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Aux prises avec des pertes financières importantes, Érablières des Alleghanys, appartenant à Sylvain Lalli et sa famille, a récemment dû être vendue. Cette entreprise de Saint-Pacôme, dans le Bas-Saint-Laurent, exportait de quatre à sept millions de livres de sirop d’érable par année à travers le monde.
C’est l’un de ses compétiteurs, la coopérative Citadelle, qui en a fait l’acquisition en février dernier. Le montant de la transaction n’a pas été dévoilé, mais M. Lalli indique que sa famille et lui ont perdu beaucoup. Des fournisseurs auraient aussi essuyé des pertes.
Sylvain Lalli est une figure bien connue en acériculture, lui qui a présidé, pendant six ans, le Conseil de l’industrie de l’érable, soit l’organisme représentant les acheteurs et les transformateurs. Il a accepté d’accorder une longue entrevue à La Terre, dans laquelle il décrit le contexte difficile de la cession de son entreprise et aussi sa fierté, malgré cette fin amère, d’avoir contribué au développement de l’industrie du sirop d’érable pendant 28 ans.
« C’est cruel, le monde des affaires »
Érablières des Alleghanys a réalisé jusqu’à tout dernièrement un chiffre d’affaires de 25 à 30 M$ par année et a misé sur une usine d’embouteillage du sirop « sur la coche », assure M. Lalli. Il estime que l’usine dépassait les normes des principales certifications alimentaires internationales avec des scores qui impressionnaient les acheteurs d’outre-mer. Mais la santé financière de l’entreprise a dégringolé abruptement, tout juste après la pandémie, alors que le prix des intrants, comme les bouteilles de verre et les cartons d’emballage, a explosé, sans que l’entreprise puisse compenser en augmentant ses prix.
Sa famille et lui se sont résignés à vendre Érablières des Alleghanys à Citadelle. « C’est une entreprise qui nous ressemble dans nos valeurs. Mais ce fut très difficile pour nous. Et ce l’est encore », témoigne celui qui a fondé cette entreprise avec sa conjointe, Michèle Bond, en 1995, pour ensuite y intégrer leurs trois enfants et leurs conjoints.
Comment interprète-t-il le refus de ses clients de longue date qui ont décidé de ne pas rouvrir les contrats sachant que la survie de son entreprise était en jeu? « C’est cruel, le monde des affaires! répond-il. Les producteurs [de sirop d’érable] ne voient pas ça. Ils pensent que les transformateurs, on baigne dans l’or, mais ce n’est pas le cas. Il y a de la compétition et il y a des années où la business est très difficile. »
Il souligne avoir bâti sa réputation sur la mise en marché d’un sirop d’érable pur à 100 % et exempt de mauvais goût. Il s’en assurait lui-même en visitant les érablières qui l’approvisionnaient et en revalidant à l’usine le goût de chaque baril. « Étonnamment, c’est peut-être ça qui nous a nui », avance-t-il, laissant entendre que certains compétiteurs peuvent mettre en marché des mélanges de sirop de qualité inférieure payés moins cher, qui deviennent difficiles à concurrencer. « Ça fait un bout de temps que je disais que les producteurs devaient corriger le tir concernant la qualité des sirops exportés, ajoute Sylvain Lalli. Je croyais que ça finirait par nuire à toute l’industrie, mais je ne me doutais pas que c’est mon entreprise qui écoperait directement! »
Conducteur de camions
Érablières des Alleghanys est donc devenu « le site Saint-Pâcome » de Citadelle. Certains membres de la famille Lalli, qui occupaient des postes de direction, y travaillent désormais comme employés. « Avant, on touchait à tout dans notre entreprise; on était en contact avec nos clients. Là, on tombe dans des rôles plus limités. Ça fait partie de la culture d’une grande entreprise et c’est normal, mais c’est très difficile pour ma famille. On va s’adapter. Moi, je m’occupe de transporter du sirop. Je chauffe des trucks pour passer au travers », dit l’homme de 61 ans qui a commencé à travailler à la ferme de son grand-père quand il avait 11 ans.
« La game va changer »
La concentration des entreprises qui achètent le sirop d’érable en vrac s’accentue, une situation qui ne sera pas à l’avantage des producteurs, anticipe Sylvain Lalli. « En 2002, on voyait que les gens en cravate allaient s’intéresser à l’or blond. J’anticipais ça et j’ai proposé des quotas de sirop par usine, ce qui aurait aidé les plus petites. Cela a été refusé par l’ensemble de la table filière de l’érable. Alors les gros joueurs se sont installés et les marges de tout le monde ont fondu. On ne fait plus d’argent. Les gros sont en mesure d’en perdre et de rester en business; nous, non… », dépeint M. Lalli. Ce dernier dit avoir participé à toutes les dernières négociations de prix entre les acheteurs et les producteurs, notamment à titre de président du Conseil de l’industrie de l’érable. Il juge que la disparition des petits transformateurs indépendants comme lui au profit des très grandes entreprises finira par créer une mauvaise surprise aux producteurs. « La game va changer. Les producteurs ne négocieront plus avec des gars qui viennent du milieu de l’érable, comme moi ou les Bernard. Ils vont négocier avec des gens en cravate et l’ambiance sera différente. J’ai l’impression que quand il va y rester juste deux ou trois très gros acheteurs, ils vont débarquer en disant aux producteurs : «Écoutez, le prix, c’est ça.»»
Un jeune couple parti développer le marché mondial de l’érable
Michèle Bond et Sylvain Lalli étaient un jeune couple dans le début de la trentaine en 1995 alors qu’ils ont décidé de fonder leur entreprise près de La Pocatière, dans le Bas-Saint-Laurent, pour exporter du sirop d’érable au Japon et en Europe.
« Au début, quand je suis arrivé au Japon, il y avait un peu de sirop qui se vendait, mais le problème, c’est que lorsqu’il était livré par conteneur, il moisissait dans les bouteilles », souligne-t-il, en évoquant un problème de stérilisation et de stratification. Étant formée en inspection des aliments, Michèle a mis en place des stratégies.
Pour exporter ensuite pendant plus de 25 ans, le couple a misé sur l’importance de promouvoir les vertus du sirop d’érable, mais aussi de sélectionner des sirops qui allaient de pair avec le goût de ses clients, c’est-à-dire un sirop plus doux et léger pour les Japonais et plus prononcé pour les Européens. « C’est comme ça qu’on a connu une grande expansion. On a été les premiers à être listés dans toutes les grandes surfaces en Europe. J’ai même vendu du sirop au pape pendant des années, via mon distributeur au Danemark, qui parlait neuf langues. Mais ç’a été dur de développer l’Europe, financièrement et mentalement, car on a fait de l’argent, mais on en a aussi perdu! »
Sylvain Lalli explique une partie de son succès par les visites qu’il effectuait personnellement chez les producteurs, pour sélectionner les meilleurs sirops.
« On a travaillé des semaines de 80 à 100 heures pendant des années, ma femme, mes enfants et moi. On n’est pas les seuls. Les Bernard [Industries Bernard & Fils] et les Bolduc [Les Produits de l’Érable Bolduc], eux aussi, ç’a travaillé en tabarouette. Pour que l’industrie marche, il a fallu que du monde travaille très fort », fait-il valoir.
Ce dernier se dit fier d’avoir travaillé aux côtés des producteurs, de même que des autres commerçants de l’érable. « Je suis amer de la façon dont ça se termine pour mon entreprise, mais je suis content du chemin que j’ai parcouru, affirme M. Lalli. Je sens que j’ai fait partie de toute cette évolution que le sirop a connue. »