Alcools 9 septembre 2024

Des houblonnières en difficulté

Deux houblonnières ont cessé leurs activités dans les derniers mois, provoquant une onde de choc dans le monde brassicole, déjà éprouvé par le contexte économique. Tout comme la pomme et le raisin, la culture du houblon n’est pas facile au Québec et de nouveaux défis phytosanitaires se sont ajoutés.

La présence d’une nouvelle espèce d’altise en provenance d’Europe a été confirmée cet été.

Julien Venne, agronome spécialiste du houblon au ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec, suit l’évolution de la filière depuis que cette industrie s’est mise en place, il y a une quinzaine d’années.

Les houblonnières font face à des enjeux phytosanitaires majeurs, comme le mildiou, le tétranyque à deux points, la cicadelle de la pomme de terre, ce qu’on savait depuis longtemps. Une nouvelle maladie fongique s’y est ajoutée, la brûlure à halo, dont on voit les symptômes depuis cinq ans. On observe aussi une nouvelle espèce d’altise en provenance d’Europe, qui s’attaque au houblon et au chanvre, et dont la présence a été confirmée cet été.

Julien Venne, agronome spécialiste du houblon au MAPAQ

À cause de l’altise, une partie de la récolte a dû être abandonnée, le 1er septembre, à la Houblonnière Lupuline, en Outaouais. « On évalue à 50 000 $ de pertes ce qu’on a dû laisser au champ. Même si on a traité début août, un mois plus tard, on se bat toujours contre l’altise. Les cônes de houblon sont trop endommagés », explique la copropriétaire, Mireille Allard.

Julien Venne

Tandis que les producteurs voyaient une amélioration de leur gestion du mildiou, la brûlure à halo s’est mise à apparaître, balayant la province d’ouest en est, puis les altises sont arrivées, venant de l’est vers l’ouest, raconte Julien Venne.

« Le rendement des houblonnières peut s’en trouver affecté. Un nouvel insecticide a été homologué contre l’altise récemment et des recherches ont été entreprises pour observer son cycle de vie et de reproduction. J’ai bon espoir qu’on trouve des solutions », dit l’agronome.


D’une quinzaine de producteurs au départ, Houblon Québec ne regroupe maintenant que quatre producteurs, dont Luc Fortin, du Domaine Brune Houblonde. Photo : Emmanuelle Fortin

Des défis économiques

Selon Luc Fortin, producteur d’orge et de houblon, qui est l’un des administrateurs de Houblon Québec, une coopérative de producteurs mise sur pied il y a 15 ans, les houblonnières iraient mieux si les brasseurs québécois achetaient du houblon québécois.

« On vend plus aux États-Unis et aux provinces canadiennes qu’au Québec, souligne-t-il. Les brasseurs québécois disent de boire de la bière locale, mais ils n’utilisent pas d’ingrédients québécois. »

D’une quinzaine de producteurs au départ, Houblon Québec ne regroupe maintenant que quatre producteurs. Plusieurs ont jeté l’éponge, raconte M. Fortin. Le houblon Cascade, cultivé dans les champs de la province, se vend moins qu’avant, car les entreprises américaines de houblon obligeraient les brasseurs qui veulent leur acheter certains houblons à la mode, comme le Citra, non produit au Québec pour cause de brevet, à leur acheter aussi leur Cascade. 

On dirait que c’est plus important pour les brasseurs d’avoir des produits à la mode. S’il y avait des crédits d’impôt pour les encourager à acheter québécois, ça aiderait peut-être, mais il n’y a aucun incitatif.

Luc Fortin, producteur d’orge et de houblon

Samuel Jeanson, agent de développement de la filière microbrassicole à l’Association des microbrasseurs du Québec, est d’avis que le contexte économique provoque des restructurations dans le milieu et influence les brasseurs dans leurs choix. « Les brasseurs sont portés à utiliser le houblon qu’ils ont déjà en stock, mais je les encourage fortement à utiliser le houblon québécois. Au niveau des cultivars, on n’est pas dans les grandes tendances, mais la filière brassicole a fait un guide pour suggérer des substitutions utilisant des houblons québécois. Les lagers revenant à la mode en ce moment, je ne vois pas pourquoi les brasseurs ne les utiliseraient pas », affirme M. Jeanson.

Steve Plouffe-Berthiaume, copropriétaire des Jardins de Carmanor, à Ragueneau, sur la Côte-Nord, est heureux de pouvoir vendre l’entièreté de ses récoltes à sa microbrasserie locale. Photo : Geneviève Quessy

Deuxième ou troisième culture

Selon Luc Fortin, les producteurs qui s’en sortent sont ceux qui cultivent le houblon en deuxième ou troisième culture. « Ce n’est pas payant si tu ne fais que ça. Beaucoup se lancent en pensant que c’est facile, mais c’est le contraire. Ça prend 10 ans, rentabiliser les équipements. »

Steve Plouffe-Berthiaume, copropriétaire des Jardins de Carmanor, a fait le pari de cultiver du houblon sur la Côte-Nord, il y a cinq ans. Même si la cicadelle et le tétranyque visitent ses 800 plants situés en bord de mer, le mildiou y est presque absent, et l’altise ne s’est pas montrée encore. Son modèle d’affaires est simple et il fonctionne.

« On a la chance d’avoir une microbrasserie locale et des consommateurs enthousiastes qui ont hâte de goûter notre bière de récolte, différente chaque année. Je leur vends toute ma production. On pourrait avoir plus de clients, mais pour l’instant, c’est parfait. Ce n’est pas ma vache à lait. Les poules pondeuses et les pommes sont mes productions principales », mentionne M. Plouffe-Berthiaume.