Aquaculture 10 juillet 2023

Les aquaculteurs québécois ne suffisent pas à la demande

Benoit-Michel Béique

Les ventes sont excellentes pour les producteurs de poissons d’élevage, qui ne suffisent pas à la demande, mais ceux-ci se disent incapables de hausser leur production en raison des normes environnementales du Québec et d’un manque de volonté politique allégué. Si bien que l’objectif du gouvernement québécois de doubler la production du poisson d’élevage en 2025 semble utopique aux yeux de l’aquaculteur Benoit-Michel Béique.

« Je pourrais m’enterrer de poissons et j’en manquerais tellement la demande est forte. Je voudrais grossir, car j’ai de l’eau amplement, mais si je voulais juste faire 10 tonnes de plus, ça me coûterait près de 1 M$ [en études environnementales et en systèmes de traitement de l’eau]. Alors, je suis obligé de regarder passer le train. C’est ridicule et insultant! » affirme-t-il. 

Marion Debasly

La coordonnatrice de la Table filière de l’aquaculture en eau douce du Québec, Marion Debasly, confirme que cette situation est partagée par plusieurs.
« C’est une année très difficile pour les pisciculteurs. Ils reçoivent des appels de clients qui veulent des poissons et ils ne peuvent pas fournir à la demande. […] Ceux qui veulent augmenter leur production n’ont plus la force de se battre [pour faire accepter leur projet au ministère de l’Environnement]. Et la relève n’est pas très présente. C’est malheureux, car le potentiel de développement de la production au Québec est énorme. On a de la place, de l’eau en quantité et de l’énergie relativement peu coûteuse », analyse Mme Debasly. 

Elle estime que le Québec est très en retard en matière de production piscicole. « Ailleurs dans le monde, les projets décollent de partout. Sauf au Québec! » 

Pas si noir

« Il ne faut quand même pas dresser un portrait si noir. On est capables de déposer des projets », nuance Dominic Marcotte, ingénieur et conseiller technique en aquaculture au ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec (MAPAQ). Il précise que les aquaculteurs situés dans des bassins versants qui ne sont pas en surplus de phosphore réussissent à obtenir des autorisations d’augmentation ou de démarrage plus facilement. 

Par contre, dans les secteurs en surplus de phosphore, le potentiel d’augmentation de la production est effectivement limité, reconnaît-il, car les investissements nécessaires à l’acquisition d’un système de traitement d’eau efficace se révèlent souvent difficiles à rentabiliser, même avec des subventions gouvernementales, pour les fermes qui produisent de petits volumes de poissons.  


Production réelle vs projets autorisés

Les piscicultures québécoises produisent du poisson pour desservir deux marchés, le plus important étant celui de l’ensemencement. Par exemple, des pourvoiries achètent de l’omble de fontaine d’élevage qu’ils font livrer dans leurs lacs pour permettre aux pêcheurs de les capturer par la suite. L’autre marché, qui compte pour 37 % de la production totale de poissons, est celui de la table. Il correspond à quelque 400 tonnes de poissons d’élevage. Un volume bien maigre pour répondre à la consommation de poissons des Québécois, qui doivent se tourner vers des importations de poissons totalisant entre 9 000 et 10 000 tonnes, indique l’ingénieur Dominic Marcotte, du MAPAQ.

Or, le Plan d’action ministériel 2018-2025 de son ministère s’est donné l’objectif de faire passer la production totale de poissons d’élevage de 1 600 à 3 200 tonnes en 2025. À deux ans de l’échéance, cet objectif apparaît tout simplement irréaliste pour l’éleveur Benoit-Michel Béique, qui est également premier vice-président de l’Association des aquaculteurs du Québec. « Ils disent qu’on va atteindre le 3200 t, mais c’est la pire bullshit qu’on n’a jamais entendue! Ces chiffres-là sont sur papier. Ce sont des projets [de pisciculture] et ces piscicultures ne sont pas bâties. […] Les vrais chiffres de production n’ont pas augmenté », insiste-t-il.

Marion Debasly en ajoute. « On nous annonce de beaux et grands chiffres, mais ils ne sont pas réels. C’est comme si le MAPAQ voulait juste remplir son objectif annoncé. La production théorique, en certificats d’autorisation, OK, on aura doublé en 2025, mais en matière de chiffres de poissons produits, on ne les atteindra pas. Ça, c’est certain. Oui, il y a quelques ouvertures [de pisciculture], mais nous avons eu quelques fermetures aussi. Je crois même que la production a légèrement diminué. Et pour les gros projets d’envergure, ça prend plusieurs années avant de voir un poisson en sortir, s’il en sort, car ce n’est pas évident d’aboutir ces projets », analyse-t-elle. 

Dominic Marcotte indique que les projets d’élevage autorisés devraient atteindre 2 966 t en 2023. Présentement, la production réelle de poissons d’élevage serait d’environ 1100 t et devrait augmenter à 1700 t en 2024. Pour 2025, tout dépendra de la mise en production des nouveaux élevages, dont l’un, en Gaspésie, qui pourrait permettre d’atteindre l’objectif réel de 3 000 t, espère-t-il.

Manque d’entrepreneuriat

L’un des rares aquaculteurs en croissance ces dernières années, Normand Roy, de la Ferme piscicole des Bobines, en Estrie, doute que la filière puisse atteindre l’objectif de doubler sa production réelle pour 2025. « Je n’y crois pas, par expérience. » Il souligne cependant que les producteurs ont leur part de responsabilité et qu’un plus grand engagement entrepreneurial aurait pu aider à changer la donne. « Je suis déçu que mes confrères pisciculteurs n’aient pas plus adhéré à ces politiques [environnementales] et qu’ils aient gardé leurs anciennes installations », exprime celui qui développe le marché de la table.