Les visages de l’agriculture

Bernard Cousineau
Entreprises Bernard Cousineau limitée (Coteau-du-Lac et Saint-Clet, Montérégie)

Bernard Cousineau

De l’importance de faire suivre le patrimoine familial

Des terres, Bernard Cousineau en a connu beaucoup dans sa vie. La terre que cultivaient son père et son oncle alors qu’il était jeune a laissé place à l’un des plus gros centres commerciaux du Québec, dans l’Ouest-de-l’Île de Montréal. « Dans le temps, on ne parlait pas du boulevard Saint-Jean, mais du rang Saint-Jean. Les choses ont bien changé et personne ne pourrait croire aujourd’hui qu’il y avait des fermes ici. »

Oui, les choses ont bien changé, comme il le dit si bien. « De nos jours, on vit une grande crise. Notre société vit des moments difficiles, on est presque en chute libre et ce n’est pas terminé, mais on va s’en sortir! » nous explique-t-il.

J’ai une fille qui est psychologue et j’aime bien discuter avec [elle] des problèmes de société actuels. J’ai l’impression que je suis à un point dans ma vie où je peux apprécier ce qui a été fait dans le passé et ce qui peut être fait dans le futur. On n’est pas toujours d’accord, mais j’aime ces échanges.

Bernard Cousineau

« On serait en train de traverser la pire crise et ce serait un phénomène mondial. L’histoire nous a démontré que ça prend une crise pour construire. Ce qu’il faut cependant, c’est d’apprendre à travailler ensemble, se regrouper pour se sortir de la crise et pour devenir plus fort, comme l’ont fait les agriculteurs il y a 100 ans. La crise agricole était importante à cette époque; elle concernait le crédit, la vente des produits et les règlements imposés aux agriculteurs. Et c’est en se rassemblant qu’ils ont pu s’en sortir. Actuellement, on vit sensiblement la même chose : les règlements affectent le moral des troupes; les gens vont devoir se réveiller et agir! Les gens sont seuls, beaucoup sont séparés, ils sont divisés. La crise, elle, a de multiples visages : elle est économique, sociale, climatique. C’est sûr qu’on va répéter l’histoire. Il est grand temps de se réveiller! » 


Rosalie Asselin
Future relève de la Bleuetière Asselin (Lanoraie, Lanaudière)

Rosalie Asselin

Une jeune femme qui a hâte de prendre sa place

Bien que je ne sois pas encore officiellement considérée comme une relève agricole, je m’y prépare déjà. Quand viendra le temps de prendre la relève de la ferme familiale, je serai fin prête ». C’est en ces mots que la jeune Rosalie Asselin, 17 ans, au port de tête assumé et fier, est venue nous parler de futur, de ses projets et ambitions. 

« Je termine mes études et j’entreprends la transition de la ferme; du moins, c’est ce qui est prévu avec mes parents. Je vais prendre mon temps pour que ce soit bien fait et que tout le monde y trouve son compte et soit heureux. » 

En tant que femme, je suis à même de constater l’évolution de la place des femmes en agriculture. Pendant longtemps, on ne voyait que le nom des pères sur les silos, les granges et autres bâtiments agricoles. On voit maintenant la mention “… et fille” ou des noms féminins sur ces affiches. Il était temps que les femmes prennent leur place et soient reconnues au même titre que les hommes. L’Institut national d’agriculture biologique commence à avoir de plus en plus de filles. La session passée, dans mon groupe, c’était moitié-moitié.

Rosalie Asselin

« Moi, ce qui m’attire en agriculture, c’est d’avoir vu mon père y travailler tout en ayant du plaisir. Chaque jour, il revenait à la maison satisfait de sa journée de travail même si elle était éreintante. J’ai grandi sur la ferme. On dit que je suis le tomboy de la famille. J’adore les tracteurs et la mécanique. C’est donc normal pour moi que je me sois intéressée à l’agriculture et que j’aie décidé de poursuivre les activités familiales. »

« Avant, notre ferme faisait de la production de tabac. Aujourd’hui, on est dans la production maraîchère, spécialisés en courges, bleuets et depuis peu de temps, nous avons commencé la pomiculture. » 

« Mon plus grand souhait est de pouvoir mieux vivre de l’agriculture que mes parents. J’espère notamment avoir plus de ressources, car cette année, les maraîchers, on y a goûté. Notre société doit mieux valoriser la santé, l’éducation et l’agriculture. Sans la santé et l’éducation, on ne vit pas bien, mais avant toute chose, on a besoin de manger et c’est l’agriculture qui nous permet de manger, d’avoir nos trois repas par jour. » 


Tony et Yvon Doyon
Ferme Yvon Doyon et associés (Saint-Guillaume, Centre-du-Québec)

Yvon et Tony Doyon

Une cinquième génération de passionnés se prépare déjà!

Yvon (3e génération) et son fils Tony sont des producteurs de grandes cultures à Saint-Guillaume, dans le Centre-du-Québec. 

D’entrée de jeu, Yvon nous dit : « Je viens d’une famille agricole, mais je n’étais pas le seul à vouloir prendre la relève de mon père. Alors je suis allé faire un cours de soudure et je suis allé travailler dans une usine. Ce n’était pas ma place. Je revenais tous les soirs fatigué, vidé. Je ne trouvais pas de sens à ma vie, et c’est pourquoi je suis revenu à l’agriculture. Par chance, une terre était à vendre dans le village. J’en ai profité, je l’ai achetée. C’était en 1981. Aujourd’hui, je souhaite que mon fils puisse prospérer de la même façon que j’ai pu le faire depuis que j’ai la ferme et qu’il obtienne le soutien nécessaire à la poursuite de ses activités. »

Timidement, et parce qu’il est invité à participer à la discussion, Tony ajoute : « Moi, j’aime l’agriculture, car je n’ai pas d’horaire fixe. J’aime la machinerie, j’aime le travail bien fait. Contrairement à mon père, j’ai fait toute la formation requise. » 

Tous les deux souhaitent que les producteurs agricoles soient plus reconnus et valorisés par la population générale. Ce à quoi Yvon ajoute : « Ce qui se passe actuellement en Europe est désarmant. Les agriculteurs ont peur [que le public] s’en prenne à eux en les traitant de pollueurs et de responsables de la destruction de la planète. En plus, ils sont mis de côté et ne reçoivent pas le soutien requis pour poursuivre leurs activités, alors que bon nombre d’entre eux font faillite. La manifestation des 5 000 tracteurs en plein milieu de Berlin [NDLR : mi-janvier 2024] a de quoi faire réfléchir. Nos sociétés sont différentes, mais pas tellement, finalement. »

« L’UPA, c’est notre force à nous, les agriculteurs, et il faut en être fiers. Ça fait environ sept ans que je m’implique et mon fils commence de son côté avec les Producteurs de grains. C’est comme ça que j’arrive à rencontrer d’autres producteurs comme moi et j’invite tous ceux qui le peuvent à faire de même. J’ai rencontré Martin Caron qui m’inspire énormément. On est chanceux de l’avoir. J’espère que lui aussi a de bonnes relèves comme ce que j’ai. Plus jeune, je n’avais pas de temps pour m’impliquer, mais aujourd’hui, je suis l’actualité et je prends ma place. Maintenant, tout m’intéresse. »


Gilles Perreault
Ferme Gilpero (Saint-Germain-de-Grantham, Centre-du-Québec)

Gilles Perreault

Comme un livre d’histoire ambulant! 

La première ferme de la famille des Perreault a été achetée à la fin des années 1800 au montant de 4 500 $. Elle était située sur le 5e rang à Grantham, aujourd’hui Drummondville. « C’était énormément d’argent à l’époque », explique Gilles, l’un des fiers descendants de cette famille d’agriculteurs et de producteurs laitiers. 

L’aïeul a eu plusieurs enfants. Certains ont pu reprendre la ferme, alors que d’autres ont plutôt acheté des terres ailleurs, toutes situées dans le même secteur du Centre-du-Québec. C’est le cas du père de Gilles, qui a acheté la ferme de son père qui, lui, n’avait pas pu avoir la terre familiale et avait déniché une autre terre tout près. Gilles a déjà transmis sa ferme à son fils, mais continue de garder un œil bienveillant pour la poursuite des activités et surtout pour aider à préparer la relève de la génération suivante. 

L’histoire de Gilles est collée à celle de l’UPA. C’est sans retenue qu’il nous a dévoilé certains de ses souvenirs quand nous lui avons parlé du 100e anniversaire. 

« Ça fait 51 ans que je suis impliqué auprès de mon UPA locale à Nicolet. Je dis UPA, mais c’était l’UCC au début. Ma ferme était dans le secteur de Saint-Germain. Avant, tout était divisé selon les paroisses et le curé parlait souvent de l’UCC à la messe. Dans chaque fédération, il y avait deux, parfois trois aumôniers qui s’intéressaient à l’agriculture. C’est grâce à ces gens et à l’Église – même si, de nos jours, on les critique –, c’est grâce à eux s’il y a l’Union qu’on connaît aujourd’hui. C’est grâce à eux si l’Union a été initiée. Ce sont eux, les gens de l’Église, qui ont expliqué les bienfaits de s’unir et de travailler ensemble, parce qu’avant, c’était chacun de son bord. Il y avait d’autres unions de cultivateurs à ce moment-là, mais il y avait aussi beaucoup de chicanes. Puis, ça ne répondait pas nécessairement à tous les besoins du temps.

« Mon grand-oncle, Arthur Perreault, a lui-même participé à la fondation de l’UCC en étant l’un des agriculteurs présents au grand congrès du mois d’octobre 1924 à Québec. Son père, Amédée, a été membre du Conseil d’administration des producteurs de lait industriel de Nicolet.

« Amédée avait dit quelque chose d’important avant d’envoyer son fils au congrès. Cette anecdote a été consignée dans un manuscrit dont la seule copie était restée au local de Nicolet. Malheureusement, ce livre a brûlé dans l’incendie des bureaux de l’Union, mais l’anecdote me reste encore dans la tête. Elle disait qu’il souhaitait que tous les cultivateurs soient membres de l’Union, que ce devrait être obligatoire pour tout le monde, et que ce serait comme ça qu’on réussirait à régler les problèmes. Amédée avait vu juste! »

Comme les fondateurs, ne jamais cesser d’y croire

« La première mission qu’on m’a donnée il y a 51 ans, c’était d’aller collecter les cotisations des membres. À ce moment, cette cotisation était de 5 $. Les agriculteurs me demandaient de leur promettre que ça n’augmenterait pas. Voyons, 5 $ sans augmentation et une promesse d’ivrogne, c’est du pareil au même! Après, la cotisation est montée à 7 $, puis à 10 $, ce qui est normal pour tous les services qui s’ajoutaient et qu’on recevait de la part de l’UPA. C’était en 1972, au moment où l’UCC est devenue l’UPA, grâce à la loi qui allait nous reconnaître.

« C’est une partie de notre histoire que j’ai vécue. Mais ce n’est pas la seule. J’ai aussi connu l’époque de la guerre des laits, nature et industriel, avec les prix différenciés selon l’acheteur et à la convention de vente. Puis est venue la fusion des deux fédérations de lait pour devenir la Fédération des producteurs de lait du Québec. À ce moment-là, ce qui a été le plus important pour les producteurs laitiers, c’était de ne pas perdre la convention de vente.

« J’ai aussi vendu des certificats pour aider à construire la Maison de l’UPA à Longueuil. C’était un projet de Marcel Mailloux, qui était alors président par intérim. Il projetait d’acheter des terrains pour y construire le nouveau siège social. Avant, les bureaux étaient situés sur la rue Viger, à Montréal. Quand ils ont décidé d’aller à Longueuil, le conseil d’administration était divisé, mais Marcel Mailloux a réussi à les convaincre en prouvant qu’on ne perdait jamais d’argent avec l’immobilier et que l’emplacement du terrain situé sur le boulevard Roland-Therrien serait idéal pour tout le monde. Il y a eu beaucoup de critiques, mais aujourd’hui, c’est le point central des activités de la Confédération et de plusieurs groupes spécialisés.

À la fin des années 1970, Gilles Perreault a participé à la collecte de fonds pour la construction de la Maison de l’UPA, à Longueuil. Photo : Archives UPA

« Alors, j’ai repris mon porte-à-porte pour aller chercher des chèques de 100 $, montants qui serviraient à financer l’achat des terrains et des travaux de construction. Les terrains qui n’ont finalement pas été utilisés ont pu être vendus à bon prix quand est venu le temps d’agrandir la Maison de l’UPA. Ce montant a permis de financer une grande partie des travaux d’agrandissement », dit-il, fier d’avoir participé à cette portion de l’histoire
du Québec.


France Lachance et Normand Poirier
Ferme Franord inc. (Valleyfield, Montérégie)

Normand Poirier et France Lachance

Miser sur des bases… d’une solidité à toute épreuve!

Aujourd’hui, l’agriculture n’est plus ce qu’elle était. Si on pouvait facilement se procurer des terres il y a 50 ans, tout a changé, que ce soit du côté financier, économique, social, et tout le reste. Devenir agriculteur est un choix qui doit être mûrement réfléchi et pour lequel il faut une préparation bien ficelée. 

France et Normand prônent justement cette prudence et l’ont mise à l’œuvre tout au long de la préparation de leur fils de façon à assurer la pérennité de l’entreprise qu’ils ont bâtie et dont ils sont si fiers. 

La mère de France avait été agricultrice dans le Bas-du-Fleuve, mais a épousé un ouvrier de construction. Comme on dit : qui prend mari prend pays! France a donc passé son enfance dans un village, et a étudié en administration et en finances. Tout a basculé lorsqu’elle a rencontré l’homme de sa vie, un agriculteur! 

Normand a grandi sur la ferme de ses parents, même si la famille a déménagé en cours de route, passant d’un côté à un autre de la municipalité où ils habitaient. C’est cette nouvelle ferme que France et Normand ont achetée en 1979. Leur fils, Jean-Marc, est actionnaire depuis 2012. Ils considèrent que c’est une ferme de 3e génération, sinon plus, car les parents de Normand avaient, eux aussi, repris les rênes de la ferme familiale. 

Aujourd’hui, l’entreprise compte un cheptel de
150 têtes et est en production de grandes cultures en plus des cultures fourragères pour le troupeau. 

Bien préparer l’avenir

Quand on l’interroge sur l’avenir de l’agriculture, France insiste pour dire qu’on « ne doit pas minimiser les éléments du processus de transfert de ferme. Il faut s’assurer que tout, absolument tout, soit évalué avec minutie. Ce n’est pas juste une question comptable ou la signature d’un papier rédigé par un avocat. C’est une grande aventure qui doit prendre en considération les relations entre des individus, la vision à très long terme de l’entreprise, les ressources et tellement plus ».

« Quand on fait un transfert de ferme, il faut s’assurer qu’absolument tout soit pris en compte pour que ça aille bien et que ça dure. Ce n’est pas tout le monde qui peut vivre du rêve de devenir agriculteur aujourd’hui. On entend souvent des histoires d’horreur où les parents ont transféré la ferme à leurs enfants sans préparation préalable en pensant que tout irait bien puisqu’ils avaient grandi sur la ferme. Puis, du jour au lendemain, les enfants décident de vendre, épuisés… d’où l’importance d’une bonne planification et d’un bon soutien. Il faut que la base soit très solide avant de penser faire quoi que ce soit. Et cette planification est essentielle, peu importe le domaine d’activité que l’on pratique », conclut-elle avec conviction, mais surtout les yeux remplis d’étoiles en pensant à leur fils Jean-Marc.