Grandes cultures 21 octobre 2024

L’épineuse question du rendement des pâturages


Faute de données québécoises et de mesures de rendement adéquates, il est plus facile d’évaluer le rendement d’une production de grains ou de céréales que celui des cultures qui proviennent des pâturages. Or, deux initiatives pourraient permettre de rectifier le tir dans les prochaines années et de mesurer avec plus de précision le rendement d’une prairie.

« Le rendement des pâturages, c’est moins “sexy” que le rendement du maïs ou de quelque céréale que ce soit », a lancé d’emblée Marie-Pier Beaulieu, gestionnaire d’un projet de recherche du Pôle-PFQ du Conseil québécois des plantes fourragères (CQPF), lors de sa conférence à la 36e Journée à foin qui déroulait à la Ferme expérimentale de Saint-Lambert-de-Lauzon. Rappelons que le Pôle-PFQ a pour mission de concerter et de coordonner les actions et les partenaires de la recherche, de la formation et du transfert technologique pour réaliser le potentiel du secteur des plantes fourragères. 

« Ça demande d’être plus ratoureux pour obtenir les infos et il y a plus de variabilité », a ajouté Mme Beaulieu. C’est pour remédier à cette situation que Marie-Pier travaille sur un projet de recherche que chapeaute le CQPF.

Un projet qui va nous permettre de quantifier et d’évaluer les méthodes qui existent pour calculer les rendements aux champs des plantes fourragères pérennes : pâturages, ensilage, foin sec.

Marie-Pier Beaulieu, gestionnaire de projets au CQPF

Une deuxième phase, encore embryonnaire, sera également réalisée en collaboration avec l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue (UQAT) « afin d’outiller, dès l’automne 2024, une quinzaine de producteurs “pilotes” pour faire des mesures de rendement », ajoute-t-elle. 

Claudia Caouette, chargée de projet au CRAAQ

Un budget pâturages en rotation plus réaliste

En plus de ce projet de recherche, la toute dernière version de l’étude sur le budget pâturages en rotation, réalisée par le Centre de référence en agriculture et agroalimentaire du Québec (CRAAQ), offre quelques pistes pour améliorer le rendement des pâturages. Cette version, qui a été mise en ligne le 16 octobre, offre une analyse plus réaliste de la réalité aux champs en raison de la prise en compte de paramètres ignorés jusqu’alors. « On renseigne maintenant sur le coût d’exploitation d’un pâturage; par exemple, combien ça coûte d’amener les animaux et de les déplacer selon le mode de gestion en continu, en rotation ou en bandes », explique Claudia Caouette, chargée de projet au CRAAQ. « L’ancien budget n’intégrait pas la notion de rotations », précise-t-elle.

Le mode de gestion par bandes, une option rentable

Selon ce budget, la gestion en bandes offre sans conteste plus de rendement que la gestion en rotation ou en continu. Ce mode de gestion, dans laquelle le champ est divisé en plusieurs parcelles où les animaux séjournent quelque temps, a notamment l’avantage d’offrir un pâturage de qualité sur de petites surfaces mieux contrôlées. « Il nécessite toutefois l’implantation de clôtures mobiles et des visites quotidiennes au champ, ce qui n’est pas le lot de tous les agriculteurs », estime l’agronome.

Aucune donnée n’existe pour savoir quels producteurs ont recours au mode de gestion en bandes, une pratique qui varie selon les régions. « En Abitibi, par exemple, les terres ne coûtent pas cher, alors les agriculteurs ont moins d’avantages à y aller de cette façon-là [en bandes], mais on est beaucoup plus résilients face à une mauvaise année », souligne Claudia Caouette. « C’est pour ça que le projet de recherche qu’a présenté Marie-Pier Beaulieu lors de la Journée à foin devrait nous être utile », conclut-elle.



Stratégies différentes, même succès 

Les expériences et stratégies fourragères bien différentes de deux producteurs de l’Estrie, Michel Crête et Marc-André Léger, ont suscité plusieurs échanges entre les participants à la 36e Journée à foin du Conseil québécois des plantes fourragères (CQPF), qui s’est tenue à la Ferme expérimentale à Saint-Lambert-de-Lauzon, le 17 septembre dernier. 

La clé pour un meilleur rendement des pâturages selon les deux agriculteurs? S’adapter au type de sol et ne négliger aucun élément, de la qualité des semences au meilleur moment de faire l’épandage de fumier.

Une douzaine de kilomètres à peine séparent les entreprises agricoles de Michel Crête et Marc-André Léger en Montérégie-Ouest, deux fermes de trois générations avec vaches en lactation. Aujourd’hui, Michel et Marc-André récoltent chacun de cinq à six tonnes à l’hectare, mais de leur propre aveu, ils n’ont pas toujours connu de tels rendements. « Ils ont pratiquement doublé leur rendement à l’hectare en 5 à 10 ans », confirme leur conseillère en production animale, Karolan Dion-Bougie, des Moulées A&M Mathieu. Elle estime que les deux producteurs ont ainsi un coût d’alimentation similaire, mais que leur revenu par vache est lié aux qualités fourragères de chacun, et ce « même s’ils n’utilisent pas les mêmes cultivars ou variétés avec la même régie ». Tant chez Marc-André que chez Michel, aucun pâturage n’est laissé au hasard, des conditions de récolte aux conditions d’entreposage.

Karolan Dion-Bougie, conseillère en production animale, et Marc-André Léger et Michel Crête, deux producteurs en Montérégie-Ouest Photo : Eugénie Emond

Contrôler le pH du sol

Michel Crête affirme que ses rendements ont augmenté à partir du moment où il s’est vraiment attardé au pH du sol. « J’ai baissé mes quantités d’azote pour les éléments mineurs et ça a été la clé. Le sélénium, on l’oublie souvent. J’ai commencé à avoir vraiment de bons rendements en 2020. Avant ça, j’avais ben de la misère », relate-t-il. 

Quant aux fertilisants, Marc-André amende son sol avec du phosphore en plus du purin, son pH étant moins élevé que celui de son collègue. Michel privilégie le fumier liquide entre la deuxième et troisième coupe de foin durant l’été, mais jamais à l’automne. « Le critère de base : épandre le plus rapidement possible après les coupes parce qu’on endommage la luzerne », estime Michel Crête. Ce dernier n’ajoute pas non plus de phosphore au printemps, « parce que le fumier en apporte assez ». De son côté, Marc-André Léger ne sort pas les épandeuses trop tôt au début de la saison. « Au printemps, les terres ne sont pas prêtes à recevoir les équipements [pour l’épandage du fumier]. Dans le sud, on commence l’application de fertilisants aux alentours de la mi-avril », note-t-il.

« Ils ont pratiquement doublé leur rendement à l’hectare en 5 à 10 ans. » – Karolan Dion-Bougie, conseillère en production animale Photo : Shutterstock

Choisir le nombre de coupes 

Pour Michel Crête, chaque décision passe par une connaissance fine de son terrain. Le choix du nombre de coupes au champ en découle aussi. Michel fait quatre coupes par été, alors que Marc-André en fait trois. Sur quoi baser cette décision? 

« L’objectif n’est pas de dire si vous devez être à trois ou quatre coupes, mais ça dépend de ce que tu vises comme entreprise. Avant, j’en faisais cinq, mais je n’avais pas d’aussi bons rendements », nuance Michel. 

Marc-André Léger, quant à lui, préfère diminuer le nombre de coupes pour gagner en flexibilité. « Même si je suis dans une région de quatre coupes, en faire trois me donne un peu plus de temps durant l’été pour effectuer d’autres tâches connexes », lance-t-il.

Les deux producteurs ont également fait le choix de ne pas lésiner sur la qualité des cultivars tout en privilégiant une luzerne adaptée à leur région et en évitant de prendre « des mélanges à rabais », insiste Marc-André Léger. « Le bénéfice est dans les marges que vous pouvez dégager parce que, qu’on ramasse cinq tonnes de matière sèche à l’hectare ou trois tonnes, c’est le même coût de récolte. D’où l’intérêt de maximiser la production », résume-t-il.

Deux fermes de trois générations avec vaches en lactation

Ferme DuSmith (Marc-André Léger) – Saint-Anicet

Production laitière : 152 kg/jour, 95 vaches en lactation en moyenne

Cultures : 380 hectares (ha) 1,13 ha en pâturage, 168 ha en soya, 129,5 ha en maïs-grain, 30,76 ha en maïs ensilage, 36,42 ha en foin (prairie) et 13,76 ha en céréales

Ferme Norvue (Michel Crête) – Sainte-Agnès-de-Dundee

Production laitière : 140 kg/jour, 86 vaches en lactation en moyenne

Cultures : 205,58 ha 30,35 ha en foin (prairie), 18,21 ha en maïs ensilage, 44,52 ha en maïs-grain et 113,31 ha en soya