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Après cinq années de stabilité, les administrateurs des Producteurs et productrices acéricoles du Québec (PPAQ) ont lâché du lest. Sept millions d’entailles additionnelles viennent d’être autorisées, un bond de 14 % par rapport aux 50 millions actuellement permises.
« La première décision, en juin, était de cinq millions, mais le conseil d’administration a décidé d’augmenter, au mois de juillet, pour nous assurer qu’il y aura plus d’entailles l’an prochain et dans les prochaines années parce qu’on fait toujours face à une inconnue. On ne sait jamais, d’une année à l’autre, comment va être la production », explique Hélène Normandin, directrice des communications corporatives à PPAQ.
La dernière saison s’est en effet révélée désastreuse pour les acériculteurs de la province, après les années records enregistrées en 2019 et 2020. Pour Martin Norris, qui exploite une érablière de 3 750 entailles sur des terres louées, à Potton, en Estrie, la dernière récolte s’est révélée une véritable annus horribilis. « J’ai fait moins que la moitié d’une année ordinaire. Ça a été une année aussi pourrie qu’en 2012 », soutient le producteur qui aimerait ajouter 5 à 6 000 entailles à sa production grâce aux nouvelles allocations autorisées.
Les candidats disposent de peu de temps pour soumettre leur dossier, admet Hélène Normandin. La date limite est fixée au 15 octobre. « Le défi, cette année, était qu’on attendait le nouveau règlement de la Régie des marchés agricoles. On voulait appliquer l’émission des entailles dans le cadre du nouveau règlement. On l’a reçu le 2 septembre. C’est à ce moment-là que nous avons pu obtenir les bons formulaires qui respectaient la nouvelle réglementation », explique Mme Normandin qui ajoute que les producteurs intéressés par des entailles supplémentaires ont été informés tôt, en juillet, de préparer leur plan d’érablière. L’échéance plutôt courte n’indispose pas Guillaume Vachon Gagnon. L’érablière de 12 000 entailles dont il partage la propriété avec son père, se trouve à Chesterville, un peu au sud de Victoriaville. « C’est quand même court, mais c’est vraiment rien de compliqué. Nous, l’ingénieur vient [de] faire le tour [c’était autour du 29 septembre] et ça devrait bien aller », explique le jeune entrepreneur qui souhaite ajouter d’un à deux mille entailles grâce aux nouvelles allocations.
S’il se réjouit de ces nouveaux contingents, Guillaume Vachon Gagnon s’interroge tout de même quant à l’impact des nouvelles autorisations sur le marché du sirop d’érable. « C’est un risque. Je ne peux pas dire que je le crains, mais j’imagine que ça a été bien évalué. Les échos qu’on avait ce printemps, quand on parlait avec du monde, y en a qui disaient c’est sûr qu’ils vont redonner du quota, puis d’autres qui disaient, j’vois pas pourquoi y en donneraient, on a de l’inventaire en masse. Je dirais que je me trouve quelque part entre les deux », reconnaît le producteur de Chesterville.
La porte-parole de PPAQ se fait cependant rassurante. « Étant donné que la demande est en croissance, on a connu une augmentation d’au-delà de 20 % des exportations en 2020, on veut s’assurer qu’une bonne réserve soit maintenue. C’est notre coussin », explique Hélène Normandin qui estime le besoin d’entailles à 168 millions, dans 60 ans.
Comment seront allouées les sept millions de nouvelles entailles?
Un contingent de 350 000 entailles, 5 % du total nouvellement alloué, est d’abord réservé aux démarrages d’érablières en terres publiques, indique Sylvain Bernier, directeur du contingentement et de la réglementation chez les Producteurs et productrices acéricoles du Québec (PPAQ). « Dans ce cas, c’est le ministère qui va nous indiquer les projets qu’il a retenus », précise M. Bernier.
Le reste du nouveau quota ira à des projets de démarrage en terres privés, un maximum de 25 000 entailles par projet, et à d’autres, d’agrandissements, pour un nombre maximal de 10 000 entailles par projet. « Les entailles seront distribuées en fonction des demandes admissibles reçues », précise Sylvain Bernier. « Si je reçois 40 % de demandes en démarrage et 60 % en agrandissements, les entailles seront distribuées dans une proportion de 60-40 de chaque côté », illustre-t-il.
Dans le cas des projets de démarrage, le règlement de la Régie des marchés agricoles prévoit que le soumissionnaire ne doit pas « être un employé des PPAQ, avoir exploité une érablière, de façon directe ou indirecte, depuis au moins trois ans, qu’il doit détenir des droits sur une terre privée, soit comme propriétaire ou par le biais d’une promesse d’achat signée », explique M. Bernier. Dans le cas d’une location, ajoute-t-il, le demandeur doit détenir « un bail notarié pour une durée de 15 ans ou une promesse de location conditionnelle à l’obtention d’entailles. »
Le producteur qui présente un projet de démarrage devra cependant trancher entre deux possibilités, précise Sylvain Bernier. « Est-ce que je veux y aller en attribution par tranche de 200 entailles ou si je veux y aller par tirage au sort pour mon projet complet? »
Les projets sélectionnés seront connus autour du 15 décembre. Les producteurs disposeront de trois ans pour mettre leurs entailles en production.
Qui trop entaille, mal étreint?
Les nouvelles techniques d’entaillage des érables soulèvent d’importantes questions, soutient Rock Ouimet, chercheur spécialisé dans les érables à sucre au ministère des Forêts, de la faune et des parcs. « C’est une blessure qu’on cause à l’arbre à chaque année », rappelle le chercheur qui se demande si « l’entaillage peut causer une baisse de la croissance de l’érable à plus long terme? »
La science n’apporte aucune réponse définitive à cette question, reconnaît Rock Ouimet. « Ce qu’on a trouvé c’est que dans certains cas oui, dans d’autres cas non », dit-il. « Ça reste encore à étudier, mais c’est un facteur qui peut stresser les arbres, particulièrement dans les environnements de sols qui sont plus acides », observe le chercheur. « Déjà que les érables ont de la difficulté à croître et à avoir de la vigueur, en plus, tu entailles ces arbres-là, de petits diamètres, alors oui vous allez avoir des problèmes de croissance et vous allez observer du dépérissement [dans les érablières] », avance Rock Ouimet.
Si l’entaillage soulève des questions, le prélèvement de sève aussi, ajoute celui qui étudie le comportement de l’érable à sucre depuis 40 ans. « Aujourd’hui, avec le haut vacuum, on est rendus à 28 à 30 pouces de vacuum dans les chalumeaux, comparé à 20 pouces il y a quelques années. Les acériculteurs sont contents, ils retirent 30, 40, des fois 50 % plus de sève qu’avant. C’est bien, mais ça peut affecter les réserves de l’arbre », soutient M. Ouimet. « Ces réserves-là, qui sont prélevées de l’arbre à chaque année, dit Rock Ouimet, il ne les utilise pas pour produire du feuillage, produire de la croissance, maintenir sa vigueur, combattre les maladies, résister aux épidémies qui passent. Ce sont toutes des questions qui se posent et que se posent de plus en plus les acériculteurs », observe-t-il avant de conclure : « c’est bien beau avoir de gros rendements en sirop, mais est-ce qu’on n’hypothèque pas nos arbres pour le futur? C’est tout un domaine de la recherche qui est encore à explorer. »
Claude Fortin, collaboration spéciale
Cet article a été publié dans notre cahier spécial acéricole, publié le 6 octobre 2021