Ce contenu est réservé aux abonné(e)s.
Pour un accès immédiat,
abonnez-vous pour moins de 1 $ par semaine.
S'abonner maintenant
Vous êtes déjà abonné(e) ? Connectez-vous
Avec une récolte récente de 250 000 tonnes de blé issues de variétés génétiquement modifiées (GM) développées par la société Bioceres, la probabilité d’en retrouver dans les cargaisons de blé exportées depuis l’Argentine existe. Un tel risque expose toute la filière à de lourdes conséquences commerciales.
L’offre argentine de blé à l’export, cette année, est de 13 millions de tonnes, selon le département de l’Agriculture des États-Unis (USDA), soit 7 % de l’offre mondiale échangée entre pays. Or, cette année, il existe un risque avéré de détecter des grains de blé GM dans les lots vendus depuis les ports du pays sud-américain.
Cela provoquerait, d’une part, le rejet de toute la cargaison concernée – la tolérance des importateurs étant nulle envers ce bien interdit à la vente partout dans le monde –, et d’autre part, une publicité désastreuse pour l’image de marque des blés argentins.
La récolte récente en cours, de 250 000 tonnes de blé GM cultivé et stocké à la ferme, sur une surface totale de 55 000 hectares, par une cinquantaine de céréaliers partenaires de la société Bioceres, inquiète tous les acteurs de la filière.
Le céréalier Santiago del Solar résume la situation : « Le diable peut sortir de sa boîte à tout instant », explique l’ex-numéro 2 du ministère de l’Agriculture argentin (de 2016 à 2019), lui qui avait refusé d’autoriser la mise sur le marché de ce blé GM. « Il n’y a pas moyen de garantir la séparation absolue d’une récolte de blé GM aussi volumineuse, explique-t-il. Un seul grain coincé dans une moissonneuse peut se retrouver très loin ailleurs dans un silo, puis être détecté au port. »
Le gouvernement du président argentin Alberto Fernández n’a pas tenu compte de cet obstacle majeur. Il a en effet autorisé Bioceres à faire des essais en plein champ à grande échelle. D’abord sur 6 200 ha en 2020-2021, puis sur 55 000 ha en 2021-2022. Bref, la société de biotechnologie a effectué une multiplication de semences en bonne et due forme. Ses « essais » sont en réalité l’antichambre d’un lancement commercial de ses semences aussi impatient qu’ambitieux.
Miguel Cané, le directeur de l’interprofessionnelle du blé (Argentrigo), condamne l’irresponsabilité de Bioceres et du gouvernement d’avoir lâché ce blé GM dans les Pampas au nom du progrès scientifique.
Un gène de tournesol
Bioceres a incorporé un gène de tournesol au germosplasme d’une espèce de blé fournie par le semencier français Florimond Desprez, et ce, dans le cadre d’une association baptisée Trigall Genetics. Ce gène de tournesol, dit HB4, conférerait au blé une plus grande tolérance à la sécheresse. Les gains de productivité seraient de 10 % à 15 % en zone semi-aride par rapport aux variétés témoins comparées lors des essais.
Par ailleurs, la commission technique nationale de biosécurité brésilienne (CTNBio) a donné son feu vert, le 11 novembre dernier, à la consommation de farine issue de ces blés dits HB4. Cette décision est fondamentale, car le gouvernement argentin a autorisé par décret la mise sur le marché de telles semences à la condition que le Brésil accepte une telle marchandise. La décision de la CTNBio ouvre ainsi la voie au premier blé GM sur le marché mondial.
« Je me moque de l’avis du gouvernement de Jair Bolsonaro qui ne nous achète pas un seul kilo de blé », s’emporte Fernando Rivara, le président de la Fédération argentine des organismes stockeurs de grains. « Nos clients, les meuniers du Brésil, ont clairement dit qu’ils n’en veulent pas. Mettre sur le marché un blé GM de force est une folie, un suicide commercial. Les origines concurrentes [du blé argentin] s’en frottent déjà les mains », assure-t-il.
Marc-Henry André, collaboration spéciale
Cet article a été publié dans l’édition de janvier 2022 de notre cahier Grains.