Acériculture 1 octobre 2024

De Victor à Vincent : l’art acéricole de père en fils


« Érablière V. Boutin, c’est pour rendre hommage à mon père Victor », explique Vincent Boutin, dès les premières secondes de l’entrevue. Voilà qui ne laisse aucun doute sur la valeur cardinale de ce dernier : la transmission. 

Propriétaire acéricole à Frampton, dans Chaudière-Appalaches, Vincent Boutin transforme, à son érablière, la récolte de 19 000 entailles. S’il a pu se lancer en acériculture, c’est entre autres grâce à son père, qui, en 2007, a acheté une érablière de 7 500 entailles, doublant sa production. Il a ainsi permis à son fils d’envisager de faire de sa grande passion son gagne-pain principal. Vincent avait alors 19 ans. « Jeune, je prenais tous les jours de congé pour aller travailler avec mon père, raconte l’homme aujourd’hui âgé de 37 ans. Et mon père avait fait la même chose avec mon grand-père. »

À la différence de ceux-ci, Vincent a toutefois pu se doter d’une formation en acériculture. En 2014, il a acheté une première portion de 5 500 entailles à son père. Et il a entrepris de modifier les méthodes de production, notamment en réduisant le nombre d’entailles à l’arbre. 

« Aujourd’hui, avec toutes les connaissances qu’on a, on peut produire le double de sirop sur la même surface, rapporte-t-il. Mais on ne peut pas juger nos parents. Ils ont travaillé le mieux qu’ils pouvaient avec les connaissances qu’ils avaient dans ce temps-là. » Il a toutefois tenu à opérer la transformation des méthodes en douceur. « J’ai fait ça sur neuf ans, pour ne pas brusquer mon père », dit-il.

Au fil des ans, Vincent Boutin a ajouté des entailles à sa production, grâce à la location d’arbres et à la transformation d’eau d’érable de ses voisins.

Je suis chanceux de pouvoir faire ça. Y a bien des gens qui aimeraient pouvoir le faire et vivre de leur production, mais ils n’ont pas cette possibilité autour de chez eux. Aujourd’hui, il y a plusieurs modèles possibles et ça nous permet de mieux gagner notre vie. On peut aussi opérer une érablière sans avoir à gérer de personnel.

Vincent Boutin, propriétaire d’Érablière V. Boutin

En 2019, il a aussi bâti un nouvel édifice de production, notamment en ajoutant des silos de stockage, afin d’optimiser l’espace. « J’ai maintenant une capacité de production de 25 000 entailles, précise-t-il. Je me donne cinq ans pour y parvenir, en louant des arbres ou en achetant de l’eau. »

« Redonner ce que j’ai eu de mon père » 

Ce qu’il espère pour la suite des choses? « Mon plus grand rêve, c’est de pouvoir offrir ce que j’ai eu à la relève, dit-il. Je veux redonner ce que j’ai eu de mon père. » N’ayant pas d’enfants, Vincent le fait notamment auprès de ses deux neveux de 15 et 17 ans, qui étaient dans le bois, à entretenir l’érablière, au moment de l’entrevue avec La Terre de chez nous. « Ils viennent chaque fois qu’ils ont des congés, dit-il. Je ne sais pas s’ils seront intéressés à prendre la relève un jour, mais j’espère leur transmettre ma passion. »

Sa plus grande fierté? « C’est quand je regarde ma forêt! C’est comme de cultiver un grand jardin, dit Vincent Boutin, qui évoque avec émotion l’entretien des plus jeunes plants. Les gens me demandent parfois : “Pourquoi tu prends soin de cet arbre-là? Tu ne le verras même pas produire!” Je le sais; ça va prendre 35-50 ans. Mais j’en prends soin pour les générations futures… »


Une invention pour faire des trous parfaits

Les Beaucerons ont la réputation d’être à la fois ingénieux et entrepreneurs. Vincent Boutin ne fait pas exception. Pour ce dernier, chaque détail compte en production acéricole et la qualité des entailles joue un rôle à ne pas négliger.
« Quand on entaille avec une perceuse, c’est difficile de la ressortir parfaitement droite. On a tendance à faire un angle; ça fait un trou en ovale », explique-t-il.

Ces trous imparfaits créent des pertes et sur 19 000 entailles, l’impact est non négligeable.
C’est en réfléchissant à cet enjeu que l’acériculteur a conçu un appareil nommé Perfect-O (« C’est pour “rond parfait”! »).

L’appareil est en fait un réceptacle qui se fixe à une perceuse. On pose l’ensemble perpendiculairement au tronc. La perceuse glisse ensuite le long de l’appareil, afin que sa tête s’enfonce – puis soit retirée – de manière parfaitement droite.

Le Perfect-O sera officiellement lancé en novembre. Mais déjà, quelques acériculteurs qui en ont eu vent et qui ont pu le tester sont intéressés. « J’ai 25 personnes qui veulent l’acheter! » annonce le fier inventeur.


À la défense des producteurs de sa région

Actuellement vice-président des Producteurs et productrices acéricoles du Québec d’Appalaches-Beauce-Lotbinière, Vincent Boutin compte en briguer la présidence dès cet automne. Deux grands dossiers sont dans sa mire. Le premier concerne les enjeux liés à l’exploitation forestière dans la région. « Je veux me battre pour préserver notre potentiel acéricole sur nos terres publiques », dit-il. Aussi à son ordre du jour, la diminution de la bureaucratie. « On a vraiment trop de paperasse à remplir! » ajoute-t-il.