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NOTRE-DAME-DE-STANBRIDGE – Des gens qui ne sont pas des agriculteurs évoluent souvent dans l’ombre du milieu agricole. Ils sont passionnés, essentiels et travaillent sans relâche. C’est le cas de Jocelyn Choinière, qui se lève à 3 h 30 du matin pour transporter le lait aux usines.
« J’ai commencé en 1982 avec mon père, qui avait acheté sa première run de lait en 67. À l’époque, c’était avec les bidons! Après, j’ai pris la relève et j’ai grossi la run. Entre 2010 à 2016, je n’avais pas d’employé, et je ramassais le lait 365 jours par année. Je n’ai pas pris une seule journée de vacances en six ans. Oui, j’ai connu de bonnes grippes. Oui ça feelait moins certains matins, mais je me levais pareil et j’étais content de le faire, car pour moi, c’est le plus beau métier du monde! » s’exclame M. Choinière, qui, à 63 ans, transporte encore du lait en Montérégie.
Avec le recul, aurait-il fait les choses différemment?
C’est par pur hasard que La Terre a été témoin de ce lien d’amitié entre transporteur et agriculteurs, puisque lors d’un reportage à la Ferme Alain Choinière, de Notre-Dame-de-Stanbridge, le 9 janvier, Jocelyn Choinière s’y est aussi arrêté avec son camion pour récupérer le lait. Pendant le pompage, il a discuté avec Nathalie Lessard et Alain Choinière, les propriétaires de la ferme. L’ambiance était joviale et les discussions, intéressantes, notamment sur les compensations gouvernementales et les traités de libre-échange.
Relève en baisse
L’avenir des fermes laitières familiales inquiète Jocelyn Choinière, lui qui recueille le lait chez une douzaine de fermes chaque jour et le livre à différentes usines, dont l’une à Granby qui produit du fromage, un parcours de 100 000 kilomètres par année.
« Je charrie 40 000 litres par jour, car j’ai un plus petit camion fait pour les fermes plus difficiles d’accès. Au début, je pouvais transporter le lait d’une cinquantaine de producteurs, et maintenant, c’est 26. Les fermes ont grossi. On a vu aussi beaucoup de producteurs disparaître. C’est dommageable, et c’est triste de voir de belles fermes laitières maintenant à l’abandon », constate-t-il.
Le phénomène de concentration touche aussi les acheteurs de lait, lui qui dénombrait beaucoup plus d’usines qui recevaient les camions quand il a commencé. Par conséquent, l’attente augmente dans les usines qui restent. « Quand tu arrives à midi et qu’il y a déjà 10 trucks qui attendent, ça devient long. J’ai déjà attendu jusqu’à quatre heures avant de me faire vider. C’est le côté plate. Et ce n’est pas ça qui va encourager les jeunes. Les transporteurs de lait vieillissent. Il n’y a pas tant de relève. Les jeunes trouvent ça moins intéressant de faire deux fins de semaine sur trois, d’attendre aux usines et de laver les camions chaque fois », analyse-t-il.
Les routes de lait ont pris de la valeur, mais leur prix est encore accessible pour la relève, dit-il, spécifiant que l’un des beaux côtés du secteur est qu’il n’y a pas de compétition entre camionneurs. « Le prix qu’on reçoit tous est basé sur le même calcul et les producteurs nous sont assignés par la fédération [des Producteurs de lait du Québec]. Donc même si je connais bien un producteur dans une autre paroisse, je ne pourrais pas aller le chercher. Tout le monde se respecte, et fait sa route », raconte-t-il.
Plus qu’un camionneur
En guise de « retraite », Jocelyn Choinière transporte le lait quatre jours par semaine pour Transport RPM St-Martin, à qui il a vendu sa route. Il décharge une première cargaison à l’usine à 4 h 30 du matin, effectue une nouvelle collecte de lait et retourne vider le tout vers 9 h 30, et ce, beau temps, mauvais temps. « Ce n’est pas toujours des conditions faciles. J’ai déjà connu une tempête le dimanche et les gars de charrue n’étaient pas sortis. Je savais qu’un de mes producteurs ne pourrait pas faire sa traite du soir si je ne passais pas. Je les ai tous appelés et ils m’ont dit : ‘’Viens-t’en, on va t’ouvrir le chemin avec nos tracteurs.’’ C’est du donnant-donnant. C’est ça, la beauté. Pour les producteurs, tu es plus qu’un camionneur », se réjouit-il, conscient que tous n’ont pas la même chance. Il a entendu des histoires où le camionneur s’est pris dans la cour d’une ferme et le producteur n’est pas sorti de sa maison. « Moi, ce n’est jamais arrivé, ça dépend du lien que tu crées avec eux, j’imagine. »
Après ces 40 ans de métier, et sachant qu’il a une famille, La Terre lui a posé la question qui tue : après ses six ans sans prendre congé et sans avoir une seule fin de semaine de libre, a-t-il encore une conjointe? « Ça fait 35 ans que je suis avec la même. Elle a été bonne de m’endurer, hein? » rigole le sympathique gaillard.