Grandes cultures 16 octobre 2023

Notre pain sera-t-il affecté par les changements climatiques?

Les changements climatiques sont sans équivoque, comme en témoignent les températures successivement plus chaudes et extrêmes ainsi que les précipitations irrégulières enregistrées au cours des dernières décennies.

La production agricole est vulnérable aux changements climatiques. En 2020, le rendement moyen du blé de printemps au Québec a chuté d’environ 30 % comparativement aux années 2017 à 2022. L’année 2020 a d’ailleurs été caractérisée par de très faibles précipitations au début de la saison (Tableau 1). Des pertes de rendement similaires ainsi que des symptômes records de fusariose ont aussi été observés en 2023, une année avec des sécheresses en début de saison suivies de précipitations fréquentes et excessives dans plusieurs régions du Québec. Les températures et les précipitations extrêmes, même au cours d’une seule saison, deviennent la nouvelle norme, et si 2020 et 2023 en sont une indication, les producteurs de céréales devront trouver de nouveaux moyens de protéger leurs cultures.

L’une des approches permettant de faire face aux contraintes liées à l’évolution des conditions climatiques consiste à développer des variétés de blé plus résilientes, pour lesquelles la variabilité génétique est la clé du succès. À cette fin, une collection internationale composée de 150 blés de printemps (cultivars ou lignées) des Amériques (Canada, Argentine, Brésil, Chili, Mexique, Paraguay, États-Unis et Uruguay) est en cours d’évaluation dans le cadre d’essais agronomiques sur cinq sites aux climats distincts : au Québec (Saint-Mathieu-de-Beloeil et Saint-Augustin-de-Desmaures), au Brésil, au Paraguay et en Uruguay (Figure 1).

La collection est évaluée pour ses caractéristiques physiologiques aériennes et souterraines (couverture végétale, indice de surface foliaire, indice de végétation par différence normalisée [NDVI], architecture du système racinaire), ses caractéristiques agronomiques (rendement de grains et composantes du rendement, hauteur, verse, maturité, etc.), sa résistance aux maladies et aux ravageurs et sa qualité boulangère. Les facteurs biotiques et abiotiques sont évalués dans des essais séparés, et des fongicides ont été utilisés lorsque possible pour tester la performance aux stress abiotiques.

Les résultats préliminaires ont révélé une grande variation entre les cultivars. Certains cultivars ont montré une performance supérieure sur plusieurs sites expérimentaux avec des conditions climatiques très différentes, et ce sont les blés que nous recherchons. Le rendement moyen le plus élevé a été enregistré au Brésil avec 6,3 tonnes/hectare (de 1,8 à 9,2 t/ha) (Figure 2.A). Les cultivars québécois AAC Maurice et AAC Volta (développés par Agriculture et Agroalimentaire Canada et le CÉROM) ont donné 6,7 et 6,5 t/ha respectivement au Brésil en 2022, et la lignée québécoise CRGB-05C.05177 a atteint 8,3 t/ha. Des variations de poids spécifique (52 à 85 kg/hectolitre; Figure 2.B) et de poids du grain (20 à 52 g; Figure 2.C) ont été observées. La protéine du grain a été évaluée à Saint-Mathieu-de-Beloeil et au Brésil, et la lignée de l’Est du Canada CRGB-08C.153 a obtenu le taux de protéine le plus élevé aux deux sites.

Les cultivars démontrant une bonne adaptation avec des rendements élevés au Québec et en Amérique du Sud ont probablement un plus grand potentiel à bien tolérer les stress liés aux changements climatiques. Une fois les cultivars de blé robustes identifiés, il faudra transférer les gènes de résilience aux blés québécois au moyen de croisements. Cette étape a d’ailleurs déjà commencé au CÉROM. Afin de rendre ce processus aussi efficace que possible, l’ADN de la collection de blé est étudié avec l’objectif d’identifier les régions du génome qui sont liées aux caractéristiques de tolérance et d’adaptabilité. Il est par la suite possible d’utiliser des marqueurs moléculaires correspondant à la région du génome convoitée pour sélectionner les lignées qui présentent ces caractéristiques. 

Grâce à des collaborations pancanadiennes et internationales, nous avons également la possibilité de caractériser la collection de blé pour la résistance aux maladies, y compris la fusariose des épis, la rouille jaune et brune, l’oïdium, les taches foliaires, certaines maladies bactériennes et virales, ainsi que la pyriculariose. Une fois la bonne résistance trouvée, celle-ci pourra également être incorporée dans les blés québécois afin de réduire les besoins en produits phytosanitaires.

Ultimement, ce projet devrait empêcher que la production végétale ne soit dévastée par les ravageurs et les conditions climatiques extrêmes liées aux changements climatiques. Le blé est une culture répandue dans le monde entier, qui s’est adaptée à de nombreux environnements. Devant la variabilité de ceux-ci, il sera de plus en plus important de s’appuyer sur des partenaires du monde entier afin de développer des blés qui résisteront à notre nouvelle réalité climatique.

L’étude est réalisée grâce à la collaboration et au soutien financier du Consortium de recherche et innovations en bioprocédés industriels au Québec (CRIBIQ), de MITACS, des Producteurs de grains du Québec (PGQ), de SeCan, des Moulins de Soulanges, de l’Université Laval, de l’OR Genética de Sementes, de la Cámara paraguaya de exportadores y comercializadores de cereales y oleaginoses (CAPECO) et de l’Institut Nacional de Investigación Agropecuaria Uruguay (INIA). Ce projet est financé par le programme Agri-science dans le cadre du Partenariat canadien pour une agriculture durable, une initiative fédérale, provinciale et territoriale. Il est soutenu par Concertation Grains Québec.


Cet article a été publié dans l’édition d’octobre 2023 du magazine GRAINS.