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La légalisation du cannabis en octobre 2018 a provoqué une ruée vers la production de cannabis à usage médicinal et récréatif. Trois ans plus tard, le marché de l’or vert semble saturé. Pourtant un secteur reste encore peu exploité au Québec : la culture en extérieur.
Vincent Girard est agriculteur depuis toujours. Après de nombreuses années passées à travailler dans la ferme laitière de sa famille, il décide de délaisser les vaches pour les plantes et se lance dans l’industrie du cannabis en Montérégie.
Détenteur d’une licence de microculture, c’est-à-dire qu’il ne peut cultiver plus de 200 m2 de plants, il a choisi de ne cultiver qu’en extérieur.
Un pari risqué
Philippe Laperrière, vice-président de l’Association québécoise de l’industrie du cannabis et président-directeur général du Groupe Fuga, ne ferait pas ce pari : « Au Québec, je ne conseillerai à personne de cultiver uniquement en extérieur, affirme-t-il. Dans le sud de l’Ontario, les Prairies ou la Colombie-Britannique, c’est autre chose, le climat est différent. »
Sous nos latitudes, une seule récolte est possible par an. Même l’été serait parfois trop humide, selon M. Laperrière. Si la météo est mauvaise, les plants de cannabis pourraient être impropres à la vente.
Comme sa terre est située dans la vallée du Richelieu connue pour son microclimat, monsieur Girard est positif et espère bien dès sa première récolte pouvoir faire vivre sa famille.
Pour Vincent Girard, il était naturel de cultiver en extérieur. Agriculteur de métier, l’homme de 40 ans fait confiance à la nature « Des tomates de serre et des tomates de jardin, ça ne goûte pas pareil, explique-t-il en riant. C’est la même chose pour le cannabis ! »
Cultivé en extérieur, le cannabis est bien plus résistant qu’en salle sous lumière artificielle et ne nécessite aucun pesticide.
Le prix de l’air frais
En mars 2021, la superficie des zones extérieures dédiées à la culture de cannabis représentait 7 724 800 m2. Lorsque cultivé à l’air libre, le cannabis est bien plus résistant qu’en salle sous lumière artificielle et ne nécessite aucun pesticide. L’entreprise 48North avait confié à La Presse en 2020 qu’elle estimait que le coût d’un gramme de cannabis cultivé en extérieur était de 0,25 $ contre 2 $ pour celui cultivé en serre.
Mais même s’il est moins élevé que pour la production en salle, le coût des installations pour cultiver du cannabis en extérieur reste important. « Le risque est trop grand. Ce n’est pas rentable », croit M. Laperrière.
Selon lui, une production hybride pourrait être envisagée, avec des cultures en salle et une parcelle de terrain, exploitée l’été, en supplément.
Louis Sirois est président du groupe Sirois, une entreprise qui se spécialise dans la fiscalité et l’accompagnement de producteurs dans l’obtention d’une licence de production de cannabis. S’il conseille aussi aux agriculteurs la production hybride, il ne croit pas que ce soit impossible d’y arriver en ne cultivant qu’en extérieur.
« Il y a un côté folklorique à tout ça! » lance-t-il en rappelant que cela fait des années que la culture en champs existe.
Parcours du combattant
Selon lui, le plus gros risque est que les variétés capables de résister au climat québécois produisent en général un taux de THC entre 12 % et 16 %. Or, pour accéder au marché récréatif, « le chiffre magique c’est 20 % », explique M. Sirois, qui estime qu’il y a peu de place pour les variétés à taux plus faible.
« La première règle de prudence si quelqu’un veut se lancer en champs […] c’est de se conforter auprès d’un distributeur, de signer un partenariat », afin d’être assuré de vendre sa marchandise, conseille M. Sirois.
Avant d’avoir le droit de cultiver du cannabis, que ce soit en intérieur ou en extérieur, les étapes sont nombreuses : clôture de sécurité (pour la culture extérieure), système d’évacuation des odeurs, bâtiment réglementaire… Toutes les installations doivent être construites en amont avant de demander une licence de production auprès de Santé Canada.
Cette procédure, qui peut durer plusieurs mois, n’a pas effrayé l’agriculteur Vincent Girard. Pour l’ancien ouvrier de ferme laitière, l’industrie du cannabis représente plus de profits et moins de coûts que le secteur animal. Selon ses calculs, « je devrais avoir les mêmes revenus qu’un gars qui tire 50 000L de lait tout seul! »
Une porte est encore ouverte
Le nombre de freins à l’entrée peut décourager les agriculteurs à se lancer dans la cannabiculture, une industrie pourtant lucrative.
Même si les prévisions de 0,25% du PIB sur cinq ans ne semblent pas atteignables, trois ans après la légalisation, le marché du cannabis va relativement bien et représente 0,08% du PIB.
« Le marché est très volatil », explique M. Laperrière. Selon lui, une brèche existe cependant pour les petits et moyens producteurs sur un marché plus haut de gamme.
Aujourd’hui, étant donné la situation, Philippe Laperrière affirme qu’il ne se lancerait pas dans cette industrie. D’après lui, un nouvel acteur aurait du mal à entrer sur le marché, mais les chances ne sont pas nulles. « Il y a toujours la place pour de bons joueurs ! »
Par Mélanie Loubert et Mahé Cayuela
Cet article a été produit en association avec le cours Quête de sens journalistique, animé par Jean-François Gazaille à l’Université du Québec à Montréal