Ma famille agricole 25 octobre 2024

Une ferme qui aspire à rassembler

SAINT-VALLIER – Marie-Ève Roy et Guillaume Simard Lamontagne ont fait le pari de revenir au maraîchage sur une portion de la terre des Roy, passée de main en main depuis six générations et consacrée depuis une vingtaine d’années aux grandes cultures. Malgré les défis financiers et l’incertitude liés à ce type de vocation, le couple ne perd pas de vue son objectif : créer une agriculture de proximité dans laquelle l’accès à la terre rime avec cohésion sociale.

Le village de Saint-Vallier est facilement reconnaissable à la pointe qui s’avance dans l’estuaire du Saint-Laurent pour ensuite creuser une anse dans laquelle s’engouffrent les vents. Dans les champs en haut de la falaise, il vente si fort que Marie-Ève Roy et Guillaume Simard Lamontagne hésitent encore à installer des tunnels pour partir les plants plus tôt au printemps. Un seul abri derrière le kiosque garde les courges au chaud pour assurer leur conservation plus longtemps durant l’hiver.

C’est d’ailleurs par les courges que le couple a apprivoisé sa nouvelle vie en 2019. Marie-Ève rentrait dans ce coin de pays où elle a grandi après quelques années passées à Québec pour étudier – autant la couture que l’horticulture – et travailler, notamment en restauration. Guillaume, quant à lui, avait enseigné en production agricole au Centre de formation professionnelle Fierbourg, de Québec, après une première carrière en génie industriel et génie civil dans Portneuf. Tous deux rêvaient d’un autre mode de vie et Marie-Ève, de cultiver la terre familiale et d’offrir des légumes bios à la population locale.

On s’était dit qu’on allait mettre une pancarte sur la 132 et voir ce que ça allait donner, tout en se disant que ça se pouvait qu’on reste pris avec tous nos légumes.

Marie-Ève Roy

« Mais finalement, la pandémie est arrivée et les gens cherchaient ça. » Le couple a décidé de baptiser son entreprise Ferme Ancestrale Les Filles du Roy pour faire un clin d’œil aux deux sœurs de Marie-Ève et aux filles du Roy qui se sont installées dans la région à l’époque de la Nouvelle-France. Une façon de s’inscrire dans la continuité historique. 

Sur la table de la cabane à sucre transformée durant l’été en quartier général, Guillaume dessine un plan de la ferme. D’abord, il esquisse les lots achetés par Jocelyn Roy, le père de Marie-Ève, après avoir repris la relève, en 1991, de ce qui était alors une ferme laitière. Au centre, leur terrain enclavé que leur a prêté Jocelyn pour développer le maraîchage biologique. Un lopin de terre qui fait partie de la famille Roy depuis 1871. « Chaque fois qu’il aborde le sujet, Jocelyn dit que ces deux lots-là, il ne les vendra jamais », raconte Guillaume. Vérification faite au téléphone après la visite de La Terre : Jocelyn n’a pas l’intention de s’en départir. « Au moins, la terre de mon grand-père, je voudrais qu’elle reste dans la famille. Au moins, cette terre-là », réitère-t-il. Car Jocelyn conserve un profond attachement à ce lieu et de vifs souvenirs de ce grand-père qui livrait son lait frais à Québec par le chemin de fer de Saint-Vallier. 

Un transfert à discuter

Pour le moment, la façon dont Marie-Ève et Guillaume prendront possession du terrain reste encore à élucider. À 62 ans, Jocelyn se donne quelques années encore avant de prendre sa retraite, mais il sait que cette terre convoitée et bien drainée des basses-terres du Saint-Laurent peut difficilement être rentabilisée par le maraîchage. « S’il fallait qu’ils achètent le terrain qu’ils ont, je ne suis même pas sûr qu’il soit ­rentable », estime-t-il. 

Lors du passage de La Terre, Marie-Ève ramassait les dernières tomates cerises de la saison.

De leur côté, les producteurs maraîchers en sont encore à peaufiner leur plan d’affaires, et n’excluent pas le modèle coopératif.

On souhaite mettre en place quelque chose pour favoriser le travail collectif et avoir une implication sociale plus importante.

Guillaume Simard Lamontagne

« J’ai toujours été consciente de cette chance-là que j’ai eue de grandir sur ce lieu-là et d’y avoir accès. Quand j’étais petite, je voulais que tout le monde vienne ici pour en profiter », raconte Marie-Ève. 

En attendant, parents et amis ont déjà levé la main pour les aider. Le père de Guillaume, Yves Lamontagne, a même construit un four à pain en réutilisant les portes du four de la grand-mère de Marie-Ève. La communauté de Saint-Vallier répond aussi à l’appel, plusieurs clients venant donner un coup de main occasionnel en échange d’un crédit sur leurs achats. Et puis la famille s’agrandira bientôt avec l’arrivée d’un deuxième bébé en janvier.  

Un four à pain traditionnel construit par le père de Guillaume, Yves Lamontagne (à droite), permet de réaliser quelques fournées chaque été. Photo : Eugénie Emond

Fait maison

Dans l’ancienne étable, Guillaume a construit deux pièces destinées à différents usages, dont la conservation des légumes et la production des semis. « Avec une même unité de réfrigération, je suis capable d’avoir deux chambres à des températures différentes », explique-t-il. Afin de maximiser l’énergie utilisée pour le refroidissement de la chambre froide, ce dernier a ainsi installé des ventilateurs de recirculation d’air sur le mur mitoyen. « À ce temps-ci de l’année, je veux conserver de la tomate à 10 ou 12 degrés. Ma sonde de température indique d’aller chercher de l’air froid dans la chambre froide. » Un chauffage électrique d’appoint apporte aussi de la chaleur au besoin lorsque la production de semis le requiert. 

Guillaume dans l’une des pièces réfrigérées.

Le bon coup de l’entreprise

À leur arrivée à Saint-Vallier en 2019, Marie-Ève et Guillaume ont voulu implanter plusieurs haies brise-vents sur la terre. « On a voulu ajouter une zone de biodiversité qui nous sert d’écran avec les cultures traditionnelles qui nous entourent. On a une vingtaine d’essences différentes, indigènes et comestibles », souligne l’agricultrice. L’une de ces haies se trouve à proximité de la bleuetière qu’avait implantée Céline, la mère de Marie-Ève, dans les années 1990, et qui a produit plus que jamais cette année. Parmi les espèces comestibles de ces zones tampons, l’aulne crispée est particulièrement intéressante. C’est de cet arbuste qu’est issu le poivre des dunes, une épice boréale au gout résineux et musqué, récoltée après les premiers gels. Depuis quatre ans, la haie a grandi et l’aulne crispée produit de plus en plus. Une dizaine de kilos de poivre des dunes ont été récoltés l’an ­dernier et vendus au kiosque.

Le poivre des dunes issu de l’aulne crispée est récoltée après les premiers gels.
Fiche technique
Nom de la ferme :

Ferme Ancestrale Les Filles du Roy

Spécialité :

Maraîchage biologique

Année de fondation :

2019

Noms des propriétaires :

Marie-Ève Roy et Guillaume Simard Lamontagne

Nombre de générations :

6

Superficie en culture :

3,9 ha

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