvres au Québec, il a dû se résigner à rebâtir un troupeau exempt d’AEC avec ses propres chevrettes. Cela a eu pour effet de suspendre la production pendant huit mois. « À l’époque, ça n’existait pas, d’avoir la possibilité d’acheter un lot de chevrettes négatives [à l’AEC] et de repartir tout de suite en lait […] sans nécessairement perdre de production », dit-il.
En Europe, toutefois, il existe des pépinières de chevrettes, souligne Thibaut Guitel. « Demain matin, tu veux te démarrer, tu vides ton étable, t’as un contrat de 600 chevrettes avec une pépinière, c’est possible. Au Québec, ce n’est pas possible [… il faut] se créer un troupeau à la mitaine et ça va emmener des problèmes sanitaires. Ce n’est pas ce qu’on préconisait du tout. Là, on a une source unique [en plus de] nos animaux de relève, on sait plus à quoi s’attendre », dit-il.