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Labrousse (Haïti) – Par les yeux d’un apiculteur québécois, le correspondant de la Terre à Haïti présente le défi agricole de ce pays dont la campagne est menacée par l’érosion et la perte de fertilité des sols. Le deuxième de deux reportages inédits.
L’apiculteur Normand Roy, de Mandeville près de Joliette, est sous le choc. Port-au-Prince ressemble à un cadavre hoquetant ses entrailles par la bouche de ses égouts. Il y règne une odeur de pourriture. Quelque trois millions d’habitants grouillent comme des fourmis noires parmi les ruines et les camps « provisoires » de la capitale dévastée par le séisme meurtrier du 12 janvier 2010. « C’est pire qu’à la télévision! » dit ce nouveau coopérant dont c’est le premier voyage à l’extérieur du Canada.
Heureusement, ce novice est rapidement transplanté dans le petit village de Labrousse, au coeur de la campagne haïtienne, avec son compagnon de voyage Michel Gendreau, un consultant aguerri pour l’UPA-DI. Cette région isolée compte quelque 40 000 habitants répartis sur un territoire de 320 km2. « On tente de bâtir un modèle de société que l’on pourrait essaimer dans le reste du pays », explique Alfred Étienne, né à Labrousse et un des principaux architectes de la Fondation pour le développement économique et social, qui regroupe cinq villages d’où l’acronyme, Fodes5.
Ce village perdu au milieu de collines vertes abrite une école de 800 élèves et un centre de santé parrainés par une dizaine d’organisations québécoises, dont celle du Dr Jean-Pierre Tchang, fondateur d’Iris mondial. Cet optométriste a permis à de nombreux paysans et paysannes de voir clair, en distribuant 2000 paires de vieilles lunettes recueillies au Canada. Mais surtout, le tandem Tchang-Étienne s’est doté d’une vision. « Pour payer l’éducation et les frais de santé, ça prend une activité économique qui génère des revenus », ajoute M. Étienne. C’est là qu’entre en jeu l’UPA-DI, qui a signé une entente de collaboration de trois ans (2009-2012) avec Fodes5.
La mission d’une dizaine de jours de Normand Roy en Haïti s’inscrit dans une collaboration de paysan à paysan appelée Le savoir des gens de la terre (LSGT). Le but de sa visite : augmenter le revenu des 275 apiculteurs de la région. Pour cela, notre apiculteur va arpenter la campagne à la rencontre de ses pairs, qui l’ont rapidement baptisé « Normand Myèl » (Myèl veut dire « miel » en créole). Et il va donner une formation avec un agronome du ministère haïtien de l’Agriculture, des Ressources naturelles et du Développement durable. Il s’agit de faire un saut technologique pour combler un décalage d’une centaine d’années. « Leurs ruches sont creusées dans des troncs d’arbres. Elles contiennent entre 3000 et 8000 abeilles. Ces apiculteurs gagneraient à utiliser nos ruches modernes. Ils pourraient les peupler de 60 000 abeilles et obtenir dix fois plus de rendement! » explique-t-il. À 3,65 $ le kilo, le miel haïtien commande le même prix que celui du Québec et du marché international.
Notre coopérant a rapidement découvert que le miel n’est pas la seule production visée pour augmenter le revenu des agriculteurs de Fodes5. Au détour d’un sentier, Idèle Vernant l’invite à visiter son petit enclos perché à flanc de montagne où broutent quatre chèvres et un bouc. « La vente des chevreaux va me permettre d’envoyer mes trois enfants à l’école », lui explique cette fière jeune mère de famille. Idèle Vernant est l’une des 47 agricultrices à avoir bénéficié à l’automne 2010 d’un microcrédit de 500 $ US pour démarrer son élevage de chèvres sous l’égide du LSGT. » À partir de ces groupements de producteurs ou de productrices, on compte voir surgir des leaders capables de bien représenter les intérêts paysans », explique Michel Gendreau, chargé du projet de l’UPA-DI en Haïti.
De concert avec une équipe de Fodes5, Michel Gendreau doit redonner la fertilité aux sols de la région fortement érodés par la pratique du brûlis. Mais aussi par la coupe excessive des arbres pour produire du charbon, principale source d’énergie au pays. Le formidable enjeu consiste à implanter un système agroforestier rentable sur un bassin versant de 200 hectares d’ici le printemps 2012.
On parle de manguiers, de caféiers, d’orangers et aussi de potagers en terrasse, car il ne se produit à peu près pas de légumes sur ce territoire. Son compagnon apiculteur approuve du bonnet, car le projet signifie des centaines de milliers de nouvelles fleurs à butiner pour les abeilles. En reprenant l’avion à Port-au-Prince pour rentrer au bercail, « Normand Myèl » sait dorénavant qu’une Haïti, autre que misérable, est possible.