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Une neige féérique enveloppait la ferme de Joseph Tanguay, mais celui-ci était trop absorbé dans ses pensées pour en apprécier le spectacle. L’agriculteur commençait à se faire vieux et souhaitait confier sa ferme à un plus jeune.
Or, il ne parvenait pas à faire son choix parmi ses trois enfants. Son plus vieux, Christian, était surtout intéressé par l’argent, sa fille Laura n’avait d’yeux que pour les tracteurs et son benjamin Simon se passionnait pour les animaux, mais était muet depuis l’âge de cinq ans. Le décès de leur mère avait eu cet effet sur lui. Une terrible dispute déchirait désormais les enfants, ce qui brisait le cœur de leur père.
Ce matin-là, dans l’étable, une poule vint rejoindre le producteur. « Vous ne trouvez pas que vos tourments ont assez duré? » M. Tanguay croyait rêver. « C’est le temps de mettre votre progéniture à l’épreuve », insista la volaille. Ainsi germa l’idée d’organiser des jeux agricoles. Le vainqueur obtiendrait la ferme.
Le 24 décembre, l’agriculteur réunit ses enfants à l’extérieur de la grange principale. Les deux plus vieux étaient de nature compétitive et se réjouissaient de la tenue de ces jeux. Ils se gardaient toutefois de le laisser transparaître. Cela faisait longtemps qu’on ne se parlait plus dans la famille, en raison d’un malentendu au sujet d’une corvée de vaisselle qui avait mal tourné.
La première épreuve consistait à traverser un champ enneigé en courant les genoux bien hauts. Laura, la plus sportive des trois, partit à vive allure. Elle arriva la première, après avoir dépassé ses deux frères. L’aîné trébucha à plusieurs reprises et finit le parcours grâce à l’aide du plus jeune qui passa un bras sous ses épaules.
Au lancer du sac de moulée, Christian s’illustra par sa grande force physique. En tentant d’agripper la poche, Laura la déchira et la moulée se répandit sur le sol. Aussitôt, Simon se précipita pour aider à ramasser le dégât.
La poule, qui avait assisté aux épreuves, s’approcha du producteur. Celui-ci était un peu débiné par l’égalité des résultats. « Vous devriez conclure ces jeux dans le poulailler. Faites-leur ramasser le plus d’œufs possible en une minute », suggéra la poule. L’homme s’exécuta.
Cela faisait à peine 15 secondes que l’épreuve était commencée que les plus vieux se tordirent de douleur. Deux poules venaient de leur picorer vigoureusement la main. Les blessés se précipitèrent à l’intérieur de la maison pour se soigner. « C’est le comble! » pensa le père. Sa conseillère à plumes l’intima de garder espoir.
Lorsqu’ils réapparurent quelques minutes plus tard, Christian et Laura étaient en grande discussion et le ton était amical. C’était comme si la chicane n’avait jamais eu lieu. L’aîné prit la parole pour recommander que Simon prenne la relève. Après tout, il leur avait rendu service depuis le début de la compétition. Les regards se tournèrent vers le benjamin.
« Je refuse… » parvint à prononcer celui-ci avec hésitation. Il avait fallu cet autre choc pour lui permettre de retrouver l’usage de la parole.
Sa famille, éberluée de le voir sortir ainsi de son mutisme, voulut le convaincre, mais le jeune homme reprit de plus belle. « Je refuse de prendre la relève si vous n’êtes pas à mes côtés », compléta-t-il. Le père sourit. Son rêve le plus cher devenait réalité.
Ce soir-là, un son de clochettes l’incita à lever les yeux vers le ciel. Il y vit l’ombre d’un traîneau passer devant la lune avec, à son bord, une bienveillante poule.
Texte / Ariane Desrochers
Illustrations / Judith Boivin-Robert