Vie rurale 27 mai 2015

Voie publique : des agriculteurs en danger

En cette période de travaux agricoles, des producteurs sont stressés lorsqu’ils circulent sur la voie publique. Ils se sentent en danger.

« C’est assez hallucinant! On se croirait sur une piste de course, dénonce un producteur de la Montérégie, Stéphane Bisaillon. Certains automobilistes sont très cavaliers. Ils tentent de nous dépasser sur des lignes doubles, même dans les courbes. »

Yves Philie encourage les producteurs à installer sur leur tracteur une caméra pour tableau de bord, d’environ 50 $, afin de montrer aux autorités la réalité du comportement de certains automobilistes. Crédit photo : Yves Philie
Yves Philie encourage les producteurs à installer sur leur tracteur une caméra pour tableau de bord, d’environ 50 $, afin de montrer aux autorités la réalité du comportement de certains automobilistes. Crédit photo : Yves Philie

La situation diffère d’une région à l’autre. Chose certaine, des producteurs dont la ferme est située près des routes passantes y goûtent. Surtout dans un contexte où les distances parcourues par les agriculteurs augmentent. La machinerie grossit et le trafic automobile s’intensifie, en raison de l’étalement urbain.

« Dans mon secteur, c’est fou. La route est très sinueuse; les occasions de dépasser sont rares. Même un dimanche après-midi, le gars avec sa Porsche ne veut pas de tracteur devant lui. Encore moins un planteur à maïs de huit rangs! S’il y a quatre pieds d’espace à côté de moi, il essaie aussitôt de me dépasser. Sauf que les poteaux, les boîtes aux lettres et les voitures à sens inverse viennent vite… C’est dangereux, autant pour lui que pour moi », témoigne Yves Philie, de Saint-Mathieu, au sud de Montréal.

Ce producteur a encore en tête un cas de rage au volant où un automobiliste s’impatientait derrière son tracteur articulé. « Aussitôt qu’il m’a dépassé, il a donné un coup de roue pour se placer devant moi pour ensuite flanquer les freins jusqu’à ce que son auto s’immobilise. Inutile de dire que si je n’avais pas freiné à fond, je serais monté sur lui. Une fois mon tracteur arrêté en pleine route, le conducteur m’a regardé, a pris le temps de m’envoyer un doigt d’honneur et est reparti. C’est complètement anormal, mais c’est ce qu’on vit », renchérit M. Philie.

Yves Philie s’est acheté une caméra qui se fixe sur le tableau de bord. Celle-ci enregistre continuellement la façon de conduire des automobilistes. Il encourage ses confrères à l’imiter. « L’agriculteur n’est ni protégé physiquement ni judiciairement. Quand un accident implique une machinerie agricole, c’est nous qui nous faisons crucifier. La caméra pourrait alors prouver notre non-responsabilité », dit-il.

Un manque de respect

Depuis décembre 2013, les producteurs doivent se conformer au nouveau règlement sur la visibilité et la circulation des machineries agricoles de largeur excessive. Celui-ci impose des dispositifs de visibilité supplémentaires, dont une voiture d’escorte lorsque la machinerie fait plus de 5,3 m (17 pi) de largeur. Sauf que les escortes, en plus d’occasionner des contraintes de logistique aux producteurs, ne sont pas toujours respectées par les automobilistes. « La personne dans le véhicule d’escorte sort souvent son bras et l’agite pour dire aux gens de modérer. Certains lui répondent en klaxonnant, ou avec un doigt d’honneur. Ce n’est pas partout comme ça, mais ici il n’y a aucun respect », témoigne Stéphane Bisaillon.

Dans l’Outaouais, Stéphane Alarie fait remarquer qu’en dépit de l’ajout de clignotants et de bandes réfléchissantes, les automobilistes manquent de prudence. « Même si nos tracteurs ressemblent à des arbres de Noël, les gens font des manœuvres dangereuses. Le gouvernement doit les conscientiser », souligne-t-il.

Un pas dans la bonne direction

Les producteurs contactés reconnaissent que certains accidents routiers impliquant de la machinerie ne sont pas toujours causés par des automobilistes et que l’ajout d’éléments de visibilité s’avère bénéfique pour la sécurité de tous. Par exemple, la voiture d’escorte qui apparaissait comme un irritant majeur est devenue utile pour David Proulx, de la Ferme Bio-Nic inc. « Je dirais que sur 97 % de notre parcours, l’escorte ne sert à rien. Mais elle est très pratique pour le pont que nous devons traverser, qui fait seulement 7,6 m de large [25 pi]. Le planteur en fait 6,7 m [22 pi]. Avant qu’on ait l’escorte, les automobilistes devaient parfois reculer. Dans les courbes, l’escorte les réveille. C’est bon. Bref, on fait notre part, mais les automobilistes aussi doivent faire la leur », souligne ce producteur de Nicolet.