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Peu de Québécois connaissent l’œuvre d’Eliot Coleman, ce pionnier de l’agriculture sur petite surface aux États-Unis. L’homme, aujourd’hui âgé de 85 ans, habite pourtant à quelque 300 kilomètres à peine de la frontière canadienne et a laissé une empreinte durable dans le monde de l’agriculture. Plusieurs férus de culture intensive en climat nordique s’inspirent encore de son travail, à commencer par le maraîcher vedette Jean-Martin Fortier.
Située à Cape Rosier dans l’une des anses tortueuses qui découpent la côte du Maine, sa ferme Four Season Farm – dont lui et sa compagne Barbara Damrosch ont tenu les rênes jusqu’en 2016 – offre encore fruits et fleurs douze mois par année, défiant le climat de la côte est américaine. Les vues aériennes de l’endroit nous montrent une ferme typique de l’agriculture bio-intensive : les planches rectangulaires aux couleurs et textures variées des cultures diversifiées s’alignent bien droites entre les tunnels et les serres chauffées uniquement par le soleil.
Ses nombreux voyages en Europe, tout comme ses lectures d’écrits du 19e siècle, une époque où les cultivateurs n’avaient recours à aucun pesticide, fongicide ou herbicide chimique, ont alimenté sa vision et orienté son expérience terrain.
Parcours d’un néophyte en agriculture
Coleman est arrivé dans le Maine en 1968 avec, comme formation, une maîtrise en littérature espagnole et des années d’escalade et de randonnée dans le corps. Dans un article du New York Times1, on raconte qu’il a acheté un lot de 60 acres de forêt au coût de 33 $ l’acre à un couple de socialistes et libres penseurs, Helen et Scott Nearing. Ce duo, qui avait inspiré de nombreux hippies adeptes du mouvement de retour à la terre dans les années 1970, arrivait déjà à se nourrir douze mois par année de ce qu’il y cultivait. Une serre, lovée contre un mur de pierre, emmagasinait la chaleur du jour, et un caveau à légumes assurait la conservation des légumes. S’inscrivant dans la continuité, Coleman a d’abord défriché un acre avec une hache et une sciotte et amendé le sol avec du fumier de cheval et des algues trouvées le long de la côte. Une pratique qu’il n’a pas laissé tomber puisqu’un épisode de la série Les fermiers, diffusée sur Unis TV, nous le montre récoltant les algues marines à un âge avancé.
L’art de transmettre son savoir
Le maraîcher n’a pas pu vivre des revenus de sa terre dès son arrivée dans le Maine. Il cumule d’abord les expériences dans d’autres fermes expérimentales au Vermont et au Massachusetts. En 1989, il fait paraître The New Organic Grower, un livre qui fait rayonner ses connaissances et assoit sa crédibilité auprès d’un certain public. Dans cette bible du jardinier autonome, il affirme vouloir réintroduire aux États-Unis des fermes à échelle humaine, que l’industrialisation a peu à peu étouffées après la Seconde Guerre mondiale. En introduction, il cible que « les problèmes auxquels nous faisons face – érosion des terres, dégradation des sols, perte génétique, aliments toxiques, puits empoisonnés – ont été créés par la tentation de trouver des solutions simples ». Infatigable optimiste qui dénonce toujours la mainmise de l’industrie des pesticides sur le monde agricole, il croit fermement que « l’agriculteur déterminé peut transformer le site le plus improbable en une ferme modèle en appliquant les techniques de base de la construction du sol ».
Son mariage avec Barbara Damrosch au début des années 1990, elle-même horticultrice et autrice, poussera leur entreprise, Four Season Farm, à un autre niveau. Avec Eliot, elle coanimera durant 10 ans la série télévisée Gardening Naturally diffusée sur le Learning Channel durant les années 1990. Un travail qui leur permettra de partager leur savoir tout en assurant une visibilité à leur œuvre et à la ferme, qui deviendra durant plusieurs décennies un lieu d’expérimentation. Son offre de légumes cultivés en plein hiver sous des tunnels non chauffés est pionnière.
Au fil de sa carrière, Eliot Coleman aura ainsi cumulé plusieurs chapeaux : directeur de projets de recherche agricole, enseignant, conférencier, auteur et même conseiller auprès du ministère américain de l’Agriculture en 1979 et 1980 pour la publication d’un rapport et de recommandations sur l’agriculture biologique. Mais de tous les chapeaux, c’est celui de cultivateur qui constitue pour lui la plus belle aventure. Une « aventure socialement responsable », comme il la décrivait dans le magazine The Atlantic en 2010. Et c’est sans doute la vitalité de ce cultivateur aujourd’hui octogénaire qui le rend encore si inspirant. Toujours impliqué dans la transmission du savoir, il sera d’ailleurs en compagnie de Jean-Martin Fortier, le 28 septembre prochain, au Real Organic Symposium de Hudson dans l’État de New York.
1. RAVER, Anne. « The Land That Keeps Giving », The New York Times, 22 février 2012.