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Depuis sa création en 1924, l’Union catholique des cultivateurs (UCC), devenue l’Union des producteurs agricoles (UPA) près de cinquante ans plus tard, a joué un rôle crucial dans la transformation de l’agriculture au Québec. Elle a mené plusieurs batailles qui ont favorisé l’adoption de lois clés, apportant des changements significatifs dans les méthodes de production, la commercialisation et la protection des agriculteurs. En voici un survol.
Une première bataille : la Maison des bûcherons
Pendant de nombreuses années, les cultivateurs devenaient bûcherons pendant l’hiver. La plupart d’entre eux n’avaient pas le choix, car il fallait trouver d’autres sources de revenus pour faire vivre la famille. Les conditions étaient difficiles et les salaires, faméliques. Les hommes travaillaient jusqu’à 16 heures par jour. Une ponction salariale était effectuée pour payer l’hébergement et la nourriture, si bien qu’il ne restait parfois plus rien. En 1934, l’Union des bûcherons est créée et se joint à l’UCC. Cette dernière, forte d’une opinion publique attentive, réussit à obtenir du gouvernement Duplessis la fixation d’un salaire mensuel minimum et l’adoption de diverses mesures dont les conditions d’hygiène sur les chantiers. En 1939, l’UCC ouvre un établissement dans la ville de Québec – plus précisément au 319, rue Saint-Paul – pour offrir divers services aux cultivateurs bûcherons : hébergement, repas, services religieux, magasin général, caisse d’épargne, service de placement et bien plus. Forte du succès de cette aventure, l’UCC projette l’ajout de nouvelles maisons et fait même l’acquisition, en 1947, d’une maison en Haute-Mauricie. Mais les coûts de l’aventure et l’apparition de nouveaux moyens de transports publics rendent caduc le recours à de tels établissements. L’UCC cessera complètement les activités de la Maison des bûcherons en 1957.
L’électrification rurale et la transformation agricole
Une des grandes victoires de l’UCC a été l’adoption de la Loi sur l’électrification rurale en 1945 par le gouvernement de Maurice Duplessis. Cette loi a été une réponse à la campagne de l’UCC, commencée dans les années 1930, pour fournir l’électricité aux agriculteurs par la création de coopératives d’électricité rurales. À cette époque, des sociétés privées fournissaient l’électricité et elles desservaient essentiellement les grandes agglomérations et les secteurs industriels. Avant cette loi, moins de 10 % des fermes étaient électrifiées.
« Cette réforme a permis de moderniser l’agriculture, d’améliorer les méthodes de production et d’élargir les marchés, affirme Lionel Levac, journaliste et chroniqueur spécialisé dans le secteur agroalimentaire. Au milieu des années 1940, les producteurs commençaient à développer les marchés extérieurs. L’électricité leur a permis d’utiliser différents équipements électriques; pensons aux trayeuses ou aux systèmes de ventilation, par exemple, qui ont changé la vie sur les fermes et permis de produire davantage. »
Les avantages de la mise en marché collective
Dès les années 1950, l’UCC milite pour instaurer une forme de mise en marché collective afin de contrer l’instabilité des prix et la dépendance des agriculteurs vis-à-vis des acheteurs.
« En raison de la concentration des acheteurs, le rapport de force était vraiment inégal, les producteurs se voyant imposer des prix parfois trop bas pour leur production », raconte David Dupont, chercheur à l’Institut de recherche en économie contemporaine (IRÉC).
L’adoption de la Loi sur la mise en marché des produits agricoles en 1956 est venue changer la donne, établissant un cadre légal pour la mise en place de plans conjoints. Elle a permis une meilleure régulation des prix et a offert aux agriculteurs des moyens de négocier plus équitablement avec les acheteurs. La loi a aussi entraîné une standardisation des productions. « Par la mise en marché collective, on souhaitait rehausser les standards de qualité de la production pour que ça soit conforme aux attentes de l’industrie », ajoute David Dupont, qui est aussi l’auteur du livre Une brève histoire de l’agriculture au Québec.
L’assurance récolte : un filet de sécurité pour les agriculteurs
La quête pour une assurance récolte a été une autre lutte significative. Dès 1955, les représentants de l’UCC revendiquent que l’État offre une compensation lors de mauvaises récoltes comme cela se fait ailleurs dans le monde. En 1959, le gouvernement fédéral instaure un premier programme d’aide. Ce dernier ne répond pas aux attentes des producteurs, qui continuent de revendiquer cette assurance importante pour la pérennité des activités agricoles. Des manifestations massives d’agriculteurs ont lieu, dont la marche sur Québec qui a réuni 18 000 producteurs en 1964. Il faudra attendre 1967 pour que la Loi sur l’assurance récolte soit finalement adoptée. Elle a offert une sécurité supplémentaire aux agriculteurs, leur permettant de se protéger contre les aléas climatiques et les mauvaises récoltes.
« L’assurance récolte a fourni une assise solide pour une agriculture plus pérenne, qui pourrait vraiment se développer », explique Lionel Levac.
L’UCC se transforme et devient l’UPA
En 1972, avec l’adoption de la Loi des producteurs agricoles, l’UCC est devenue l’Union des producteurs agricoles. « Un changement de nom reflétant l’évolution sociale et le mouvement de laïcisation des instances qui a marqué le Québec à cette époque », explique David Dupont. La nouvelle législation a établi le rôle de l’UPA comme l’unique syndicat représentant tous les producteurs agricoles québécois. Ce modèle de syndicat unique est aussi appliqué aux autres associations syndicales professionnelles. De plus, la Loi sur les syndicats professionnels et la réforme du Code du travail, en 1977, ont conféré à l’Union le droit de percevoir des cotisations de tous les producteurs (avec l’application de la formule Rand). Cette unification a permis aux agriculteurs de se rallier et d’être moins vulnérables face aux défis du marché et du climat.
Des revenus plus stables
En 1975, le programme d’assurance stabilisation des revenus a été instauré. Ce programme visait à compenser les fluctuations du marché, assurant ainsi une meilleure sécurité financière pour les agriculteurs, dont les revenus étaient passablement plus bas que la moyenne des travailleurs québécois. Cette initiative a été cruciale pour leur permettre de maintenir leurs activités malgré les variations des prix du marché.
« C’est une autre loi qui est venue apporter un peu plus de sécurité aux producteurs, affirme Lionel Levac. C’est une assurance contributive, les producteurs devant y contribuer, qui a aussi été un outil de développement. Elle a favorisé l’adoption de méthodes de production modernes permettant d’accroître la productivité des fermes et d’améliorer la qualité des cultures. »
Protéger le territoire agricole
L’UPA a également joué un rôle clé dans la lutte contre l’étalement urbain. En 1978, le premier gouvernement de René Lévesque adopte la Loi sur la protection du territoire agricole, une réponse directe aux demandes des producteurs pour sauvegarder les terres cultivables face à l’urbanisation croissante. Elle sera suivie de la Loi sur la protection du territoire et des activités agricoles, adoptée en 1996, qui vient renforcer certaines dispositions.
Création de La Financière agricole
L’an 2000 a marqué une étape importante avec l’adoption du projet de loi permettant la création de La Financière agricole du Québec. Cet organisme, résultat d’une collaboration étroite entre l’UPA et le gouvernement, a permis de centraliser la gestion des aides financières destinées au secteur agricole.
L’idée de créer ce nouveau modèle d’organisation résulte de la tenue de deux événements majeurs, soit la Conférence sur l’agriculture en 1998 et le Rendez-vous des décideurs l’année suivante. Le modèle proposé était inédit : réunir l’expertise financière gouvernementale liée au milieu agricole au sein d’une même organisation gérée en partenariat avec les producteurs.
Ce ne sont là que quelques exemples des enjeux auxquels s’est attaquée l’UPA. À travers ces grandes batailles législatives et sociales et grâce à l’obtention de ces grandes lois-cadres, l’organisation a incontestablement façonné l’agriculture québécoise. Notre agriculture se démarque de toutes celles qu’on retrouve en Amérique du Nord : elle est à l’échelle familiale, et à l’aide de l’encadrement offert par ses différents outils de mise en marché, elle procure une stabilité des revenus. Pas surprenant que l’UPA soit dans la mire de groupes de producteurs du monde entier qui, devant notre fonctionnement et notre encadrement législatif pour l’agriculture, sont à la fois intrigués et envieux. Ces lois, fruits de luttes acharnées, ont permis de créer un environnement plus stable, juste et productif pour les agriculteurs. Elles témoignent de l’impact profond qu’une organisation représentative, engagée et résolue peut avoir sur un secteur vital comme celui de l’agriculture.