Partenaire de La Terre 5 février 2024

Les producteurs se regroupent et s’organisent

Dans un Québec en pleine ébullition, les producteurs d’œufs québécois ont entrepris dans les années 1960 une série de luttes pour s’affranchir des règles du libre marché.

Entre 1945 et 1975, le visage du Québec se métamorphose complètement en l’espace d’une génération. Sa natalité explose, son urbanisation s’accélère et sa population s’enrichit grâce à la prospérité de l’après-guerre. L’État intervient dans le libre-marché afin que les bénéfices de cette nouvelle richesse demeurent au Québec et profitent à tous les Québécois. C’est la Révolution tranquille! 

Inspirés par Jean Lesage et son fameux slogan « Maîtres chez nous », les Québécois mènent de front unew série de réformes qui les propulseront dans une nouvelle ère : démocratisation de l’éducation, universalité des soins de santé, renforcement de la fonction publique, nationalisation de l’électricité et création de la Caisse de dépôt et placement du Québec. Et c’est armés de cette nouvelle confiance qu’ils accueillent à Montréal des millions de visiteurs à l’occasion de l’Exposition universelle de 1967.

De plus en plus imposante, la classe moyenne québécoise a adopté les deux éléments iconiques du rêve américain : une maison et une voiture. Elle s’établit dans les nouvelles banlieues desservies par des autoroutes toutes neuves. Son automobile lui permet de jouir de son pouvoir d’achat accru dans des commerces nouveau genre : les supermarchés et les centres commerciaux. L’époque de l’épicerie du coin et du magasin général tire à sa fin.

Devant ces nouvelles habitudes de consommation, l’agriculture québécoise doit elle aussi s’adapter et se moderniser. Elle doit passer d’une production domestique à une production spécialisée, axée sur les marchés.

En effet, au début des années 1960, le Québec compte près de 100 000 fermes, essentiellement des fermes mixtes. Un grand nombre d’entre elles sont uniquement destinées à subvenir aux besoins de la famille.

Pour la majorité des 2 700 entreprises qui déclarent avoir des pondoirs, les œufs ne sont qu’une production d’appoint. En 1961, seulement 41 % des poules pondeuses se retrouvent dans des fermes spécialisées. Quelques entreprises possèdent de 2 000 à 3 000 poules, mais rares sont celles qui entretiennent des troupeaux aussi grands que 10 000 pondeuses. 

Une structuration est alors nécessaire pour faire face aux grandes fermes ontariennes et de l’Ouest du pays, créées au cours de la Seconde Guerre mondiale pour fournir des œufs aux pays alliés. 

Le Manitoba est notamment un joueur important de l’industrie en raison des brasseurs qui s’y sont installés vu la proximité de l’approvisionnement en grain pour le brassage de la bière. Ces compagnies ont saisi l’occasion que leur procurait la guerre 1939-1945 pour établir une importante production d’œufs sur place afin de fournir les marchés européens qui avaient cessé d’être approvisionnés localement. Après la guerre, l’approvisionnement du marché de Montréal s’avère en quelque sorte une nouvelle direction de leur produit. Les œufs sont produits à bas prix et peuvent ainsi inonder le marché de Montréal, d’où est apparu un phénomène nouveau : les chaînes d’alimentation.

En effet, les Steinberg, Dominion et autres supermarchés de l’époque demandent désormais un approvisionnement continu et en gros volume. Incapables de trouver une telle capacité de production au Québec, la plupart d’entre eux se sont tournés vers les pondoirs de l’Ouest canadien, de l’Ontario et même des États-Unis pour remplir leurs tablettes et satisfaire leur clientèle.

Les producteurs québécois ne demandent pourtant pas mieux que de répondre à la demande. Pour ce faire, ils constatent que leur mise en marché est à repenser. Ils doivent changer les règles du jeu, se disent-ils, car les lois du libre marché ne bénéficient qu’aux chaînes d’alimentation et aux gros producteurs à l’extérieur du Québec.


Ce texte provient d’un cahier spécial publié par la Fédération des producteurs d’oeufs du Québec, dans le cadre des célébrations entourant leur 60e anniversaire de création.