Hommage à notre patrimoine agricole

Le Québec regorge d’histoires remarquables d’exploitations agricoles qui se démarquent par leurs performances, leurs distinctions ou leur longévité. Parce qu’il apparaît important de mettre en lumière cet admirable patrimoine agricole, voici une rencontre avec les propriétaires de trois fermes plus que centenaires. À travers ces histoires se présentent les mêmes défis de renouvellement de générations, de transmission des acquis, de préservation de la tradition et d’héritage des valeurs.


FERME E.P. DOYON INC.
Chaudière-Appalaches

La Ferme E.P. Doyon vue du ciel. Photo : Gracieuseté de Paul Doyon

La grande histoire d’une grande famille

Paul Doyon est l’actuel 1er vice-président général de l’UPA, mais il est d’abord et avant tout un homme de la terre. Alors qu’il passe lentement, mais sûrement, le flambeau à ses fils, nous l’invitons à poser son regard sur la ferme trois fois centenaire dont il est le copropriétaire. 

Il faut retourner jusqu’en 1742 pour aller à la rencontre de celles et ceux qui ont été les premiers à défricher le sol beauceron sur lequel est maintenant établie la Ferme E.P. Doyon. Le moins qu’on puisse dire, c’est que les premiers colons à s’être installés là seraient sans mots s’ils pouvaient voir, 300 ans plus tard, ce que leur lopin est devenu! Aujourd’hui, l’exploitation agricole compte 90 vaches laitières, une érablière familiale et des cultures destinées à nourrir le troupeau. La ferme s’est aussi enrichie de plusieurs hectares de terrain en 1989, quand la famille a fait l’acquisition des terres ancestrales appartenant à la famille de la mère de Paul, situées dans le même rang. Pour le producteur, le fait d’avoir jumelé les terres lui ayant été cédées par son père à celles de la famille de sa mère représente plus qu’un simple ajout territorial; il a constaté combien la puissance de ce legs a donné un sens profond à ce lien qui l’unit à sa ferme et à sa vie. 

L’homme a le regard brillant de fierté en pensant à ses deux fils Paul-Étienne et Jean-Philippe, qui prennent peu à peu la relève de l’entreprise, permettant ainsi à la ferme ancestrale de rejoindre une dixième génération d’agriculteurs. On comprend que – comme c’est le cas pour bien des personnes vivant de l’agriculture de génération en génération – l’idée que cela s’arrête est difficile à envisager. « Une ferme comme la nôtre, ça vient avec un gros héritage familial. C’est certain qu’on ne veut pas que cette histoire-là s’arrête… » 

Paul Doyon et ses fils Paul-Étienne et Jean-Philippe. Photo : Gracieuseté de Paul Doyon

Cette histoire à laquelle fait référence le père de quatre enfants est faite de plusieurs beaux moments, mais aussi d’autres plus éprouvants. Il raconte que son arrière-grand-père est devenu veuf dans la trentaine avec neuf enfants à sa charge, que sa grand-mère maternelle a dû se consacrer à la gestion de la ferme et de la famille l’année où son mari est tombé gravement malade. Sa gorge se noue quand il parle de sa grand-mère, de sa conjointe Élise et de toutes ces femmes qui ont contribué à faire de la Ferme E.P. Doyon l’entreprise qu’elle est aujourd’hui. Il leur rend hommage pour leur résilience et leur combativité. 

Et la suite?

Impliqué depuis longtemps en syndicalisme agricole auprès de l’UPA, le producteur dit croire plus que jamais à la force du groupe.

Le travail collectif, c’est un modèle auquel j’adhère complètement.

Paul Doyon

Et, en cette ère où l’individualisme est en progression, il lui apparaît impératif de veiller à ce que ces valeurs d’entraide se perpétuent d’une génération à l’autre. 

En attendant, les choses évoluent chez les Doyon! Les projets ne manquent pas à la ferme. La maison principale, construite en 1889 par l’arrière-arrière-grand-père de Paul, est dorénavant habitée par l’un de ses fils. La famille ne cesse de s’agrandir et les visages des petits-enfants qui s’illuminent à la simple idée de faire un tour de tracteur avec grand-papa donnent envie de rêver à une onzième génération. Demain s’annonce prospère! 


FERME DUCHA
Mauricie

Aujourd’hui, la Ferme Ducha est exploitée par quatre Châteauneuf « pure laine ». Photo : Geneviève Magier

Trois fois centenaire et bien vivante!

Les fermes avec autant d’histoire que la Ferme Ducha ne courent pas les rues… ou devrait-on dire, les rangs! Sur les terres de la famille Châteauneuf à Batiscan, on est agriculteur de génération en génération depuis… 1698! Jean, l’un des propriétaires de l’entreprise, nous mentionne d’ailleurs qu’il pourrait s’agir de la plus vieille ferme de la région. 

L’appellation de l’exploitation agricole renvoie aux premiers colons à s’y être établis et qui portaient originellement le nom de Duranleau dit Châteauneuf. Bien que le nom Duranleau ait été mis à l’écart au fil du temps, celui de Châteauneuf est demeuré intact et bien vivant et, parce que les Châteauneuf de la 10e génération tenaient à perpétuer la tradition, ils ont juxtaposé les deux premières lettres de chaque nom pour former le mot Ducha. Aujourd’hui, la Ferme Ducha est exploitée par quatre Châteauneuf « pure laine » : Jean, son frère Pierre et leurs fils Louis et Guy. Jean se souvient avec émotion de ce moment, en 1977, où son père avait fondé une société et procédé au transfert de la ferme à ses deux fils, en l’occurrence son frère et lui. 

Étendue sur quelque 200 hectares, l’entreprise compte une cinquantaine de vaches laitières et fait dans les grandes cultures : maïs, soya et céréales. « On n’est pas une grosse ferme, mais notre ferme est en santé. On vit bien de ça », souligne-t-il humblement. Le producteur agricole reconnaît la chance qu’il a d’exercer son métier aux côtés de ses proches. Il souligne aussi l’importance de se sentir soutenu quand on œuvre en agriculture et reconnaît la force d’action du groupe, d’où son choix d’être administrateur au CA du Syndicat de l’UPA des Chenaux. 

Étendue sur quelque 200 hectares, la Ferme Ducha compte une cinquantaine de vaches laitières et fait dans les grandes cultures : maïs, soya et céréales. Photo : Gracieuseté de Jean Châteauneuf

La terre en héritage

Conscient que l’assurance d’une relève puisse représenter un enjeu pour bien des producteurs, l’homme ne cache pas sa joie quand il mentionne que sa petite-fille Allison, douée à l’école et à qui se présente un vaste choix de carrières, a opté pour une formation en agriculture. Jean Châteauneuf sait de quoi sera fait le quotidien de sa petite-fille dans quelques années; il sait qu’il y aura parfois des épisodes de fatigue et des périodes d’incertitude, mais aussi que ce travail viendra avec un grand sentiment d’accomplissement. Et ce sentiment est plus fort que tout.


FERME ST-OURS INC.
Montérégie

Nommés Famille agricole 2018 par la Fondation de la famille agricole, Marcel Bourgeois, Solange Préfontaine et leurs enfants regardent aujourd’hui la 7e génération d’agriculteurs prendre la relève de la ferme. Photo : Gracieuseté de la Famille Bourgeois

Un clan résolument enraciné

Véritables modèles d’excellence dans le paysage agricole québécois, les gestionnaires de la Ferme St-Ours inspirent par leur constance et leur capacité à se renouveler. Nous nous entretenons avec Martine Bourgeois, l’une des propriétaires de la ferme, à quelques heures de la signature du transfert de l’entreprise aux enfants. Un moment charnière pour l’exploitation agricole. 

Personne n’aurait pu imaginer, à l’époque de la colonisation de la Nouvelle-France, que ce lopin de terre longeant la rivière Richelieu allait devenir le site du plus important producteur d’œufs biologiques au pays. C’est pourtant bien le cas. De l’ancêtre François-Xavier Poitevin qui cède ses terres à son fils en 1861 à nos jours, il s’en est passé, des choses ici! D’emblée, Martine raconte avec fierté les modèles de réussite qu’ont été ses parents, Marcel Bourgeois et Solange Préfontaine, et comment leur ferme, alors composée d’une centaine de vaches, a récolté honneur après honneur pour la qualité de son cheptel. Elle garde des souvenirs impérissables de cette période où toute la famille participait aux travaux de la ferme; de la traite des vaches aux récoltes des foins et des grains, en passant par les expositions agricoles, les nombreux concours et la cabane à sucre familiale qui accueillait des groupes. 

En 1993, après une carrière digne de mention, Solange et Marcel prennent la décision de passer le flambeau et se réjouissent d’apprendre que leurs deux filles souhaitent prendre la relève. Cette année-là, Martine Bourgeois, son conjoint Serge et sa sœur Chantal prennent donc officiellement le relais de la Ferme St-Ours et font le choix d’en changer l’orientation en se tournant vers la production avicole. Les trois nouveaux propriétaires, formés en agronomie et en comptabilité, débutent « modestement » avec un quota de 20 000 poules brunes dans l’ancienne étable réaménagée en poulailler. Mais les choses allaient évoluer rapidement… 

Fabrice Gaëtan

Une ferme familiale aux racines solides

La ferme est une véritable pionnière dans la production d’œufs de spécialité. Trente ans plus tard, elle emploie 50 personnes, compte 5 sites de production qui approvisionnent le marché en œufs grâce à plus de 200 000 poules en liberté dont 76 000 sont vouées à la production biologique. La ferme détient également plus de 20 000 poules qui produisent des œufs d’incubation destinés à devenir des poulets de chair, sans oublier la production de grandes cultures, qui servent notamment à nourrir les poules, et l’érablière familiale dont les nombreux produits dérivés sont vendus en boutique. 

Bien que leur entreprise soit en perpétuelle croissance, les propriétaires gardent les pieds sur terre et se font un devoir de perpétuer les précieuses valeurs familiales, transmises de génération en génération, qui ont fait de la Ferme St-Ours une ferme à part. Tout au long de sa jeunesse, le père de Martine Bourgeois aimait lui rappeler que « l’agriculture, c’est comme un arbre dans lequel poussent plusieurs branches, mais les racines, elles, viennent toujours de la même base ».

L’avenir s’annonce florissant à la Ferme St-Ours. Et c’est une affaire prospère que s’apprêtent à reprendre les enfants du clan, David, Marie-Pier, Jonathan et Antoine, la 7e génération d’agriculteurs!