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À sa sortie de l’arbre, la sève d’érable contient approximativement 2 % de solides solubles totaux. Pour réduire les coûts associés à sa transformation en sirop d’érable et augmenter l’efficacité globale du procédé, plusieurs entreprises acéricoles concentrent la sève avant son entrée dans l’évaporateur.
Bien que typiquement utilisés pour amener la sève d’érable à des valeurs entre 8 et 12°Brix, les méthodes de séparation membranaires ont beaucoup évolué depuis quelques années. Grâce aux améliorations et aux progrès récents de cette technologie en acériculture, il est maintenant possible d’obtenir de la sève à une concentration supérieure à 30°B en éliminant plus de 95 % d’eau. Bien que se soldant par des gains économiques substantiels pour les entreprises, l’industrie acéricole s’interroge sur l’impact de cette nouvelle technologie sur les propriétés du sirop d’érable. Les principaux questionnements portent sur le fait que concentrer la sève à des niveaux aussi élevés pourrait avoir une incidence défavorable sur la qualité du sirop d’érable étant donné la réduction importante de la durée du traitement thermique occasionnée. Le Centre ACER, en collaboration avec les conseillers acéricoles du ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec (MAPAQ) et les Producteurs et productrices acéricoles du Québec (PPAQ), a donc étudié, de façon exploratoire, l’effet de l’utilisation d’une sève d’érable à un haut niveau de concentration sur la couleur, la qualité organoleptique et les propriétés nutritives du sirop d’érable en comparaison avec les « procédés conventionnels ».
Couleur du sirop d’érable
Afin de vérifier l’impact de la technologie sur la couleur et la qualité organoleptique (saveur) du sirop d’érable en grand contenant (vrac), 430 201 données de classement des années 2018 et 2019 combinées ont été analysées. L’étude a révélé que le sirop d’érable produit par le groupe Haut Brix (30°B et plus) avait une transmittance moyenne significativement plus élevée (couleur plus claire) que le groupe Référence (8 à 25°B), provoquant ainsi un certain décalage vers les classes de couleur plus claires. Toutefois, il est important de noter que l’écart est de seulement 7 % de transmittance en moyenne entre les deux groupes et que le lien entre le niveau de concentration de sève et la transmittance est plutôt faible. Cela indique que ce paramètre n’est possiblement pas le seul impliqué.
Défauts de saveur du sirop d’érable
L’analyse des données a également permis de constater que la qualité organoleptique globale du sirop d’érable est semblable pour les deux groupes Haut Brix et Référence. Tous deux ont produit, de manière générale, autant de sirops d’érable OK (sans défaut), √, VR et CT. En revanche, en analysant de plus près, on remarque que la catégorie de défauts de saveur VR (VR1, VR2, VR4, et VR5), correspondant environ à 14 % des sirops d’érable produits en 2018 et 2019, contient 16 % moins de sirops d’érable VR1 et 16 % plus de sirops d’érable VR4 chez le groupe Haut Brix. L’intensité plus faible des réactions à l’origine du développement des goûts de caramélisé et/ou de brûlé pourrait hypothétiquement être ici en cause puisqu’en 2019, le groupe Haut Brix semble avoir produit un peu moins de sirop d’érable de type VR13 (surcaramélisé) comparativement au groupe Référence. Cette observation devrait cependant être validée par une étude plus approfondie.
Valeur nutritive du sirop d’érable
Le pH, le pouvoir antioxydant, la teneur en polyphénols totaux et en minéraux ont été comparés pour les deux groupes à l’étude, et ce, sur plus de 170 échantillons de sirops d’érable de l’année 2019, répartis dans chaque classe de couleur et dans les différentes tailles d’entreprises (nombre d’entailles). L’analyse globale des données a démontré que la concentration de la sève à un haut niveau semblait favoriser un sirop d’érable dont le pH est légèrement plus acide et dont la teneur en magnésium, sodium, fer, manganèse, ainsi qu’en minéraux totaux, est en général un peu plus élevée comparativement au groupe Référence. Le pouvoir antioxydant semble en général plus élevé dans les sirops d’érable plus foncés, et ce, de façon plus marquée, pour le groupe Référence, particulièrement dans les classes de couleur Foncé et Très foncé. L’analyse des résultats par classe de couleur a révélé à peu près les mêmes tendances que celle globale pour les minéraux et le pouvoir antioxydant, surtout pour la catégorie Foncé. Les différences observées sont, par contre, suffisamment minimes pour permettre de dire qu’à classe de couleur égale, les propriétés nutritives du groupe Haut Brix et du groupe Référence sont comparables. Les données obtenues sont généralement représentatives de celles observées dans la littérature ainsi que dans la fiche industrielle du sirop d’érable du Québec, sauf pour les teneurs en polyphénols totaux qui sont plus faibles que les valeurs répertoriées pour chaque classe de couleur.
Que peut-on conclure ?
À la lumière de ces résultats, force est de constater qu’il existe tout de même un enjeu pour l’industrie acéricole quant à l’utilisation des technologies permettant de concentrer la sève à des niveaux élevés. En effet, avec l’augmentation du nombre d’entreprises se dotant de cette technologie, on risque d’observer une baisse de production globale de sirop d’érable dans les classes de couleur plus foncées; sirops d’érable dont le pouvoir antioxydant et la teneur en polyphénols totaux sont plus élevés et dont la saveur est habituellement plus développée. Ceci doit donc être pris en considération dans le déploiement de cette technologie et dans le choix des paramètres d’opération afin de pallier cet éventuel déficit. La sélection d’un système membranaire et de son mode d’opération doit être faite de façon à préserver l’intégrité de la sève et par conséquent celle du sirop d’érable produit. L’utilisation d’un évaporateur adapté (proportion plis/plats ajustée) jumelée à l’ajustement des paramètres de cuisson afin de favoriser une augmentation du temps de résidence de la sève dans l’évaporateur (intensité de chauffage modérée, hauteur du liquide plus élevée, réduction de la température à l’entrée de l’évaporateur) permettra de développer adéquatement la couleur et la saveur du sirop d’érable produit. Par-dessus tout, il est important de rappeler l’importance de suivre les recommandations des fabricants d’équipements acéricoles tout comme celles du Cahier de transfert de technologie en acériculture quant à l’utilisation des systèmes membranaires pour concentrer la sève d’érable. L’utilisation des bonnes pratiques d’opération, d’entretien et d’entreposage favorisera la production d’un produit dont l’intégrité aura été respectée et qui sera exempt de résidus de produits de lavage.
Nathalie Martin, Ph. D., chimiste, chercheure scientifique, Centre ACER