Ma famille agricole 5 février 2023

Le rêve agricole d’un « urbain » de Rouyn-Noranda

CLOUTIER – Plutôt que de profiter de la retraite après plus de 35 ans de production laitière, un couple de Cloutier, en Abitibi, a choisi de ralentir en changeant la vocation de la ferme pour la production céréalière, en plus de structurer la filière des grandes cultures biologiques dans la région.

Fiche technique

Nom de la ferme :
Ferme Danicard

Spécialité :
Grandes cultures biologiques

Année de fondation :
1978 (changement de vocation
en 2014)

Noms des propriétaires :
Daniel Coutu et
Christiane Sicard

Nombre de générations :
1

Superficie en culture :
800 acres (324 ha)

Même s’il a été élevé « sur l’asphalte » du centre-ville de Rouyn-Noranda, Daniel Coutu a toujours su qu’il voulait avoir une ferme. Jeune, son père, qui avait obtenu le contrat de drainage des terres agricoles du ministère de la Colonisation, l’amenait au travail avec lui. 

« Je passais des journées complètes chez les colons. Mon père me ramenait le soir. Et puis, cette ambiance-là, tout ce qui touchait [au monde agricole], même l’odeur, me rejoignait. Et ça m’est resté. J’étais très jeune, à 12 ans, mais c’était bien écrit que j’aurais ma ferme avant 25 ans », se souvient Daniel Coutu.

De la colonisation à la construction du Québec moderne

Avant de réaliser son rêve, il a entrepris des études postsecondaires en philosophie, pour « comprendre un minimum la vie », sachant qu’il n’allait pas rester longtemps sur les bancs d’école. Puis, il a suivi un cours d’opérateur de machinerie lourde de manière à amasser rapidement l’argent pour acheter sa ferme. « J’ai fait la Baie-James; j’ai fait LG-2 du début du barrage jusqu’en haut. Je suis sorti de là deux ans et demi plus tard et j’avais mon capital pour acheter la ferme, se remémore-t-il. Ils demandaient des 84 heures par semaine, sauf que je faisais au-dessus de 100 heures. J’avais un objectif et j’ai travaillé pour le réaliser. »

Après leur rencontre, dans une chorale au cégep, sa femme Christiane a amorcé des études en musique à l’Université de Montréal. « Je suis venue travailler un été. [Daniel] avait besoin de monde et je ne voyais pas tellement d’avenir en musique pour moi. J’aime la musique, mais pas pour en faire un métier. Donc, je suis restée, explique Christiane Sicard. Et Daniel était déjà à la ferme avec un ami, mais son ami est parti un an après. Il avait perdu comme 50 livres; ce n’était pas pour lui! » Pendant 37 ans, c’est elle qui s’est occupée de la traite des vaches chaque matin.

Transition vers les grandes cultures

Puis, en 2014, le couple a ressenti de la fatigue. « Christiane me disait qu’elle ne pourrait pas passer une autre année. On a eu un acheteur très rapidement, en quelques jours, parce que [le troupeau] avait une excellente génétique et il est parti en Ontario. Ensuite, on a voulu continuer avec de la grande culture parce que les terres étaient déjà à leur pic. »

Le couple a obtenu un contrat de culture de fèves noires avec une entreprise ontarienne qui s’est finalement avéré un point tournant. « Le contrat stipulait six applications d’engrais chimique et de pesticides. Quand l’année a été terminée, j’ai dit à Christiane : “Pu jamais!’’ M’habiller en scaphandre pour mettre du chimique sur les terres, non », raconte Daniel Coutu.

Le virage vers le bio s’est fait de manière naturelle pour le couple, versé dans le compostage du fumier de son troupeau depuis ses débuts, en 1978. « Ce qui m’a le plus surpris, c’est la méconnaissance que je pouvais avoir, même si je faisais de la culture depuis 36-37 ans », avoue M. Coutu, qui a enchaîné les formations et les lectures pour tirer son épingle du jeu.

Blé, avoine, pois, chanvre, fourrages : le couple est ainsi devenu l’un des pionniers du bio dans la région. Alors que ce segment connaît une forte effervescence — avec un bond de 750 % des superficies cultivées biologiquement entre 2014 et 2019 —, plusieurs agriculteurs se tournent vers Daniel Coutu pour des conseils. Vaillamment, il s’implique aussi au sein de divers comités pour mettre en valeur l’agriculture dans une région jeune de ce point de vue et où l’industrie minière est reine.

Daniel Coutu estime que le foin produit en Abitibi est d’une qualité exceptionnelle, en raison de la concentration des sucres lors des longues journées chaudes et des courtes nuits fraîches, typiques de la région. Photo : Émilie Parent-Bouchard
Daniel Coutu estime que le foin produit en Abitibi est d’une qualité exceptionnelle, en raison de la concentration des sucres lors des longues journées chaudes et des courtes nuits fraîches, typiques de la région. Photo : Émilie Parent-Bouchard

Sa femme Christiane, elle, profite de ses nouveaux temps libres pour faire profiter ses voisins de la qualité des grains qui poussent à la Ferme Danicard. Elle produit de manière artisanale de la farine intégrale, de blé entier ainsi que du son qu’elle vend au marché public de Rouyn-Noranda.

« Ma clientèle travaille, elle se tient en forme, elle fait attention à son alimentation et apprécie le bio. Moi, je mange toujours ce pain-là pour déjeuner. Je n’ai pas une recette; j’en ai 50! Je cherche toujours de nouvelles recettes, j’essaie toutes sortes de choses. Je m’amuse beaucoup là-dedans », assure-t-elle.

Le reste du temps, elle profite d’une semi-retraite bien méritée… entre la cuisine, le champ et le chant choral qu’elle n’a jamais cessé de pratiquer. 

Les installations de la ferme laitière servent aujourd’hui à entreposer grain, fourrages et équipement. Photo : Émilie Parent-Bouchard
Les installations de la ferme laitière servent aujourd’hui à entreposer grain, fourrages et équipement. Photo : Émilie Parent-Bouchard

Le bon coup de l’entreprise

Mettre en ligne une page Facebook pour regrouper les producteurs de grains biologiques de l’Abitibi-Témiscamingue a été profitable non seulement pour la Ferme Danicard, mais aussi pour plusieurs producteurs de la région, assure Daniel Coutu. « Ç’a réuni les producteurs et ça nous a permis de développer des marchés et de faire la mise en marché des grains de la région. Avant, les gens n’avaient pas de marchés; ils donnaient leur production aux veaux », se souvient-il en riant. Les agriculteurs partagent sur cette page des informations relatives aux contrats disponibles, des offres de formation, de participation à des projets de recherche et d’autres conseils ou contacts. La page Facebook a aussi retenu l’attention de certains clients : « On est entrés en relation avec la Coop Agrobio et d’autres acheteurs qui nous contactent régulièrement. Depuis ce temps, ils savent que l’Abitibi-Témiscamingue existe », fait valoir le producteur. 

 

3 conseils pour réussir sa transition biologique

  • La formation
    « La formation! » répond d’emblée le couple d’agriculteurs. Daniel Coutu et Christiane Sicard ajoutent dans la foulée qu’il faut aussi savoir s’entourer, mentionnant que le fait de s’être adjoint une conseillère en culture biologique a aussi été un facteur de réussite pour faciliter la transition. « Même si j’avais plus de 35 ans d’expérience au niveau de la culture parce que je cultivais mes champs avec mes vaches laitières, je me suis rendu compte qu’il y avait à peu près 20 % de mes connaissances qui pouvaient avoir un impact sur le biologique , estime Daniel Coutu. Ç’a pris des formations continues non stop et beaucoup, beaucoup de lecture parce que c’est un autre monde complètement. »

  • La persévérance
    « Les gens s’attendent à ce que ça fonctionne dès la première année, mais pour nous, ç’a été très long avant de voir un certain résultat », prévient Christiane Sicard.

  • L’observation
    Selon Daniel Coutu, il ne faut pas négliger le temps passé au champ une fois les céréales semées. « Deux fois par jour, tu vérifies tes stades de mauvaises herbes; tu vérifies tout. C’est l’observation avec un “o” majuscule, au quotidien. »
    Les producteurs ont construit une grange en réutilisant de vieux poteaux de téléphone. Photo : Émilie Parent-Bouchard
    Les producteurs ont construit une grange en réutilisant de vieux poteaux de téléphone. Photo : Émilie Parent-Bouchard

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