Acériculture 4 mai 2023

Changements climatiques et assurances : des dommages de plus en plus prévisibles

L’air frais qui circule entre les branches de vos arbres et la douce odeur d’humus qui se mêle à celle de la sève des arbres que vous coupez pourraient rapidement devenir irrespirables si la malchance devait s’abattre sur vous. Il suffit d’un visiteur blessé sur votre lot ou d’une catastrophe naturelle pour que votre patrimoine parte en fumée… à moins d’être adéquatement protégé contre les risques de pareils accidents.

André Roy est président du Syndicat des Producteurs forestiers du Sud du Québec. 

Les coûts associés aux catastrophes naturelles ne cessent d’augmenter au pays. Selon le Bureau d’assurance du Canada, les dommages causés par les changements climatiques atteignent 2,2 milliards de dollars par année en moyenne, depuis 5 ans au Canada, tout type d’assuré confondu.

Les chiffres suivent la même tendance au Québec. Les coûts associés à ce type de sinistre dépassent 200 millions de dollars par année, depuis 5 ans. « On observe 4 fois plus d’événements climatiques qu’il y a 30 ans », indique Stéphane Bibeau, président, chef de la direction et des opérations chez Estrie-Richelieu, l’un des très rares assureurs spécialisés en agriculture et en foresterie. 

Devant ces bouleversements qui s’accélèrent, les assureurs calculent et recalculent les risques qu’ils doivent couvrir. « Les assureurs observent la tendance des dommages et ils mettent des mécanismes en place pour se protéger contre leur récurrence », explique Michel Auger, président d’AGMA Assurances, dont les bureaux se trouvent à Longueuil. La nouvelle réalité climatique pourrait changer le paysage de l’assurance, croit Yanick Thibault, directeur principal du développement en assurance des entreprises à La Turquoise. « Les changements climatiques font en sorte que les assureurs vont sûrement se repositionner sur les enjeux de primes et de couvertures différentes dans le futur », avance quant à lui Michel Auger. 

Les dommages causés aux bâtiments par les intempéries ou le feu, par exemple, font partie des actifs couverts par les assureurs actifs au Québec. 

Mot clé : divulguer

La première chose à déterminer lorsqu’on possède une terre à bois, c’est l’usage qu’on en fait. « Est-ce qu’on y fait de l’activité commerciale, est-ce qu’elle sert à nos loisirs? Ce sont des questions qui permettent de déterminer le type d’assurance la mieux adaptée pour le propriétaire d’un boisé », explique Michel Auger. « Souvent, les gens pensent qu’ils sont couverts grâce à leur police habitation, mais ce n’est pas nécessairement le cas », observe Jonathan Dubois, directeur en assurance d’entreprises chez AMR Assurances de Sherbrooke. « Y a des gens qui vont dire : “Je fais de la coupe à bois, mais je ne génère pas un gros revenu, donc je ne le déclare pas” », ajoute le courtier, qui insiste sur l’importance d’être transparent avec son assureur.
« Il faut mentionner toute l’activité qu’il peut y avoir sur notre terre à bois », dit Jonathan Dubois. « Parfois, oui, c’est pour aller prendre des vacances, faire du ski-doo ou du quatre-roues de temps en temps, reconnaît-il, mais parfois aussi, on y construit un chalet, on coupe du bois, on peut en louer une partie en tiers. Ce ne sont pas nécessairement des activités couvertes par une police habitation ou agricole », signale le spécialiste.

Yanick Thibault est directeur principal du développement en assurance des entreprises à La Turquoise, cabinet en assurance de dommages et services financiers. 

Si les propriétaires de lots présentent chacun leurs particularités, les assureurs ne marchent pas tous d’un même pas non plus. La définition d’une activité commerciale peut varier d’une entreprise à l’autre. Chez Estrie-Richelieu, par exemple, on assure les érablières et les producteurs agricoles pour qui la coupe forestière représente une activité secondaire. « Quelqu’un qui fait de la coupe sélective, avec un ingénieur qui vient lui donner des conseils, ou encore un autre qui fait du nettoyage dans son boisé, on va l’assurer », explique Annie Lamoureux, directrice assurance chez Estrie-Richelieu. « Notre contrat inclut la vente de 100 cordes de bois, poursuit l’experte. S’il en vend 150 cordes, ça ne pose pas de soucis non plus. » 

Lots boisés : on assure quoi?

Les arbres de vos terres ont beau être majestueux, dites-vous que tant qu’ils sont debout, ils ne valent pas grand-chose du point de vue de leur assurabilité. Au Québec, du moins.
« Je n’ai jamais vu de cas où on assure les arbres », admet Jonathan Dubois, d’AMR Assurances. « On n’assure pas la forêt contre les dommages », confirme Stéphane Bibeau, d’Estrie-Richelieu. « La première raison, ajoute l’assureur, c’est qu’il n’y a pas de demande pour ça. »

Ici, les assureurs couvrent les dommages causés aux bâtiments et aux actifs dont la valeur est facile à quantifier, comme la tubulure d’une érablière. Un arbre tombe sur votre cabane à sucre? L’assurance vous protège. Idem pour votre chalet ravagé par un incendie ou écrasé sous le poids de la glace ou de la neige. Quant aux arbres rasés par un incendie ou vos chemins forestiers emportés par une pluie torrentielle, non. « Combien vaut un arbre dans une forêt qui n’est pas exploitée? C’est assez difficile à quantifier », estime Stéphane Bibeau. Une fois coupé, c’est une autre paire de manches. Un mètre cube de bois rond, ça s’évalue. On sait combien il est possible d’obtenir pour lui sur le marché. « Ça devient un produit », explique Michel Auger, d’AGMA Assurances.

Contrairement à la France, les arbres ne sont pas assurés au Québec.  Photo : Claude Fortin

Pourquoi une assurance responsabilité?

« Quand on est actif, n’importe quel accident peut dégénérer », rappelle André Roy, président du Syndicat des Producteurs forestiers du Sud du Québec qui couvre les régions de l’Estrie et de la Montérégie. « Si vous causez un incendie en forêt, c’est bon d’être assuré parce que ça couvre aussi les voisins », précise le producteur forestier qui bûche de 8 à 10 voyages de bois par année sur sa terre de 174 hectares située à Sainte-Praxède, à environ 90 km au nord-est de Sherbrooke.

Encore une fois, la nature de vos activités en forêt déterminera si votre assurance habitation vous protège ou non en cas d’accident. Mais peu importe votre situation, l’assurance responsabilité s’impose, soutient Yanick Thibault, de La Turquoise. « Un arbre peut tomber sur un visiteur. Une tempête de vent peut transporter de lourdes branches chez un voisin et endommager son bien », illustre le courtier. « J’ai vu une situation où un feu déclenché par la foudre s’est propagé chez l’exploitant d’une pourvoirie voisine. Le bien du pourvoyeur a été endommagé. C’est l’assurance responsabilité qui a couvert les coûts de l’ac-cident », raconte Yanick Thibault.

Les dommages causés à l’environnement doivent aussi être pris au sérieux par les propriétaires de boisé, croit Yanick Thibault. « Les lots sont situés au cœur d’écosystèmes reliés à d’autres écosystèmes », rappelle le courtier de Mont-Laurier. « Imaginez que vous tombez dans un ruisseau avec votre machinerie, et qu’il y a un déversement d’huile qui pollue le cours d’eau qui se jette dans une rivière », dit-il. « C’est le genre de chose qui peut arriver », signale le courtier.

Un exemple venu de France

Si les arbres debout ne sont pas assurés au Québec, en France, oui. La Fédération des Syndicats de Producteurs Forestiers Privés de France, Fransylva, s’est associée à l’assureur Verspieren il y a quelques années pour offrir différents plans d’assurance dommages afin de protéger le patrimoine forestier de ses membres. Sylvassur couvre toutes les essences d’arbres. L’assurance peut assumer les risques liés aux incendies, aux tempêtes de vent et aux ouragans, en plus des dégâts causés par la neige. Une partie de la forêt, ou son entièreté, peut être assurée. Les primes1 varient d’une protection à l’autre. Dans le cas d’une couverture de la forêt entière, la valeur assurable varie entre 1 000 et 5 000 euros par hectare (1 400 $ à 7 750 $).

Toujours responsable

Le propriétaire d’un lot boisé demeure entièrement responsable de son bien et de ce qui s’y produit, rappelle Yanick Thibault, de La Turquoise. Si un tiers, comme une société d’aménagement, réalise des travaux dans un boisé, son propriétaire reste responsable des dommages et des accidents qui pourraient s’y produire. En cas de sinistre, le propriétaire du lot et le tiers seront mis en demeure, souligne le courtier.
« L’assureur défendra le propriétaire et reviendra en subrogation contre l’assureur de la société s’il est déterminé que cette dernière a une responsabilité dans le sinistre », explique Yanick Ouellet. 

Il demeure aussi de l’obligation du propriétaire du lot de s’assurer que son sous-traitant dispose d’une protection adéquate pour réaliser les travaux. Dans un cas comme celui-là, c’est un peu plus compliqué, admet le courtier de Mont-Laurier. « La subrogation devient plus difficile, dit-il. L’assureur continuera ses démarches directement avec la société qui devra tout de même répondre de ses actes, sans regard de notre assuré. »

1Source : https://www.fransylva.fr/assurance-dommages-foret-sylvassur.html