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Depuis un siècle, l’agriculture québécoise est le théâtre d’une valse tumultueuse avec les événements externes, chaque décennie apportant son lot de défis et de transformations. Des guerres mondiales aux avancées technologiques, des changements climatiques aux accords commerciaux internationaux, chaque soubresaut de l’histoire a laissé son empreinte sur nos terres fertiles et ceux qui les cultivent. Plongeons dans cette aventure agricole, où les producteurs ont dû ajuster leurs sillons en fonction des vents changeants de l’économie mondiale, des conflits politiques et des évolutions sociales et environnementales.
En cent ans, le Québec a su passer d’une agriculture de subsistance à une vision entrepreneuriale inscrite dans le cadre de la mondialisation des marchés. Un siècle où les artisans de la terre, appuyés par leur union syndicale, ont été capables de s’engager dans ce virage sans jamais perdre l’objectif premier de nourrir la population. Ce faisant, c’est aussi le Québec d’aujourd’hui qu’ils ont nourri et modelé.
« Les premières décennies du 20e siècle ont été notamment marquées par une croissance importante de la population urbaine en Amérique du Nord, raconte David Dupont, sociologue, chercheur à l’Institut de recherche en économie contemporaine et auteur du livre Une brève histoire de l’agriculture au Québec. Concomitamment, dans le domaine agroalimentaire, on observe une montée en puissance de grandes organisations approvisionnant massivement les populations des villes. »
Organiser et éduquer
Avec l’arrivée des premiers moteurs à vapeur et à explosion et même de l’électricité, on assiste en 1887 à la création du premier ministère fédéral de l’Agriculture. L’événement vient souligner l’importance du secteur agricole dans l’économie canadienne. Au tournant du 20e siècle, les premières coopératives naissent au Québec, aidant les agriculteurs à s’approvisionner, à vendre et à transformer leur production. Cependant, cultivateurs et clergé sont insatisfaits du rapport établi avec le ministère et dénoncent même une certaine ingérence.
« Le contexte est particulier, dit le sociologue. Durant les deux grandes guerres et au fil de la reconstruction des pays d’Europe, l’Angleterre achète nos produits agricoles en masse; ça a été bénéfique pour l’agriculture au Québec. »
Mais entre ces moments de prospérité agricole, la crise économique de 1929 frappe l’Amérique au grand complet. L’agriculture s’impose alors comme une manière de garder les ouailles affairées en occupant le territoire. « On assiste à une volonté de retour à la terre, soit un ensemble de mesures de lutte aux effets de la crise économique », raconte David Dupont. Cet espoir de ruée vers la ruralité – avec, comme exemple de mesure, des subventions de 600 $ accordées aux nouveaux colons – est au cœur de la plateforme électorale qui servira à faire élire le Parti libéral de Taché en 1931.
Se libérer du joug des grands acheteurs
« Quand les agricultures européennes se sont relevées, il y a eu un surplus de production [au Québec] et une chute dramatique des prix, raconte David Dupont. Les cultivateurs étaient à la merci des quelques acheteurs qui pouvaient facilement monter les producteurs les uns contre les autres. »
En 1951, l’Union nationale a mis en place la commission Héon, établie pour examiner la crise agricole, avec l’objectif de protéger les agriculteurs et les consommateurs, mais surtout pour enraciner le modèle de la famille agricole de propriétaires exploitants unique au Québec. C’est ce modèle qui a façonné notre agriculture et qui servira de terreau à ce qui allait plus tard devenir l’UPA.
En 1955, lors de son témoignage devant la commission Héon, l’UCC, toujours en quête d’une solidarité rurale, déclare que les cultivateurs sont entièrement dépendants des acheteurs pour la mise en marché de leurs produits.
Non seulement le prix et les conditions de paiement étaient dictés par les acheteurs, mais ces derniers imposaient leurs conditions de la ferme à l’usine, sur la classification, le poids et le transport des produits.
Le rapport Héon enfantera de la Loi sur la mise en marché des produits agricoles et, par conséquent, de l’organisme de régulation qu’est la Régie des marchés agricoles du Québec. Le tout était d’ailleurs réclamé par l’UCC depuis son congrès général de 1944.
« On a fait le pari de la spécialisation, souligne David Dupont. L’industrialisation et la transformation agroalimentaire s’intensifiaient; il fallait standardiser les produits et qu’ils soient conformes à ce que les acheteurs demandaient. »
Priorité : le rendement
Pour favoriser la modernisation et la spécialisation des 40 000 fermes les plus productives, 100 000 exploitations considérées comme peu adaptées au commerce sont éliminées.
C’est l’époque des Trente glorieuses, le nom donné pour désigner la période de forte croissance économique post-Deuxième Guerre mondiale. Le rapport April, qui découle de la Commission royale d’enquête sur l’agriculture instituée en 1967 par le gouvernement de Jean Lesage, invite le secteur à continuer de miser sur l’augmentation des rendements. Ce sera la priorité – en adéquation avec l’intégration, la spécialisation et le productivisme – jusqu’au premier choc pétrolier de 1973.
« En 1972, dans la foulée de la Révolution tranquille et de la déconfessionnalisation des institutions qui s’ensuit, l’UCC devient l’UPA, rappelle David Dupont. Le gouvernement confère au syndicat la représentation exclusive [NDLR : à l’instar de ce qui se fait dans plusieurs autres domaines de travail]. C’est motivé par le souhait de voir s’élargir la négociation collective en agriculture dans plusieurs filières. Avoir une seule union facilitait le tout. »
Manger chez nous
L’élection du Parti québécois en 1976 amène Jean Garon à la tête du ministère de l’Agriculture. L’avocat de formation promet d’aller au fond des choses. Le concept de l’autosuffisance alimentaire fait surface.
Au 21e siècle, les agriculteurs font face à des défis majeurs, notamment aux accords de libre-échange et à la mondialisation. L’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) de 1994, remplacé par l’Accord Canada–États-Unis–Mexique (ACEUM) en 2020, a considérablement réduit les barrières tarifaires, intensifiant les échanges agricoles avec les États-Unis. L’UPA a constamment soutenu et encouragé le système canadien de gestion de l’offre pour garantir la sécurité alimentaire et la rentabilité du secteur agricole.
D’autres accords internationaux ont également eu un impact sur les agriculteurs, tels que l’Accord économique et commercial global (AECG) avec l’Union européenne en 2017 et le Partenariat transpacifique global et progressiste (PTPGP) avec la zone Asie-Pacifique en 2018.
Incontournable écologie
Les impératifs environnementaux s’imposent également avec les changements climatiques, et les événements météorologiques extrêmes qui en découlent, comme le verglas de 1998, les inondations printanières de 2017 et les cycles de sécheresse et de précipitations abondantes
de 2023.
En 2020, la pandémie de COVID-19 met en lumière la dépendance du Québec aux marchés internationaux pour son approvisionnement alimentaire. Le mouvement Mangeons local lancé par l’UPA et l’autonomie alimentaire gagnent en importance; la création du Panier Bleu et la popularité des paniers de fermiers de famille témoignent de cette prise de conscience.
Au début de 2022, le déclenchement de la guerre en Ukraine perturbe le marché mondial du blé, dans la mesure où ce pays représente le tiers de l’approvisionnement mondial. Les interruptions de production, les difficultés de récolte, l’inflation et une demande croissante influent sur la valeur des céréales. Les agriculteurs québécois en subissent les conséquences, notamment avec l’augmentation des coûts liés au pétrole et aux sanctions contre la Russie.
En cent ans, l’agriculture au Québec aura subi des transformations majeures, influençant les besoins, les paysages et les interactions. Bien que l’agriculture n’ait plus l’importance qu’elle a déjà eue en milieu rural, elle reste un pilier essentiel de revitalisation sociale et de développement.
La redéfinition du territoire, les interactions accrues entre les agriculteurs et le reste de la population ainsi que la valorisation du patrimoine contribuent à forger une nouvelle dynamique propice à l’agrotourisme et à la cohésion communautaire. Ainsi, l’agriculture au Québec joue un rôle central, tant dans son évolution que dans son impact sur ses communautés.