Acériculture 25 octobre 2024

Un laboratoire à ciel ouvert pour faire progresser l’acériculture

La génétique pourrait bientôt venir en aide aux acériculteurs afin d’améliorer la productivité et la résilience de leur exploitation. À terme, un simple test effectué sur un échantillon de feuille serait susceptible de révéler si un jeune érable a le potentiel, par exemple, de produire une sève ayant un taux de sucre supérieur.

En effet, une plantation d’érables unique en son genre à Saints-Anges, en Beauce, constitue, depuis l’an dernier, le théâtre de travaux de recherche qui représentent une première au Québec. À l’origine de cette aventure : une collaboration entre l’Association des propriétaires de boisés de la Beauce (APBB), l’Université du Québec en Outaouais (UQO) et les Producteurs et productrices acéricoles du Québec (PPAQ). Tout cela dans le but de faire progresser l’industrie. 

L’homme qui plantait des arbres

D’entrée de jeu, rappelons qu’au cours des années 1980, des travaux de recherche menés au sud de la frontière avaient déjà mis en lumière les possibilités élevées d’amélioration génétique de l’érable à sucre pour certains traits, notamment le taux de sucre de son eau. Intéressé par ce genre de défi, un Beauceron prend alors la décision de tenter lui-même une expérience sur une terre achetée à Saints-Anges. 

« Mon père Michel était technicien en environnement et il travaillait au Complexe scientifique à Québec, raconte Alain Faucher, propriétaire de deuxième génération de la plantation où se déroule l’étude. Il avait des amis qui étaient des techniciens forestiers, en plus d’avoir accès à de la documentation. Il a reçu des conseils, mais à la base, il avait la fibre scientifique. Il est décédé de manière soudaine en 2019. »     

Pendant plusieurs années, Michel Faucher s’emploie à sélectionner les arbres les plus productifs de l’érablière naturelle qu’il possède. Il en récolte les samares, les sème – plus de 40 000 –, puis repique des milliers de plants pour finalement mettre en terre 9 000 érables dans le champ qu’il a spécialement acquis pour réaliser son expérimentation. L’Angelinois crée ainsi une forêt composée de « superérables ».

Quand les astres sont alignés

« Nous sommes les conseillers forestiers des Faucher depuis un bout de temps, explique Michaël Cliche, expert acéricole à l’APBB et ingénieur forestier. Ce qui a conduit à une collaboration avec l’UQO, c’est mon projet de maîtrise sur l’érable à sucre. Le professeur Yann Surget-Grobat, qui y agit comme chercheur, est l’un de mes réviseurs et c’est dans ce contexte que le lien s’est fait pour Saints-Anges. »

Les deux hommes commencent donc tout bonnement à parler de la plantation de Michel Faucher. De l’aide financière est justement disponible pour lancer un projet de recherche. Voilà que les astres sont alignés pour aller de l’avant. Les échanges initiaux ont lieu en 2022 et dès l’année d’après, on procède à une première collecte de données. D’avoir accès à ces érables rendus à maturité constitue une chance.

Lorsque M. Faucher est décédé, j’ai vraiment eu peur que son initiative s’éteigne avec lui. Il y avait quand même 30 ans d’efforts et des milliers d’heures investies dans ces érables. Le départ précipité de celui qui est l’artisan de cette forêt exceptionnelle a limité la transmission du savoir, mais la synchronicité a joué en faveur de la poursuite de ce chantier hors de l’ordinaire.

Michaël Cliche
L’expert acéricole de l’APBB Michaël Cliche, ing. f., relate aux journalistes l’historique de la plantation depuis ses débuts.

Une cartographie génétique d’abord

Si Alain Faucher admet ne pas être doté de l’esprit scientifique qu’avait son père, il se réjouit de la tournure des événements. « C’est assez clair que s’il avait encore été là, il aurait été très excité par le projet! C’est une question de continuité dans l’esprit de ce que mon père aurait aimé. Malgré tout, je suis les travaux, et au bénéfice des acériculteurs, j’ai hâte de voir ce qui va en ressortir », commente-t-il.   

Amorcée il y a quelques mois, la première phase de la recherche doit se terminer en 2026. Celle-ci consiste à faire une mise à jour de l’information perdue depuis le départ de Michel Faucher. Cette actualisation concerne, entre autres, la recherche des liens qui unissent les arbres qui ont été plantés. Il existe 13 familles d’érables sur la plantation et l’exercice permet de construire une « cartographie génétique ». 

« Pour y arriver, nous analysons l’ADN de chaque arbre en prélevant des feuilles, précise le chercheur principal du projet à l’UQO et professeur en génomique. Nous avons déjà été en mesure d’identifier à peu près 150 membres d’une même famille. L’étape suivante nous amènera à mieux comprendre les traits qui nous intéressent et à départager ce qui est dû à la génétique et ce qui provient de l’environnement. »  

Regarnir ou démarrer avec des « arbres-plus »

Le taux de sucre représente évidemment l’un des traits recherchés, mais il n’est pas le seul. L’APBB et l’UQO sont également en quête d’érables plus résilients en vue d’affronter les changements climatiques – épisodes de sécheresse, tornades, infestations d’insectes, maladies, etc. On souhaite introduire « des arbres-plus » dans les forêts naturelles pour disséminer les gènes dans les populations en place.

Lors de travaux d’aménagement chez les acériculteurs, il deviendra possible d’en profiter pour utiliser des « superérables » afin de regarnir la forêt en sous-couvert. « L’autre application possible, ce sont les industriels qui partent de zéro, puis qui pourront sélectionner dès le début des plants supérieurs, ajoute M. Surget-Grobat. À partir du moment où on a une feuille dans le semis, un test pourra être effectué. » 

Le chercheur Yann Surget-Groba explique le projet scientifique. À sa droite se trouvent Alain Faucher, le propriétaire de l’érablière, et Éric Cliche, le directeur général de l’APBB.

Pour Alain Faucher, il y a de l’espoir. « Ce printemps, c’était la première fois que j’entaillais à Saints-Anges. J’ai aussi une érablière naturelle à Saint-Malachie et j’ai constaté qu’avec 70 % de la quantité d’entailles dans la plantation de mon père par rapport à mon autre exploitation, j’ai obtenu autant d’eau. Je sais qu’il y a bien des facteurs qui influencent la performance, mais c’est vraiment encourageant! »