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Lorsque le gouvernement libéral de Robert Bourassa adopte la Loi sur les producteurs agricoles à l’Assemblée nationale le 31 mai 1972, l’Union des producteurs agricoles (UPA) tourne officiellement la page d’un chapitre amorcé 48 ans plus tôt par l’Union catholique des cultivateurs (UCC).
Plus d’une douzaine d’années après la Révolution tranquille, on pourrait penser que la nouvelle dénomination vise à adapter l’image de l’organisation à la réalité sociale du Québec, mais le changement est bien plus profond que cosmétique.
La nouvelle loi accorde surtout le mandat à l’UPA de représenter l’ensemble des producteurs et productrices agricoles du Québec. La nouvelle structure se voit ainsi reconnaître comme seule association professionnelle représentant l’ensemble des productrices et producteurs agricoles, et obtient le pouvoir de percevoir une cotisation obligatoire.
« À partir de là, l’UPA devient un syndicat à part entière comme la CSN ou la FTQ », explique Mathieu St-Amand, de la Direction des affaires publiques et syndicales à l’UPA. Les producteurs agricoles du Québec doivent obligatoirement payer une cotisation à l’UPA, mais ils demeurent libres d’en devenir membres. Aujourd’hui, ce sont près de 92 % des agriculteurs au Québec qui sont membres de l’UPA, ce qui leur confère le droit de participer aux assemblées syndicales, de voter sur les orientations et d’élire leurs représentants syndicaux, sans oublier la multitude de services dont ils peuvent bénéficier.
« Avant cette obligation de cotisation, du temps de l’Union catholique des cultivateurs, c’était difficile de consolider une action collective, car la formule était volontaire. Dans ce contexte, les ressources financières sont toujours incertaines. La nouvelle formule a permis de développer une organisation forte, avec des ressources pour bien défendre les intérêts du secteur agricole et assurer une contribution financière de tout agriculteur qui bénéficie des actions de l’UPA », poursuit Mathieu St-Amand.
Une structure particulière
L’une des particularités de l’organisation de l’UPA, et qui fait sa force, est sa double structure décentralisée, à savoir les fédérations régionales et les fédérations et syndicats spécialisés.
Lorsque l’agriculture au Québec commence à se professionnaliser dans les années 1930, des producteurs spécialisés fondent leurs propres associations professionnelles, qui sont alors plus de type associatif que syndical, comme les jardiniers-maraîchers, les pomiculteurs, les éleveurs de bétail et les producteurs avicoles.
À partir de 1944, les revendications répétées de l’UCC pour obtenir une loi sur la mise en marché des produits agricoles attirent de plus en plus de membres de ces associations à leur fédération régionale de l’UCC. Et au palier supérieur, les fédérations régionales et les fédérations spécialisées sont regroupées pour former une grande confédération.
Contrairement à ce qu’on pourrait croire, le développement de la structure spécialisée et la mise en place de plans conjoints n’a pas diminué le rôle des fédérations régionales. Cette interrelation entre chacune des cellules de l’association professionnelle, en plus de contribuer à l’unité et à la coordination, a aussi favorisé un mode de financement provenant des deux sources : celles du secteur général et du secteur spécialisé. Le financement de l’UPA provient aujourd’hui d’environ 60 % des cotisations obligatoires et de 40 % des secteurs spécialisés par le biais des plans conjoints.
La double structure permet de gérer les enjeux séparément, mais elle permet également de les mener de front dans des contextes régionaux particuliers. « Dans certaines régions, en production porcine, par exemple, il pourrait y avoir des enjeux environnementaux liés à un territoire en particulier. Nous avons du personnel dans nos fédérations régionales qui agissent comme personne-ressource pour les syndicats spécialisés dans ces circonstances. »
Réorganisation des structures régionales
À la création de l’UPA en 1972, l’organisation comporte encore beaucoup de structures. Les fédérations régionales sont au nombre de 24 en 1974; on en compte 12 aujourd’hui. Un vaste mouvement de concentration entrepris dans les années 1960 permet de faire passer le nombre de syndicats locaux de plus de 800 en 1972 à 300 en 1974, puis à 178 en 1975.
Au milieu des années 1950, l’UCC comptait plus de 40 000 membres répartis dans plus de 700 syndicats et dans 20 fédérations régionales. Depuis 1947, l’UCC agissait sous l’emprise de la Loi des syndicats professionnels après avoir été depuis 1930 reconnue en vertu de la Loi des compagnies.
« Quand l’UCC est devenue l’UPA, il y avait encore un peu de notre héritage clérical qui datait de l’époque où les syndicats locaux étaient
collés aux paroisses. Il fallait à un moment donné revoir notre structure. En 2010, une vaste réforme appelée “UPA du futur” a été mise en œuvre dans le but notamment d’harmoniser les territoires administratifs du Québec, surtout à l’échelle des MRC. Beaucoup de fusions ont été faites pour alléger la structure et éviter que deux ou trois syndicats doivent faire la même représentation auprès d’une même MRC, par exemple », souligne Mathieu St-Amand.
La diminution du nombre de fermes au Québec, qui passe de près de 140 000 dans les années 1940 à environ 29 000 présentement, justifie en grande partie la raison de la réduction du nombre de structures syndicales. Aujourd’hui, l’UPA est composée de 145 groupes régionaux et provinciaux spécialisés, 89 syndicats locaux et 12 fédérations régionales.
Le rôle incontournable du clergé
À la création de l’UPA en 1972, le clergé n’y jouait déjà plus un rôle important, mais la déconfessionnalisation officielle de l’organisation réalisée à ce moment-là était néanmoins une étape essentielle pour tourner la page. La contribution de l’évêché catholique au Québec demeure incontournable dans l’histoire de l’UCC, devenue l’UPA.
Dans le cahier Évolution historique soulignant les 50 ans d’histoire de l’UPA, la section portant sur les origines du mouvement rappelle que les cultivateurs québécois demeuraient méfiants face à l’UCC dans les premières années. « Les curés croyaient encore plus à l’UCC que les agriculteurs eux-mêmes », peut-on y lire.
Du haut de sa chaire, un curé invite à la même époque ses ouailles cultivant la terre à adhérer au jeune mouvement. « Si l’UCC comptait dans ses rangs l’ensemble de nos cultivateurs du même coup, il s’ensuivrait pour eux une représentation politique mieux adaptée, une meilleure défense collective de leurs droits, une plus efficace protection de leur noble profession. »
Cette influence est bien visible en 1929, cinq ans après sa fondation, quand l’UCC décide de fédérer les syndicats locaux sur une base diocésaine
avec ses paroisses. Une structure très décentralisée qui perdurera longtemps et dont on conserve certains aspects aujourd’hui. Dès 1924, par exemple, l’UCC adopte une structure à trois niveaux : une confédération, des fédérations régionales et des syndicats locaux.
Un modèle unique
L’UPA, comme porte-voix du monde agricole au Québec, mais aussi en tant qu’organisation syndicale, n’a pas d’équivalent ailleurs dans le monde. Traditionnellement, dans les pays occidentaux, les agriculteurs se regroupent selon leur type de production, avec une adhésion basée selon un mode volontaire.
« Parler d’une seule voix, au nom de tous les producteurs de toutes les régions et de toutes les productions, ça nous donne un rapport de force quand on discute avec les intervenants, mentionne Mathieu St-Amand. On le constate par exemple dans nos échanges avec nos collègues ontariens. Ils n’ont pas notre équivalent et comptent plusieurs associations qui défendent chacune leur secteur. L’adhésion y est sous forme volontaire et ils disposent de moins de ressources. Quand vient le temps de faire des revendications, il peut y avoir des tiraillements et le gouvernement a le beau jeu de les mettre en opposition. »