Forêts 3 septembre 2014

Un producteur vend son bois transformé

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en créant son propre marché…

« Dans ma famille, le travail en forêt est une tradition. Le premier Nadeau venu de France avait une scierie, et depuis ce temps, chaque génération a vu un nouveau Nadeau exploiter son entreprise forestière. »

L’auteur de ces paroles, Jean-Claude Nadeau, a acquis et aménagé plusieurs lots boisés près de son lieu de résidence de Saint-Jacques-de-Leeds, dans la région de Chaudière-Appalaches. Ayant connu les épopées diverses de la mise en marché du bois, il compte aujourd’hui sur sa propre scierie afin de pouvoir continuer à vivre de la foresterie.
« Je me rappelle l’époque où le bois était vendu à la criée. Le contrat allait au moins cher, et mon père obtenait environ 6,50 $ la corde, pour du bois fendu, livré et cordé chez le client! La foresterie a connu ensuite des heures plus lucratives, mais depuis quelques années, les revenus sont faibles. Dans ce contexte, ce qui devient périlleux, c’est la hausse des taxes foncières. » Jean-Claude Nadeau signale que les taxes associées à un de ses lots de 105 hectares représentaient 300 $ en 1980 alors qu’il lui en coûte 3480 $ aujourd’hui. « Oui, le programme nous permet d’en déduire une portion pour les travaux d’aménagement, mais les dépenses finales en taxes sont nettement trop élevées pour qu’une exploitation forestière puisse être viable à l’heure actuelle », observe-t-il.

La scierie

Devant la baisse des revenus et la hausse des dépenses, M. Nadeau a décidé de créer son propre marché. « Avec l’impact du film de Richard Desjardins, la baisse de la demande de bois d’œuvre aux États-Unis et les frais fixes qui ne cessaient d’augmenter, je me suis dit : “On va passer un très mauvais quart d’heure”. Il fallait absolument que je m’assure de commercialiser un certain volume des 1500 hectares que je possède avec ma femme et mon garçon. » C’est en suivant cette logique que Jean-Claude Nadeau et son fils ont décidé d’exploiter leur propre scierie en 2003. L’objectif premier consistant à générer des revenus pour conserver les terres a été atteint. Et même dépassé puisque l’entreprise dégage maintenant un certain profit, qui en assure la relève. « Sans la scierie, l’exploitation forestière aurait été en mode survie depuis cinq ans. Et dans cette situation, mon fils aurait quitté la foresterie », soutient-il.

La formule qui fonctionne bien pour M. Nadeau, et qui semble solide à long terme, consiste à vendre directement son bois transformé aux consommateurs. « Les gens sont heureux de trouver chez moi un produit moins cher qu’en magasin, et plusieurs aiment être en lien avec le producteur. Je n’ai presque pas d’inventaire, préférant produire sur mesure en fonction de leurs demandes. Si quelqu’un veut un revêtement intérieur en cèdre, nous allons en forêt couper le bois et nous le scions. Selon les préférences du client, il est ensuite plané et embouveté. » Sa scierie n’est évidemment pas de taille pour faire concurrence au marché industriel des madriers 2 X 4. Alors il fait du bois non standard une spécialité. « Les pièces hors normes s’avèrent un commerce intéressant. Présentement, un arbre vendu au marché des 2 X 4 rapporte 350 $ les 1000 pieds au producteur. Le même arbre employé pour produire une poutre de 20 pieds, qui servira à construire un pont ou à relever une galerie, générera au producteur environ 750 $ les 1000 pieds. C’est toute une différence! » Jean-Claude Nadeau ajoute qu’il faut être à l’affût des marchés. « Nous avons également un acheteur pour le bois de seconde qualité servant à la confection de palettes pour chariots élévateurs. Ça nous permet d’écouler les arbres trop petits ou tombés au sol que je n’aurais autrement jamais réussi à vendre. »

Cinq conseils d’un forestier d’expérience

Jean-Claude Nadeau a commencé son métier d’entrepreneur forestier à 19 ans, avec les chevaux et la sciotte. Qui plus est, ayant été président de la FPBQ entre 1997 et 2001, il possède une vision bien à lui des causes influant positivement ou négativement sur la rentabilité d’une exploitation forestière :

1- Le façonnage est l’une des clefs de la rentabilité. « Il faut avoir de bonnes connaissances et prendre le temps de couper l’arbre aux bons endroits afin d’obtenir sa valeur maximale. Un bûcheron moins compétent ou négligent, qui coupe trop court, trop long, qui garde une section croche ou détériorée, fait tout simplement moins d’argent. Cette situation n’est pas rare et pénalise tout le monde : en grande partie le producteur, mais aussi les transporteurs et les scieries. Se former continuellement sur les procédés de façonnage et s’enquérir de la qualité recherchée par les acheteurs s’avèrent les meilleurs moyens de réussir. Pour ceux qui désirent vivre de la forêt, je le répète : la formation m’apparaît obligatoire. »

2- La mise en marché du bois ne doit pas être prise à la légère. « Je conseille aux propriétaires d’aller aux assemblées des syndicats de producteurs de bois et de se renseigner continuellement. Certains me disent s’en être désintéressés, compte tenu de la situation actuelle. Mais s’informer est d’autant plus important en situation de crise. Par exemple, un producteur possédant du mélèze qui ignore qu’un nouveau débouché s’est ouvert pour cette essence sera le seul à blâmer pour l’opportunité manquée. Idem pour l’accumulation d’inventaire. Avant de couper, mieux vaut appeler des acheteurs, savoir quand et comment ils veulent le bois. Les débouchés multiressources méritent aussi d’être considérés. Par exemple, la location de terres pour la chasse peut se révéler intéressante. Bref, il importe d’être à l’affût de toutes les sources de revenus possibles et cesser d’attendre après le marché de la pitoune. »

3- Préserver son sol et ses arbres par des pratiques mieux adaptées. « L’utilisation de grosses machineries crée des ornières, brise le sol et les racines. De plus, après plusieurs passages, les chemins de débardage peuvent mesurer 20 à 25 pieds de large. Si un producteur perd 25 % de son territoire pour les chemins de débardage, ce n’est pas rentable. »

4- L’entretien des lots les rend plus productifs. « Je recommande premièrement de reboiser efficacement les endroits où la repousse naturelle est déficiente et par la suite de s’assurer de la progression des plantations en effectuant les travaux nécessaires. Tous les ans, il est nécessaire de faire la tournée de chaque lot pour récupérer les arbres renversés. Les consommateurs désirent un produit sans défaut. Les forestiers doivent innover et devancer les attentes des clients. Et tout commence avec les arbres qui viennent de sortir de terre. »

5- « De nos jours, si un producteur s’en­dette en achetant des terres pour produire du bois, il est certain de ne pas faire d’argent. Mieux vaut acheter des terres graduellement et minutieusement. C’est-à-dire des lots au prix raisonnable, au relief peu accidenté, présentant un bon chemin de pénétration et un sol fertile. »