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Marc fulmine : « Le prochain qui me dit que ça va bien en agriculture… » Il arrête sa phrase, n’ose pas dire à voix haute le fond de sa pensée, la colère que cette phrase lui fait ressentir. Cette phrase qui est bien plus que des mots, qui démontre, pour lui, toute l’indifférence qu’on peut avoir pour sa passion, son univers. Toute l’incompréhension pour les difficultés qu’il vit chaque jour.
Normand va dans le même sens et est fâché contre les élus qui n’arrivent pas à dire qu’il y a une crise en agriculture ou du discours selon lequel « pourtant, les chiffres montrent que ça va assez bien ». Lui, qui est en train de fermer son entreprise, il ne trouve pas que les chiffres vont si bien. Il ne comprend pas comment on peut être dans le déni à ce point.
Éric, lui, s’irrite des invitations à arrêter « de se plaindre » et de « décourager la relève par un discours pessimiste ». Nommer permet pourtant d’avancer, de se solidariser, de chercher des solutions. Nier une réalité ne fait que mettre le problème sous le tapis, le pousser par en avant et, souvent, le fait grossir et le complexifie.
Julien se demande quelles sont les attentes : se taire, tolérer, serrer les poings et avancer? Pourquoi, pour qui? Sandra, son associée, répond avec cynisme que « quand la réalité dérange, on essaie de faire passer la personne qui la dénonce pour une personne dérangée ». Ainsi, on ne remet rien en question et on peut continuer comme si de rien n’était.
Vous l’aurez compris; pour Marc, Normand, Éric, Julien et Sandra, la réalité est que c’est difficile en agriculture en ce moment. Ils le savent, ils le voient, ils le goûtent chaque jour. Bien sûr, ils savent aussi que c’est plus facile pour certains. Ils réalisent que tout n’est pas noir ou blanc. Mais ce qu’ils entendent quand on leur dit que « pourtant, ça va bien… », c’est qu’on n’est pas prêt à regarder leur partie de la réalité. Qu’on ne veut pas voir. Qu’on les laisse tomber. Qu’on n’a pas de solutions et qu’on n’en cherchera pas.
Caroline ressent la même colère. « Se faire dire que ça va bien par des gens de bureau (climatisé…) qui ne passent pas 16 heures dans les champs… » l’insulte et attaque directement son sentiment de compétence. « On sait ce qu’on fait. On est formés pour ça. On a de l’expérience. Mais qu’est-ce qu’on peut faire contre une pandémie, une guerre, des feux et des inondations? »
Robert s’insurge lui aussi qu’on mette en doute l’expertise des agriculteurs dans la crise actuelle. Il s’est fait dire, comme plusieurs d’ailleurs, que celle-ci permet de séparer les « bons » gestionnaires des mauvais. Alors qu’autour de lui, les entreprises qui ferment avaient tout pour assurer leur succès, mais elles ont vécu revers après revers depuis trois ans. Robert vit un sentiment d’injustice grandissant, ainsi que beaucoup d’impuissance, devant ce manque de volonté des différents paliers politiques de soutenir leur garde-manger.
Gilles, son frère, appuie ses dires. Pour lui, l’agriculture ne peut fonctionner que si tous les systèmes qui y participent mettent la main à la pâte. « On ne fait plus d’agriculture de subsistance, pour notre famille seulement. On travaille maintenant dans un échiquier mondial où la réciprocité des normes et le soutien gouvernemental deviennent essentiels. Quand une ferme a des difficultés, ce n’est plus uniquement le producteur qui doit s’adapter, tous les systèmes doivent agir. »
Comme travailleuse de rang, je vois la fatigue au quotidien. Les plus vifs ont les yeux éteints, inquiets. Je me devais donc de leur donner la parole. Tout ne va pas bien. Arrêtons de nier les enjeux ou de les individualiser et construisons notre agriculture de demain, ensemble. Les producteurs sont prêts. Et vous?
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Pour l’aide d’un travailleur de rang, contactez le 450 768-6995 ou par courriel [email protected].