Vie rurale 16 juillet 2020

« Travailler en silo » : pas de risque à prendre!

Inoffensifs à première vue, les silos verticaux n’en cachent pas moins des dangers insidieux, voire mortels. Les nombreux événements survenus au cours des dernières décennies illustrent bien la gravité de la situation.

Malgré des solutions à portée de main et des ressources prêtes à intervenir, les mêmes erreurs parfois fatales se répètent d’une année à l’autre. Savoir reconnaître les risques potentiels de ces greniers en hauteur constitue la première étape vers une stratégie axée sur la ­prévention.

Silo en douves de béton avec conduit de remplissage et échelle sans dispositif de sécurité
Silo en douves de béton avec conduit de remplissage et échelle sans dispositif de sécurité

Silos à grains (blé, orge, maïs, soya, etc.), hermétiques ou conventionnels à fourrage, trois types d’équipements d’entreposage, mais une constante : les espaces clos! Gaz d’ensilage, chutes, ensevelissement dans un amas de grains en mouvement, membre pris dans des pièces en marche, les épisodes tragiques prennent différentes formes et se produisent souvent dans les mêmes circonstances.

« Il y a une procédure pour toute personne qui travaille dans un espace clos; il faut d’abord évaluer la qualité de l’air avant d’entrer, rappelle Michel Ouellette, de Ferme-Médic. Une fois introduit, il faut être attaché avec une ligne de vie [câble rattaché à un harnais]. S’il se produit un événement, on pourra être évacué rapidement. »

Des gaz mortels

Le processus de mise en silo et d’ensilage (en fermentation lactique, un peu comme le yogourt) est propice aux accidents graves et mortels. Le dégagement de gaz au-dessus de la masse d’aliments durant cette période (4 à 6 semaines) peut provoquer une atteinte aux poumons et des blessures sévères et même entraîner la mort de ceux qui s’engageraient dans le silo sans protocole de sécurité (harnachement, encordage, etc.).

« Quand l’atmosphère est riche en gaz carbonique et pauvre en oxygène, on se retrouve avec une ­atmosphère non respirable, explique François Granger, ingénieur et agronome à la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST). Deux inspirations suffisent pour perdre conscience. Cet état peut provoquer des chutes à l’intérieur ou à l’extérieur du silo. »

De plus, les plantes peuvent être saturées en ­nitrate, élément azoté provenant notamment d’une surfertilisation ou encore non transformé en protéines. On assiste alors à la formation d’oxydes d’azote (NOx) et ultimement de dioxyde d’azote (NO2), gaz souvent mortels.

Détecter les gaz

Par ailleurs, on ne peut pas se fier à la ventilation mécanique habituellement effectuée à l’aide du souffleur à fourrage.

Silos en blocs de béton sur lesquels on retrouve un tuyau d’emplissage et une échelle avec dispositif de sécurité.
Silos en blocs de béton sur lesquels on retrouve un tuyau d’emplissage et une échelle avec dispositif de sécurité.

« Il y a différents facteurs [qualité et orientation du jet d’air, obstacles, dimension du souffleur, etc.] qui viennent affecter la qualité de la ventilation avec cet équipement, prévient M. Granger. Au départ, ce n’est pas une machine conçue pour la ventilation. De plus, si le silo n’est pas rempli au complet, l’efficacité de la ventilation avec un souffleur à fourrage est grandement réduite, voire nulle. »

Les premières journées sont cruciales. On doit ajuster les machines ou prévoir l’affaissement de la masse de denrées. La seule façon de s’assurer d’une ventilation adéquate est la détection de gaz. En cas de doute, il faut s’abstenir ou porter une protection respiratoire autonome ou à adduction d’air (qui fournit de l’air respirable à celui qui la porte).

Des sables mouvants

Certains aliments ­stockés constituent de véritables « aspirateurs à humain ». Le ­nettoyage d’un silo à grains peut d’ailleurs provoquer des problèmes de santé dus à l’exposition à des poussières de ­céréales (rhume des foins, poumon du fermier, etc.). L’entretien des silos comporte aussi des dangers de blessures graves, comme les chutes si on travaille en hauteur. On court également des risques si on exécute des tâches à proximité de pièces en mouvement non protégées par des gardes (convoyeur, vis sans fin, etc.).

Pris au piège

Certains systèmes de sauvetage permettent d’immobiliser la victime et d’enlever l’amas de grains qui l’entoure si celle-ci n’est pas complètement enfouie et qu’on peut la retrouver. Un tube ou mur de survie (cylindre en métal en sections très minces pour faciliter l’insertion dans le grain) permet aux sauveteurs, dont les pieds reposent sur une plateforme stable, de confiner l’individu piégé alors qu’une vis portative retire le grain. À mesure que le niveau baisse, on peut dégager le ­travailleur.

« L’agriculteur doit reconnaître les risques associés au travail en espace clos, conclut M. Ouellette. De plus, on peut s’équiper d’outils de prévention [masque de protection, harnais, corde de vie], mais également d’un détecteur multigaz adapté aux gaz d’ensilage. Même si ces dispositifs sont chers, on peut les louer ou encore les acheter en groupe. » 

Ensevelissement

Monter dans un silo métallique pour régler un problème d’écoulement ou ­retirer des gains de moindre qualité ou agglomérés comporte des risques majeurs.
Trois situations peuvent survenir. Les grains gèlent et se détériorent. Ils forment alors soit un mur de grain, soit un pont de grain. Dans les deux cas, la masse de céréales en mouvement enterre en moins de dix secondes le travailleur qui s’y aventure. La même situation se produit lorsque la pente de grains sur les parois est plus élevée que la personne : le glissement des grains menace de l’ensevelir.

Roger Riendeau, collaboration spéciale