Vie rurale 8 septembre 2014

Transmettre le gène de l’agriculture

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Tel que publié dans La Terre de chez nous

Robert Fortier et Marie-Paule Provencher ont réussi à léguer leur amour de la terre à leur nombreuse progéniture. De leurs 15 enfants, 9 ont fait carrière en agriculture et 7 vivent encore de la terre!

SAINT-PIERRE-BAPTISTE — Fils d’agriculteurs, Robert délaisse à 12 ans les bancs d’école pour travailler sur la ferme familiale. Il y fait d’abord les « sucres » et ramasse, tout seul comme un grand, l’eau d’érable pour ensuite la faire bouillir.

Quelques années plus tard, le jeune homme tombe sous le charme de la belle Marie-Paule Provencher. « Je la voyais tous les dimanches sur son banc d’église », raconte aujourd’hui le nonagénaire, sa douce à ses côtés.

Les amoureux convolent en justes noces en 1943. De cette union naissent 15 beaux enfants : Gaétan, Ghyslaine, Françoise, André-Jean, Ginette, Rock, Denis, Johanne, Jérôme, Daniel, Louise, Donald, Alain, Diane et Michel. Aujourd’hui, le clan comporte près de 40 petits-enfants et une vingtaine d’arrière-petits-enfants.

Robert et Marie-Paule ont fêté leurs 70 ans de mariage le 22 mai dernier. M. Fortier se tient encore droit comme un chêne du haut de ses 92 ans et Mme Fortier, l’œil vif à 90 ans, possède la mémoire aiguisée de ses 20 ans. Ces doyens du village de Saint-Pierre-Baptiste tiennent toujours maison. Ils peuvent cependant compter sur le soutien de leur tribu. « Nous avons de très bons enfants et des brus en or », se dépêche de préciser Mme Fortier. Malgré ses nombreuses grossesses et tout le travail à la maison, la dame a toujours trouvé le temps de s’impliquer à la ferme, allant même jusqu’à ramasser de la roche.

Rude agriculture

En janvier 1946, les jeunes mariés s’installent sur une ferme de 135 acres, avec une vingtaine de vaches croisées à dominance de race de boucherie, qui servent également à la production laitière. Ces bêtes permettent de mieux valoriser les fourrages, l’élément central de l’alimentation de l’époque.

Le foin est récolté une seule fois, au mois de juillet, en « vailloche ». Le couple élève aussi quelques poules, une trentaine de cochons, des lapins et, bien sûr, des chevaux, la machinerie du temps. M. Fortier se rappelle la rivalité entre les cultivateurs pour déterminer qui possédait la plus belle monture! Encore aujourd’hui, il parle fièrement de ses Tounes, quelques générations de juments croisées canadiennes et belges. D’ailleurs, l’éleveur appliquait un truc infaillible pour s’assurer que sa jument mette au monde une pouliche : la faire servir lors du « déclin » de la lune! M. Fortier constitue une véritable mine d’or de trucs et d’anecdotes. Il se souvient très bien des deux milles et demi à marcher avec sa vache pour aller la faire accoupler par le taureau fourni aux producteurs du rang par le gouvernement. De plus, ce grand gaillard a toujours réussi à éviter le mal de dents en se chaussant d’abord du pied gauche!

Héritage

Tous verts, les enfants de Marie-Paule et Robert ont appris les rudiments de l’agriculture. « Pendant les milliers de voyages de roches, je n’en ai jamais entendu un chialer », confie le patriarche. « C’était des belles journées de vacances », confirme d’ailleurs Michel, le petit dernier. « Papa nous a montré à tout faire. Maintenance, construction, il n’y a rien qu’on ne fait pas », poursuit Johanne, qui est propriétaire d’un restaurant, d’un dépanneur et d’une station-service à Saint-Pierre-Baptiste. L’entrepreneure remercie également ses parents pour les valeurs inculquées. Homme de parole, M. Fortier n’a jamais bu ni fumé, ni même sacré, tel qu’il s’était engagé à le faire auprès de son père, alors qu’il avait 12 ans. « J’ai tenu ma promesse », précise-t-il, 80 ans plus tard. « Avec papa, il n’y avait rien de compliqué, témoigne Jérôme, un autre fils. On a gardé le même principe et on a tous élevé nos familles comme ça. » Avec sa fratrie, ce producteur bovin incarne la cinquième génération de Fortier à vivre de la terre grâce au soutien indéfectible de ses parents. « Papa achetait une terre au fur et à mesure que nous grandissions », dépeint Jérôme. « Mon père m’avait établi. J’ai fait la même chose pour mes enfants », confie humblement M. Fortier. Parmi les 15 enfants, 9 ont ainsi gagné leur vie en agriculture, dont 7 sont encore actifs et demeurent à Saint-Pierre-Baptiste, « sauf Donald, qu’on a échappé en bas de la côte à Sainte-Sophie », blague Michel.

Parents poules

Pour éviter que ses enfants ne s’endettent trop en achetant de la machinerie agricole, M. Fortier se promenait d’une entreprise à l’autre avec son équipement. À la fin de l’été, la presse à foin affichait 42 000 petites balles au compteur! Pendant ce temps, Mme Fortier préparait des « petits lunchs » pour les travailleurs. Encore tout récemment, M. Fortier fauchait les champs. « Il ne faut pas laisser le siège du tracteur vide trop longtemps », avertit Michel.

« Il y a eu nos parents avant nous. C’est ça, le cycle de la vie : transmettre sa passion », poursuit Jérôme, qui rêve de léguer son entreprise à son petit-fils, Jeffrey, quatre ans et demi. Récemment, en voyage, le petit bonhomme a demandé à sa mère de retourner à la maison pour aider « papi » à faire les foins. « Il est terrible ! », sourit l’agriculteur.

Tricotée serrée

Le casse-croûte Chez Jojo et l’érablière constituent les points d’ancrage du clan Fortier. Dans la petite municipalité de près de 500 âmes, cette famille ne passe pas inaperçue. « Si on part toute la gang, le village devient désert », plaisante Michel. Et peu importe la direction empruntée, le visiteur croisera l’une des fermes des frères Fortier puisque toutes les propriétés sont contiguës. M. Fortier s’avoue particulièrement fier de voir les entreprises de ses enfants en se baladant. « De voir les vaches sur le bord du chemin, c’est le plus beau plaisir, affirme le patriarche, visiblement ému. Être cultivateur, c’est le plus beau métier », ajoute-t-il.

Ferme Mijo

Aujourd’hui, le « bien paternel » est entre les mains de Michel, le bébé des Fortier. Michel a goûté à la vie urbaine quelques années avant de revenir au bercail. Depuis octobre 1994, il tient les rênes de la Ferme Mijo. « Pour être agriculteur, ça prend des hommes et des femmes de tête. Il n’y a pas une journée pareille. Il faut que tu penses vite, que tu te vires de bord rapidement », constate-t-il.

Aujourd’hui, le cheptel de bovins de boucherie compte 90 vaches croisées Shorthorn, dont plusieurs descendent directement du troupeau familial. La ferme possède plus de 200 acres en propriété et en loue plus d’une centaine d’autres. Michel et Johanne, sa conjointe, exploitent aussi une érablière de 3 000 entailles. De plus, ils hébergent des personnes âgées. L’agriculteur a également hérité de la passion de son père pour les chevaux puisqu’il possède deux juments belges enregistrées, Kate et Catin. Le couple fonde espoir que Derek, le petit garçon du fils de Johanne, prenne goût à l’agriculture.

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