Forêts 2 septembre 2014

Les décisions qui sèment la discorde

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Le Rendez-vous de la forêt privée 2011, qui se déroulait en mai dernier, a fait trembler les murs de plusieurs firmes de service-conseil en foresterie.

Sans cachette, la décision du ministère des Ressources naturelles et de la Faune (MRNF) d’octroyer dorénavant 75 % ou plus des budgets de certains programmes de subventions sylvicoles aux groupements forestiers suscite beaucoup de réactions, notamment en Outaouais, où nous nous trouvions.

Concrètement, les décisions du MRNF signifient que les groupements forestiers devraient avoir davantage de budgets à leur disposition, tandis que les firmes d’ingénieurs forestiers privées, certaines coopératives forestières, de même que les syndicats de producteurs de bois offrant le service d’aménagement, devraient en avoir moins. « Je n’ai rien contre les groupements forestiers, fait remarquer Pascal Audet, ingénieur et copropriétaire des Conseillers forestiers de l’Outaouais, une firme privée. Mais je ne comprends pas pourquoi le ministère les avantage au détriment des autres. Pour ma part, l’attribution des budgets suivrait un critère très simple : le mérite. Les firmes-conseils qui s’avèrent les plus compétentes et qui offrent de meilleurs services mériteraient le plus de budget. Et avec la vérification opérationnelle et la reddition de comptes de l’Agence, nous savons précisément quelles sont les firmes qui travaillent le mieux. Pourquoi ne pas leur donner le budget pour aller shez leurs clients? » À l’Office de producteurs de bois de la Gatineau, qui offre des services d’aménagement, Mario Couture souligne que cette décision portera préjudice aux petits propriétaires. « Quand tu as des budgets limités, comme c’est le cas en forêt privée, tu essaies d’implanter une conscience sylvicole au plus grand nombre de personnes possible. En d’autres mots, tu partages le gâteau pour que tous y goûtent. Mais le MRNF, au lieu de répartir le budget entre le plus grand nombre de producteurs, le concentrera chez certains propriétaires, qui auront alors droit à des travaux de plus grande valeur. Et nous croyons que c’est le petit propriétaire, celui qui demeure en région et qui se faisait un modeste revenu avec les subventions, qui écopera. »

La menace

De l’avis de Mario Couture, l’avenir de son service technique et d’aménagement pourrait être mis en péril. « Cette mesure du
75 % et celle de fixer les budgets selon l’année de référence 2009 sont injustes pour nous. Elles bafouent littéralement les bons mécanismes régionaux d’attribution de budgets qui se faisaient au mérite, et non par des pourcentages arbitraires. Cette pratique menace la santé financière de notre département technique et d’aménagement. »

Attiré par le collectif?

De son côté, Pierre Baril, directeur de la Coopérative de propriétaires de boisés Terra-Bois, un groupement forestier à Lachute, livre quelques commentaires intéressants sur la direction qu’emprunte le MRNF. « Les modèles collectifs fonctionnent bien au Québec. Dans notre secteur, nous n’avons qu’à penser à la mise en marché collective du bois. Or, quand des propriétaires se mettent en commun pour réaliser leurs travaux d’aménagement, ils obtiennent des économies d’échelle. De plus, avec nos conventions d’aménagement, les gens n’adhèrent pas seulement pour l’année de leurs travaux, mais ils font partie pendant au moins cinq ans d’une organisation où ils sont invités à des formations, à visiter d’autres propriétaires chez qui des travaux ont été effectués et à échanger entre eux. Tout ça dans l’objectif de les inciter à aménager leur boisé. Je crois que ce sont ces éléments que le ministère a reconnus. » Évidemment, il faudra définir ce qu’est un groupement forestier, s’assurer qu’il y a bien un esprit collectif et qu’il ne s’agit pas d’une entreprise privée déguisée. « Ici, c’est un membre un vote, mais ce n’est pas comme ça partout », admet M. Baril.

Dans son document, le MRNF mentionne que pour recevoir leurs budgets, les groupements devront rencontrer des cibles de performance, un élément qui n’effraie pas

M. Baril. « En forêt privée, il se réalise d’excellentes choses au Québec. Mais le grand public ne le sait pas, et le Conseil du Trésor non plus! J’ai l’impression que la reddition de comptes et d’autres mesures de performance seront bénéfiques à notre industrie puisqu’elles prouveront qu’il est rentable d’investir en forêts privées. Les mesures de performance imposées aux groupements devront être prises au sérieux, car elles représenteront peut-être le salut du maintien des subventions à venir. »

Mouvement de producteurs

L’une des craintes exprimées par des conseillers ne faisant pas partie d’un groupement concerne une éventuelle fuite de la clientèle. « Avec son idée du 75 %, le ministère donne un signal aux propriétaires : optez pour le conseiller et l’organisme de votre choix, mais l’argent se retrouvera chez les groupements. Où pensez-vous que les gens vont aller? » s’interroge Mario Couture. De son côté, Pierre Baril relativise les hausses budgétaires. « Il existe plusieurs types de subventions en forêts privées, et le concept du 75 % du ministère ne s’applique pas à toutes. En fait, dans notre région, c’est un ajustement d’environ 30 000 $ de plus cette année. Et je ne crois pas qu’avec ces 30 000 $ supplémentaires, les propriétaires changent de conseillers et accourent chez nous. »

Un pied de nez aux municipalités ou un coup d’épée dans l’eau?

L’une des décisions émanant du Rendez-vous de la forêt privée 2011 veut influencer les règlements abusifs de certaines municipalités contre l’abattage. Ainsi, les agences régionales seront incitées par le MRNF à « canaliser leurs investissements dans les municipalités où la réglementation favorise la récolte de bois et la sylviculture ». Pour plusieurs intervenants, dont Pierre Baril, il s’agit d’un coup d’épée dans l’eau. « Je ne crois pas que la méthode du bâton ait un bon impact. Comme l’objectif de ces municipalités consiste à faire cesser les travaux d’abattage, le fait que leurs propriétaires forestiers n’auront pas droit aux subventions va juste leur faire plaisir! Je préfère plutôt une harmonisation de la réglementation avec les MRC. Nous aurions de meilleurs gains et les règlements seraient plus uniformes et stables dans le futur. »

Le plan d’aménagement non subventionné

De l’avis de tous, une mauvaise décision du MRNF concerne le plan d’aménagement, qui sera entièrement aux frais du producteur forestier. « Pour l’instant, c’est très mal vu, tranche Mario Couture. Ici en Haute-Gatineau, les producteurs sont sensibles à ce type de frais, d’autant plus que nous aurons moins de budget pour réaliser leur plan, et ils le savent… Aussi, un montant à payer dès le départ convaincra difficilement un nouveau producteur d’adhérer au concept. Bref, cette mesure va à l’encontre des moyens de recrutement qu’on a mis en place en Outaouais. » Pour Pierre Baril, un plan d’aménagement peu dispendieux représente un levier crucial. « Plus une personne améliore ses connaissances sur les caractéristiques et les possibilités de son boisé, plus il y a de chance qu’elle effectue des travaux. Le plan d’aménagement ouvre les yeux à beaucoup de propriétaires et les rassure sur les investissements qu’ils effectueront. Si l’un des objectifs du ministère consiste à protéger les investissements de l’État, facturer le plein montant d’un plan d’aménagement se révèle la pire chose à faire! Confrontés à débourser un montant de 800 $ à 1500 $, plusieurs propriétaires débarqueront du programme et cesseront d’entretenir leur boisé. Sur la planète, les pays qui investissent en foresterie payent parfois uniquement le plan d’aménagement. Ironiquement, nous, on fait le contraire! »

À armes inégales…

La principale décision du ministère, celle de reconnaître le modèle d’affaires des groupements forestiers, fera encore couler beaucoup d’encre et mènera peut-être à la contre-attaque des conseillers indépendants. Pascal Audet aborde la situation avec philosophie : « Une telle mesure peut me rendre service. Moins d’argent implique de trouver des solutions afin d’être encore plus performant et efficace. Comme dit l’adage, à armes inégales, faut être meilleur. Et à long terme, si les subventions disparaissent ou deviennent pareilles pour tous, ceux qui auront élevé leur jeu d’un cran prendront
l’avantage. »