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Lorsque s’ouvre le congrès fondateur de l’Union catholique des cultivateurs (UCC) le mercredi 1er octobre 1924 à Québec, des pluies diluviennes et un tremblement de terre venaient de mettre la province en alerte 24 heures plus tôt. Deux catastrophes naturelles qui n’auront cependant pas entravé le début d’une histoire qui se poursuit aujourd’hui 100 ans plus tard sous l’égide de l’Union des producteurs agricoles (UPA).
Réunis à l’église Saint-Jean-Baptiste, l’une des plus grandes de la ville, les congressistes assistent avant l’ouverture de congrès à une messe conclue par le sermon de l’abbé J.-E. Laberge, curé de l’église hôte. « Cultivez le champ de vos âmes, tracez-y, large et profond, le sillon du devoir », prononce l’ecclésiastique du haut de sa chaire.
Alors que 1 000 cultivateurs étaient initialement attendus, ce sont finalement plus de 2 400 qui s’y présentent. De l’église Saint-Jean-Baptiste, les organisateurs décident alors de déplacer l’événement au Manège militaire Voltigeurs de Québec, plus approprié pour accueillir une telle assistance. Il faut dire que le fruit était mûr pour la création de l’UCC. Quelques mois plus tôt, en mai 1924, l’agronome Joseph-Noé Ponton, rédacteur en chef du Bulletin des Agriculteurs, avait lancé un appel à la mobilisation.
« Y’a des milliers de cultivateurs qui possèdent de précieux renseignements sur notre précieux pouvoir de production ainsi que sur nos marchés de consommation. Il s’agirait donc de réunir ceux qui possèdent ces renseignements, afin de leur permettre d’arrêter un programme bien défini, qui serait ensuite présenté au gouvernement avec instruction de l’appliquer », écrit celui qui s’était lancé sans succès deux ans plus tôt en politique provinciale sous les couleurs du nouveau Parti fermier-progressiste.
À l’époque, les agriculteurs se sentent bousculés par les changements législatifs qui ont lieu depuis une vingtaine d’années et qui ont mené à la création au Québec, en 1901, du ministère de l’Agriculture. Le ministère avait procédé à l’embauche de jeunes agronomes fraîchement diplômés des écoles d’agriculture, chargés d’encadrer le travail des agriculteurs. La gronde était manifeste, les agriculteurs voulant trouver un moyen de se faire entendre devant ce qui n’était rien d’autre qu’une tutelle imposée par le ministre de l’Agriculture, Joseph-Édouard Caron. Certes, quelques cercles et sociétés agricoles existaient déjà comme l’Union des cultivateurs de Québec, les Fermiers Unis de Québec ou l’Union des agriculteurs, mais ils ne correspondaient pas aux besoins exprimés, certains d’entre eux, jugés contraires aux enseignements catholiques, étant même carrément bannis par le clergé. La proposition d’association professionnelle lancée par les agronomes Joseph-Noé Ponton et Firmin Létourneau arrivait donc à point nommé pour les agriculteurs.
Sans surprise, le congrès est évidemment suivi par la classe politique curieuse et craintive quant aux orientations que prendront les cultivateurs. Le gouvernement libéral d’Alexandre Taschereau était d’ailleurs réticent au départ à l’idée d’un regroupement des cultivateurs au Québec. Parmi les politiciens présents, on retrouve deux députés provinciaux libéraux, Ernest Ouellet (Dorchester) et Lucien Lamoureux (Iberville), de même que le conservateur Pierre-Joseph Dufresne (Joliette).
Prévu sur deux jours, le programme est évidemment chargé, avec notamment une présentation de la situation générale de l’agriculture dans la province, des débats sur l’enseignement agricole, le Crédit Agricole, la production et la commercialisation des produits de la ferme, les taxes de colonisation et enfin, la création d’une association professionnelle.
Au terme du congrès le 2 octobre, Laurent Barré, un cultivateur de tabac de L’Ange-Gardien en Montérégie, est élu à la présidence de l’UCC. Dans son premier discours, il enjoint les congressistes à propager la bonne nouvelle.
Son appel est entendu puisque 229 cercles de l’UCC, regroupant 11 597 membres sur une possibilité de 150 000, sont formés dès la première année. Dans ses premières actions, le nouveau regroupement demande au gouvernement d’aider les agriculteurs à développer une production de marché. L’UCC était née, mais les défis restaient nombreux puisque dès 1927, on sent un essoufflement, voire une baisse notable dans le membership : de 9 335 membres, ils seront 7 264 l’année suivante. Les causes de cette désaffection sont multiples, mais principalement d’ordre économique, la crise montrant déjà d’évidents signes. Le territoire étant grand, le recrutement de nouveaux membres était de plus en plus difficile vu la faiblesse des moyens financiers disponibles.
Luttes et initiatives de l’UCC
Au fil de son histoire, l’Union catholique des cultivateurs a mené plusieurs combats pour faire avancer la cause de ses membres.
Dans les années 1930, par exemple, la principale source de revenus des cultivateurs était le travail en forêt comme bûcherons durant l’hiver. Au Saguenay−Lac-Saint-Jean, le salaire moyen d’un ouvrier en forêt était de 26 $ par mois contre 60 $ en 1925. Une chute radicale provoquée par la Grande Dépression.
C’est pour combattre ces conditions de travail déplorables que l’UCC formera en 1934 l’Union des bûcherons. Le gouvernement Duplessis adoptera trois ans plus tard la Loi assurant des Salaires Raisonnables aux Ouvriers travaillant dans les Exploitations Forestières. Il s’agit sans contredit d’un des premiers combats remportés par l’UCC qui lui donne une pertinence aux yeux de ses membres.
L’UCC est aussi derrière l’électrification des campagnes. Dans les années 1930, alors que l’électricité est entre les mains des compagnies privées, dont la puissante Shawinigan Water & Power, moins de 10 % des fermes disposent de l’électricité au Québec. Les pressions et campagnes menées par le mouvement agricole aboutiront en 1945 lorsque le gouvernement Duplessis adoptera la Loi sur l’électrification rurale. Les résultats ne tardèrent pas à se matérialiser alors que la distribution électrique rurale, qui était de 20 % en 1945, a été portée à 95 % en 1959.
La création de l’Office du crédit agricole du Québec (ancêtre de La Financière agricole du Québec) en 1936 est l’aboutissement d’une dizaine d’années de lutte de la part de l’UCC. La crise économique qui débute à l’automne 1929 n’épargnera pas les agriculteurs, qui voient leur revenu baisser de moitié durant cette période. Le passage à l’agriculture moderne nécessitant d’importants investissements, l’UCC réclame du gouvernement libéral d’Alexandre Taschereau, puis du gouvernement unioniste de Maurice Duplessis, l’instauration d’un Crédit Agricole au Québec comme l’avait déjà fait Ottawa en 1927.
En 1932, l’UCC dépose une pétition signée par 12 000 agriculteurs réclamant la création de cet instrument financier. Un appel encore une fois entendu. À l’époque, le financement accordé par l’Office est considéré comme le plus généreux au Canada; il accorde des prêts à 2,5 % d’intérêt sur 30 ou 39 ans pour un maximum de 6 000 $.
Enfin, adoptée par le gouvernement de l’Union Nationale de Daniel Johnson en 1967, la Loi sur l’assurance-récolte est aussi le résultat d’une lutte acharnée de l’UCC. Dès 1955, le regroupement a commencé à revendiquer une compensation de l’État après chaque mauvaise récolte. C’est d’abord le gouvernement fédéral qui sonne la marche en instaurant en 1959 le premier programme d’assurance récolte. Québec se fera tirer l’oreille, mais l’UCC réussit un coup d’éclat en 1964 en réunissant 18 000 producteurs agricoles dans la ville de Québec pour revendiquer un pareil traitement.
Premier numéro de La Terre de chez nous en mars 1929
Quelques années après sa fondation, constatant qu’une partie seulement de ses membres sont bien au fait de ses actions, l’UCC se dote officiellement d’un organe de presse : La Terre de chez nous. Avant cette date, le Bulletin des agriculteurs, propriété de l’agronome et fondateur de l’UCC Joseph-Noé Ponton, et Le Devoir, ont publié les nouvelles de la jeune association jusqu’à la création de son outil officiel de communication à ses membres. Dans la première édition publiée le 6 mars 1929, le président du mouvement agricole, Aldéric Lalonde, prend la plume. Dans l’article intitulé « Pourquoi un journal », l’auteur écrit : « Avouerons-nous qu’un certain nombre de nos secrétaires locaux ignorent encore le nom de notre nouveau Secrétaire? Toujours faute d’un organe pour les renseigner. Nous ne pouvons pourtant pas payer un propagandiste qui parcoure la Province pour renseigner nos membres. L’unique remède à semblable situation était la création d’un organe appartenant en propre à l’U.C.C. » Le prix de l’abonnement à La Terre de chez nous, qui se définissait comme le Bulletin officiel de l’Union Catholique des Cultivateurs de la Province de Québec, est alors de 1 $ pour un an et de 2,50 $ pour trois ans.