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Je me souviendrai toujours du jour où j’ai annoncé à mon grand-père que j’avais été acceptée à l’Institut de technologie agroalimentaire (ITA). Jean-Louis était une personne souriante, un bon vivant, un boute-en-train, un travailleur acharné, un passionné et un amoureux des gens, de la vie et de la nature. C’était un homme de son temps qui ne devait pas trop montrer ses émotions. Ayant lui-même étudié à l’époque dans une école d’agriculture, à Sainte-Martine, il était si fier que quelqu’un (ou plutôt, quelqu’une) parmi sa descendance suive ses traces.
L’éclair de joie et de fierté dans ses yeux était si vif que je ne pouvais ignorer cette marque admirative et cette tape dans le dos virtuelle. Je me souviendrai toujours de son regard qui dissimulait habilement une larme échappée au bord de la paupière, prête à s’évader, mais vite refoulée.
Lors de mon annonce, il a dû se revoir, lui qui était fils d’agriculteur, alors qu’il travaillait d’arrache-pied tôt le matin jusqu’à tard le soir. Il a sûrement repensé à l’époque où une certaine Adrienne l’avait engagé pour s’occuper de ses terres et de sa ferme après le décès de son mari, puisqu’elle n’avait que trois filles, et qui lui avait aussi permis d’étudier à l’école d’agriculture. Cette même Adrienne qui a écrit aux hautes instances pour éviter de perdre le seul homme de son exploitation au profit de l’armée, lors de la Deuxième Guerre mondiale. Il s’est souvenu de ces années de dur labeur alors qu’il côtoyait nouvellement la fille d’Adrienne, Gisèle, qui devint son épouse, quelques années plus tard.
Il a repensé aux nombreuses heures sur ses terres, assis au volant de son Farmall M, entre autres, et celles dans la vieille étable. Aux années où ses six enfants virent le jour : quatre garçons et deux filles. Au temps où la ribambelle participait ensemble aux travaux ménagers, à la ferme et aux champs. À l’ensilage à forfait chez les voisins avec les nouvelles voitures Dion, aidé de ses fils que l’on remerciait en les nourrissant de maïs à chaque endroit, jour après jour. Avec ses fils les plus vieux, il a construit une étable moderne qui comptait une laiterie intégrée et un réservoir à lait.
Il s’est occupé de son beau terrain, de son potager et de ses plates-bandes. Ses réalisations faisaient l’envie du voisinage qui admirait aussi ses terres et savait sa ferme entre bonnes mains. Toutes ces années à voir ses terres profiter et se rentabiliser pour ensuite voir la relève s’implanter. Sa maison est maintenant voisine de la ferme pour laisser place à cette relève. Il a vu ses petits-enfants venir au monde, et qui ont donné la vie à ses arrière-petits-enfants. Il a vécu une retraite active, heureuse et remplie de nombreuses activités. Il fallait un agenda pour savoir où il se trouvait entre les quilles, la danse, les cartes, le jeu de poches, et j’en passe.
Jusqu’au jour où, sur le chemin du retour, il s’est arrêté chez son fils qui habitait à un kilomètre de chez lui pour bavarder, comme il le faisait souvent, et que sa petite-fille lui a glissé à l’oreille qu’elle était acceptée à l’ITA.
Maintenant, je sais que sa fierté était une grande marque d’affection.
Merci pour ton histoire, grand-papa! Tu m’inspires jour après jour et je suis fière d’être ta petite-fille. Je me demande ce que tes yeux me diraient si je te disais que ton arrière-petit-fils veut aussi suivre ta voie.
En souvenir de Jean-Louis (1917-2004).
Mylene Surprenant, Agrimom