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Les productrices se font de plus en plus présentes aux conseils d’administration des syndicats agricoles. Toutefois, ces instances sont encore loin d’atteindre la parité. Des initiatives sont mises en place pour accroître leur participation, mais les défis subsistent.
Dans le monde souvent perçu comme masculin des syndicats agricoles, le vent est en train de tourner. Selon des données récentes, la proportion de femmes élues aux conseils d’administration des fédérations régionales de l’Union des producteurs agricoles (UPA) a connu une augmentation substantielle, passant de 5 % en 1987 à près de 17 % en 2022.
Ce changement, bien que progressif, est le signe d’une volonté croissante d’inclusion et de diversité dans les syndicats affiliés de l’UPA. Différentes initiatives ont été mises en place ces dernières années pour que les femmes prennent davantage part aux décisions syndicales. Ainsi, en 2018, les Agricultrices du Québec ont lancé Embarque!, un programme de mentorat politique qui permet à une administratrice nouvellement élue ou en poste de recevoir le soutien d’une femme expérimentée afin de développer ses compétences. Un accompagnement qui fait une différence.
« Beaucoup de femmes hésitent à prendre un poste électif parce qu’elles ne se sentent pas bien outillées pour faire partie d’un CA, explique France De Montigny. La mentore est là pour répondre aux questionnements de sa mentorée, lui apprendre le fonctionnement des différentes structures syndicales. Elle a aussi la possibilité de la faire connaître auprès de son réseau. Les occasions de réseautage manquent souvent aux agricultrices. »
Ce programme de mentorat, qui offre plusieurs outils, dont un guide et une formation sur la prise de parole en public, s’apprête à connaître une seconde jeunesse avec le lancement d’une version 2.0 prévue à l’automne, précise Mme De Montigny. En 2022, les Agricultrices du Québec ont aussi mis sur pied le programme Perspective +, une initiative qui offre aux affiliés de l’UPA et aux syndicats d’agricultrices un soutien spécialisé dans la mise en œuvre d’actions concrètes pour favoriser l’implication des femmes et des personnes de la diversité au sein de leur conseil d’administration.
« On est en mesure de les aider à identifier leurs besoins et à développer un plan d’action. C’est un accompagnement à la carte, affirme France De Montigny. On propose également des outils et diverses activités de formation, dont une sur les biais inconscients à défaire pour convaincre les femmes de s’engager dans le milieu syndical. »
La cible à atteindre est de 30 % d’administratrices au sein des conseils d’administration. « C’est un chiffre qui rejoint le pourcentage de femmes propriétaires ou copropriétaires d’exploitation agricole au Québec, soit 27 % en 2022. C’est aussi une proportion qui permet de véritablement changer la dynamique au sein des conseils d’administration », affirme Mme De Montigny.
Les Agricultrices du Québec, qui comptent maintenant 600 membres, misent sur un effet boule de neige pour y arriver. « Plus il y a de femmes présentes, plus il est facile pour d’autres de s’intégrer et de se sentir à leur place », ajoute-t-elle.
Dans certains syndicats, la représentativité des femmes atteint ou dépasse la cible. Il y a donc lieu d’être optimiste, d’autant plus que le bassin de recrutement se remplit. La proportion de jeunes femmes de moins de 40 ans qui deviennent productrices agricoles a considérablement augmenté, passant de 22 % en 2010 à 38 % en 2020, selon les plus récentes données du Portrait de la relève agricole au Québec.
Vaincre les résistances
Malgré ces avancées, des obstacles persistent. Si les femmes se font rares, ce n’est pas uniquement parce qu’elles sont difficiles à identifier, mais souvent parce qu’elles sont réticentes à s’engager. Nombre d’entre elles doutent de leurs compétences, évoquant le fameux syndrome de l’imposteur, ce sentiment trompeur de ne pas être à la hauteur des responsabilités. De plus, l’éternelle question de la conciliation entre vie professionnelle et vie familiale reste, pour beaucoup, un frein majeur.
Conscients de cette réalité, des syndicats prennent des mesures pour encourager la participation féminine. « On paie les frais de gardiennage pour faciliter leur présence aux réunions du conseil, explique Véronique Guizier, présidente du conseil des Agricultrices de l’Estrie. Une pratique qui tend à se répandre. »
« Les femmes ont des atouts indéniables à apporter au sein des conseils, ajoute-t-elle. Elles se distinguent souvent par leur préparation méticuleuse avant les réunions. Elles ont étudié les dossiers en profondeur pour formuler des opinions éclairées et proposer des solutions constructives. Elles démontrent également un grand sens de l’organisation. »
Il est donc important que les femmes surmontent leurs appréhensions et s’engagent activement. « En faisant partie d’un conseil, on participe aux décisions. Si on n’y est pas, on subit », explique Véronique Guizier, copropriétaire de la Ferme Erb – La Grange Maraîchère, à Magog.
Karine Vachon : Faire une différence
Karine Vachon s’est un peu fait prier avant de se porter candidate à un poste au CA du syndicat des Producteurs de grains de l’Estrie. « Le président a cogné à ma porte à quelques reprises. J’ai fini par accepter pour avoir l’opportunité de partager mes idées », raconte celle qui occupe le siège de vice-présidente.
Elle est ainsi devenue la première femme à siéger au conseil du syndicat. « J’agace les autres administrateurs en disant espérer qu’ils sont venus me chercher pour mes idées et mes compétences, non pas parce que je suis une femme », lance-t-elle en riant.
Elle apprécie leur ouverture. « Je me sens l’égale des autres. Je n’ai pas eu besoin de défendre ma place », dit-elle.
Karine Vachon n’a jamais eu peur de s’engager, elle qui a donné de son temps autant à la garderie et à l’école de ses enfants qu’à la coopérative agricole de sa région. Copropriétaire de la Ferme JF Bolduc, de Compton, en Estrie, qui se spécialise dans la culture des grains (maïs et soya) en plus d’exploiter une érablière, elle est une des encore trop rares femmes du domaine des grains à être active au CA de son syndicat.
« Il y a moins de productrices dans notre secteur; le bassin de recrutement est plus limité », explique-t-elle.
Comme bien d’autres, elle s’est engagée parce qu’elle « aime faire bouger les choses ». « Je suis à la bonne place pour partager mon point de vue et prendre part aux décisions. Même si celles-ci ne vont pas toujours dans le sens que l’on voudrait, on arrive à trouver un consensus en groupe. Cela permet d’avancer collectivement », explique-t-elle.
Un des dossiers qui l’a accaparée ces derniers mois, c’est l’organisation de la Tournée des grandes cultures en Estrie. « On a travaillé fort pour obtenir la participation des agriculteurs de la région. On s’est promenés de ferme en ferme pour échantillonner les champs à quelques reprises au cours de l’été afin d’avoir un aperçu des récoltes à venir et de leur qualité. Pour cela, il a fallu constituer des équipes de quatre personnes, ce qui n’était pas une mince tâche. Pour nous, producteurs, c’est important d’avoir cette information pour mieux gérer la commercialisation. »
Sur un plan plus personnel, sa présence au conseil lui permet de rencontrer d’autres producteurs et de partager des idées sur des enjeux communs. « On devient des collègues et on se sent moins seuls », dit-elle.
Karine Vachon le concède, la conciliation entre la famille, le travail et l’engagement syndical n’est pas toujours facile. « Mon mari a longtemps été impliqué au conseil de la coopérative agricole. Aujourd’hui, c’est à mon tour. On se partage les rôles. Il y a quand même des périodes plus difficiles, lors des semences ou à la saison des sucres. Heureusement, nos deux enfants sont aujourd’hui adultes; c’est plus facile de trouver du temps », explique celle qui est entre autres responsable de la gestion financière et de la commercialisation des grains à la ferme familiale.
Ange-Marie Delforge : un engagement indéfectible
Ange-Marie Delforge a fait son entrée dans le monde syndical agricole il y a plus de 25 ans. Elle était alors la seule femme parmi une douzaine d’hommes au conseil d’administration du Syndicat de l’UPA de Vaudreuil-Soulanges. Depuis mars 2022, elle en occupe le siège de présidente.
Pour la copropriétaire de la Ferme Thomas et Delforge, de Coteau-du-Lac, spécialisée dans la culture de grains et de légumes de conserverie, s’engager dans le milieu syndical allait de soi. « J’y suis allée davantage en tant qu’agricultrice que femme. Mon objectif était de valoriser la profession et de faire avancer les dossiers », dit celle qui est aussi active au sein du conseil du syndicat des Producteurs de grains Montérégie-Ouest en plus d’être la représentante de son syndicat local à la Fédération de l’UPA de la Montérégie.
Au fil des ans, elle a été témoin d’une transformation notable au sein de son syndicat local. Aujourd’hui, 35 % des membres du conseil sont désormais des femmes. « Ça s’est fait un peu tout seul », soutient-elle. En tant que présidente, elle a à cœur d’assurer la relève. « Mon souci principal est d’avoir des personnes engagées, qu’elles soient hommes, femmes ou jeunes. L’essentiel est leur passion pour l’agriculture et leur volonté de la voir prospérer », explique-t-elle.
Néanmoins, elle déplore qu’encore beaucoup de femmes hésitent à prendre leur place, estimant qu’elles doivent maîtriser les dossiers avant de s’engager. « L’important, c’est de participer. La connaissance vient avec le temps », rassure la présidente.
Si la conciliation entre le travail agricole, les responsabilités syndicales et la famille est souvent une barrière pour les femmes, les outils de communication modernes aplanissent ces difficultés, selon elle. « Il y a les réunions à distance qui économisent du temps de déplacement. Aussi, je peux régler bien des questions avec le cellulaire même en étant au volant de mon tracteur », raconte la mère de deux enfants aujourd’hui adultes.
Elle retire une grande satisfaction à faire bouger les choses. Cela a été le cas notamment lors d’une tournée des élus dans Vaudreuil-Soulanges. « On a parcouru quelque 150 km en autobus pour aller à la rencontre des maires, des préfets de MRC et des députés. On est appelés à travailler ensemble sur différents dossiers comme le schéma d’aménagement. On voulait favoriser la collaboration. Cela nous a aussi permis de rencontrer des agriculteurs et agricultrices qui étaient prêts à nous aider sur certains dossiers sans pour autant siéger au CA », raconte Ange-Marie Delforge.
Une des réalisations dont elle est la plus fière, c’est d’avoir réussi à convaincre Hydro-Québec de changer le tracé d’une ligne de transport d’électricité qui passait sur des terres agricoles. « On m’avait dit que je n’arriverais jamais à les faire changer d’avis. On a eu plusieurs réunions et on est arrivés à s’entendre sur un tracé qui satisfaisait tout le monde », explique la productrice qui s’est découvert un talent de négociatrice. « Je suis fonceuse. Si on veut faire avancer les choses, il faut sortir de sa zone de confort », dit celle qui est aussi reconnue pour sa capacité de rassembler les gens autour d’un enjeu commun.
Marie-Claude De Martin : jouer un rôle dans la force syndicale
Marie-Claude De Martin est administratrice au syndicat des Producteurs de grains Montérégie-Ouest depuis bientôt 10 ans. Avant cela, elle a occupé un siège au conseil de la Fédération de la relève agricole du Québec. Elle s’en souvient comme d’une période formatrice. « C’est un bon endroit pour faire ses premières armes. On y apprend les rouages du monde syndical », affirme la productrice, membre de la troisième génération aux Fermes Ajiro, de Godmanchester, en Montérégie, où sont cultivés du maïs, du soya et du blé d’automne.
La présence de femmes au sein du conseil d’administration des Producteurs de grains a longtemps été minime. « Au début, j’étais la seule femme. On est maintenant trois. » Elle reconnaît que le recrutement demeure un défi. « Les candidats, autant hommes que femmes, ne se pressent pas aux portes. Il y a actuellement deux postes vacants au conseil sur un total de neuf », explique Mme De Martin.
Le rôle des administrateurs d’un syndicat agricole ne doit pas être sous-estimé, selon elle. « Cela permet d’être au courant des dossiers qui nous concernent et de faire connaître nos enjeux. Cela a été le cas notamment lors de la crise du propane causée par la grève du CN en 2019. On s’est rapidement mobilisés pour faire entendre notre voix en organisant une manifestation des producteurs au centre-ville de Montréal. Le dossier s’est réglé peu après. »
Cette mère de trois garçons âgés de 9 à 14 ans jongle assez bien avec ses responsabilités familiales, le travail à la ferme et les activités syndicales. « Les réunions du conseil sont plus fréquentes en hiver et se tiennent généralement le soir. On s’adapte à l’horaire des producteurs qui sont forcément moins disponibles durant l’été », dit-elle.