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La tordeuse des bourgeons de l’épinette ne fait pas de distinction entre la forêt publique et privée. Les superficies touchées par la tordeuse des bourgeons de l’épinette (TBE) augmentent rapidement.
Le ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs (MFFP) évalue à 7 millions d’hectares les superficies infestées en 2016, une hausse de 11 % comparativement à 2015. En forêt privée, le ravageur inquiète particulièrement au Bas-Saint-Laurent et au Saguenay–Lac-Saint-Jean, où 53 % et 39 % respectivement des superficies privées sont infestées (voir le tableau 1). En Gaspésie et dans Chaudières-Appalaches, la présence de l’insecte se fait également sentir. Mais le déplacement de la TBE est difficile à prévoir, car plusieurs facteurs influencent sa dispersion, comme les vents dominants et les conditions climatiques au printemps et à l’automne.
À la Fédération des producteurs forestiers du Québec (FPFQ), on fait pression sur les gouvernements provincial et fédéral afin qu’ils interviennent et investissent les sommes nécessaires pour atténuer les impacts de l’épidémie en forêt privée. On estime présentement que 13 000 propriétaires subissent les conséquences de l’épidémie. Et ce n’est que le début. Il est clair que les programmes d’aide actuels ne pourront pas répondre aux besoins d’aménagement forestier. Ainsi, les producteurs de boisés privés demandent de l’aide pour offrir un encadrement technique aux propriétaires touchés, favoriser la récupération des bois dépérissants, protéger par des arrosages à l’insecticide biologique Btk les peuplements forestiers trop jeunes pour être récoltés et, finalement, reboiser les sites récoltés.
En début d’épidémie, les arbres légèrement affectés peuvent toujours être envoyés aux scieries. Par contre, au fur et à mesure que la sévérité des dommages augmente, le bois récolté ne répond plus aux critères de ces dernières. Si, dans le passé, ces arbres trouvaient preneurs chez les petites papetières aujourd’hui disparues, les producteurs forestiers se retrouvent aujourd’hui devant un défi majeur : trouver des débouchés pour leur bois. Pour éviter de récolter du bois trop endommagé, ils procèdent actuellement à de la prérécupération.
Des actions concertées
La FPFQ et le Regroupement des sociétés d’aménagement forestier du Québec (RESAM) ont mis sur pied une cellule d’urgence sur la gestion de l’épidémie de la TBE en forêt privée. En effet, l’épidémie est considérée comme une crise majeure dont les impacts négatifs seront fort importants pour tout le secteur de la forêt privée. La cellule vise à faire circuler les informations et à appuyer les régions dans leurs efforts pour atténuer les impacts de l’épidémie.
Des initiatives régionales
Au Bas-Saint-Laurent, la TBE a fait son apparition en 2012. Aujourd’hui, un peu plus de la moitié des superficies de la forêt privée est affectée d’une défoliation légère, modérée ou grave. Le dernier relevé aérien réalisé par le MFFP a permis de constater que les superficies gravement atteintes sont en recul. De 2015 à 2016, le pourcentage de défoliation grave est passé de 22 % à 12 % et la défoliation légère de 25 % à 59 %. « Cela donne un répit aux arbres », mentionne Martin Lepage, directeur des services forestiers à l’Agence régionale de mise en valeur des forêts privées du Bas-Saint-Laurent. En fait, la mortalité des arbres survient lorsque la sévérité de la défoliation est importante et récurrente. Ainsi, la diminution de l’intensité de la défoliation donne un temps supplémentaire pour étaler la récolte. L’Agence développe actuellement un plan d’intervention pour les 10 prochaines années. « On souhaite pouvoir améliorer notre façon d’anticiper l’épidémie et croiser les informations afin de minimiser les pertes de bois dans le temps », explique Martin Lepage. Cela permettrait de déterminer la fenêtre optimale pour récolter tout en minimisant les pertes. « Présentement, le plan d’intervention vise les superficies matures. Leurs récoltes seront moins étalées dans le temps. Par contre, pour les plantations plus jeunes, on intervient seulement en cas de force majeure, lorsque la mortalité est imminente. C’est notre réservoir de bois pour les 20 ou 30 prochaines années », indique Martin Lepage. L’Agence commence aussi à documenter les plantations d’âge intermédiaire (de 20 à 35 ans). « Ces peuplements sont intéressants pour la TBE, mais les chercheurs affirment que ces arbres devraient être en mesure de résister. Nous, on veut documenter le phénomène », précise Martin Lepage.
Et l’arrosage comme solution? « Ce serait un outil supplémentaire intéressant qui pourrait permettre d’étaler encore davantage la récolte. Cependant, la forêt privée est très morcelée et compte de nombreux propriétaires. La coordination ne serait pas si facile », ajoute-t-il.
Au Syndicat de producteurs de bois de la Côte-du-Sud, l’ingénieur forestier Vincent Lévesque précise que la TBE commence à peine à faire son arrivée sur le territoire, mais ajoute que ce n’est qu’une question de temps avant que les vents l’amènent dans la région la saison prochaine. Pour mieux faire face à l’éventuelle attaque de la TBE, le secteur tente de s’organiser. Ainsi, trois syndicats de producteurs – Québec, Beauce et Côte-du-Sud – et deux agences de mise en valeur de la Chaudière et des Appalaches développent actuellement un plan de caractérisation de la vulnérabilité des peuplements forestiers et des investissements sylvicoles à protéger.
« On souhaite devancer l’épidémie et récupérer les peuplements les plus vulnérables », mentionne Vincent Lévesque. En cartographiant les boisés les plus vulnérables et en évaluant les volumes de bois menacés, on pourrait indiquer aux propriétaires forestiers où commencer la récolte avant que des dommages trop importants ne soient causés. Le regroupement a aussi obtenu du financement pour l’organisation d’activités de transfert de connaissances, notamment de journées d’information sur les méthodes d’aménagement en période d’épidémie, par exemple.
Des épandages en forêt privée
Au Saguenay–Lac-Saint-Jean, un projet pilote d’arrosage à l’insecticide biologique Btk a été réalisé sur 1100 hectares. En effet, la TBE progresse dans la région et 39 % de la superficie des forêts privées est touchée à divers degrés. « Nous avons commencé à faire des coupes de peuplements âgés de 30-35 ans afin de récupérer le bois », indique Martin Lavoie, directeur général des agences de mise en valeur des forêts privées du Saguenay et du Lac-Saint-Jean. Ainsi, les acteurs de la région, le Syndicat des producteurs de bois du Saguenay–Lac-Saint-Jean, les agences de mise en valeur des forêts privées et les sociétés sylvicoles de Mistassini, Saguenay et Chambord, se sont mobilisés pour lancer un projet pilote d’arrosage. En tout, 83 producteurs forestiers privés ont participé au projet. Les peuplements choisis sont ceux ayant été traités en éclaircie précommerciale et les plantations de 20 à 35 ans souffrant de défoliation sévère. « Les parcelles identifiées ont toutes été validées sur le terrain et le propriétaire devait démontrer un intérêt et s’engager à assumer 50 % des coûts », précise Martin Lavoie.
La réalisation du projet a été confiée à GDG Environnement, un centre d’expertise multidisciplinaire regroupant entre autres des biologistes et des entomologistes. « Nous avons développé différents protocoles de suivi et des stations témoins pour le sapin baumier et l’épinette blanche », souligne Richard Vadeboncoeur, responsable du contrôle de la TBE chez GDG Environnement. Le projet s’est déroulé du 3 au 18 juin à des stades précis de développement des larves de la TBE et des bourgeons de l’arbre. Dans cette courte fenêtre d’intervention, deux applications de Btk ont été réalisées à 5-7 jours d’intervalle. Le pourcentage de défoliation des parcelles témoins a atteint 80 à 100 % et celui des parcelles traitées, 10 à 12 %. « L’application de Btk permet vraiment de sauver des arbres », indique Richard Vadeboncoeur.